Les aides aux entreprises sont décidemment un thème très porteur en ce début d’été. La littérature sur le sujet vient de s’enrichir en l’espace de quelques jours. Deux semaines seulement après la remise de l’épais rapport d’une commission d’enquête du Sénat, c’est au tour du Haut-Commissariat à la stratégie et au plan de remettre une note sur ces dispositifs de soutiens publics. L’instance, fusion de l’ancien Haut-Commissariat au plan, et de France Stratégie, a publié une courte étude le 17 juillet dernier.
Plusieurs recommandations se recoupent entre les deux publications, mais les deux instances n’aboutissent pas au même résultat sur le total des aides versées aux entreprises. Ce n’est guère une surprise, puisqu’il n’existe aucun référentiel commun, ni aucune définition officielle. L’établissement d’un coût annuel actualisé de ces aides était l’un des objectifs poursuivis par la commission sénatoriale, alors qu’un tableau récapitulatif n’était disponible aussi bien au niveau des ministères que de l’administration.
Des montants qui varient du simple au double, suivant les périmètres retenus
En se basant sur des données communiquées par les ministères, le rapport sénatorial avait évalué que le total des aides publiques versées aux entreprises en 2023 atteignait au moins 211 milliards d’euros. La somme intègre les subventions versées par l’État (7 milliards d’euros), les aides versées par Bpifrance (41 milliards), les dépenses fiscales et les dépenses fiscales dites « déclassées » (88 milliards), ainsi que les allègements de cotisations sociales (75 milliards). Elle ne tient pas compte des aides versées par l’Union européenne, les collectivités locales, ni les compensations pour charge de service public.
Moins reprise dans les médias, la commission d’enquête a également publié une seconde estimation, « plus restreinte », laquelle exclut les interventions financières de Bpifrance, les dépenses fiscales déclassées et les dépenses fiscales sur la TVA, pour un total estimé à 108 milliards d’euros.
De son côté, le Haut-Commissariat aboutit à un total de 112 milliards d’euros pour les aides aux entreprises versées en 2023, soit près de moitié moins que le principal chiffre du rapport sénatorial. L’écart s’explique assez simplement : seule une toute petite partie des exonérations de cotisations sociales (3,2 milliards d’euros sur un total de 73,8 milliards) a été incluse dans le calcul du Haut-Commissariat.
« C’est juste une interprétation différente », considère le sénateur LR Olivier Rietmann
« Les chiffres se rapprochent de nous, sauf qu’ils enlèvent la quasi-totalité des exonérations de cotisations patronales. On a fait le choix de les incorporer. Le ministre de l’Économie Éric Lombard considère lui aussi que les exonérations sont des aides publiques », réagit le sénateur (communiste) Fabien Gay, rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale, qui se dit prêt à discuter de cette question avec le Haut-Commissariat. Le ministre avait évoqué « 150 milliards d’euros mobilisés » chaque année, dont « 80 milliards d’euros d’allègements généraux de cotisations ».
Ce type de grand écart n’est pas non plus nouveau et tient à la diversité des périmètres possibles. En 2020, France Stratégie avait estimé le total des interventions économiques en faveur des entreprises à 223 milliards d’euros selon le périmètre le plus large et à 139 milliards selon le périmètre le plus restreint. L’Inspection générale des finances en 2024 s’était concentrée sur une définition aboutissant à un total de 88 milliards d’euros.
« On n’a pas la même interprétation du terme aides publiques avec le Haut-Commissariat, mais il n’y a aucune querelle, c’est juste une interprétation différente », dédramatise le sénateur (LR) Olivier Rietmann, qui présidait les débats. Face aux critiques qui ont parfois émergé sur leur méthode de calcul, le sénateur de Haute-Saône rétorque que la commission ne poursuit « aucune arrière-pensée ». « On ne remet pas en cause le principe des aides. On ne flèche pas la situation budgétaire de notre pays sur les aides publiques. Cela a été instrumentalisé par des gens qui n’ont pas lu le rapport », s’exclame-t-il. Fabien Gay dénonce quant à lui ses contradicteurs qui lui reprochent d’avoir intégré les allègements généraux de cotisations, des réductions de prélèvements obligatoires. « Des contrefeux », lâche-t-il.
Dans un édito publié en complément de la note, le Haut-Commissaire Clément Beaune explique d’ailleurs qu’aucun périmètre n’est « parfait, ou incontestable ». « Le fixer aurait une vertu en soi, celle de la lisibilité, de la transparence, de la comparaison, d’une année sur l’autre, des évolutions de dépenses, question plus centrale que le Graal du bon périmètre », a expliqué l’ancien ministre. Cette dernière question étant jugée « un peu stérile » selon lui.
Fabien Gay s’interroge toutefois sur le calendrier retenu par le Haut-Commissariat, en mettant en parallèle le rapport de « 1500 pages » produit par la commission. « Il n’aura échappé à personne que pendant des années, le travail n’a jamais été fait. Il suffit qu’une commission d’enquête se réunisse, objecte les choses, pour qu’une semaine après un rapport de 20 pages sorte pour contrecarrer la chose », raille le sénateur de Seine-Saint-Denis, qui se satisfait quand même que le débat soit enfin lancé sur cette thématique. « Je le prends de façon positive. Nous, on y a passé six mois, eux ils ont réussi en une semaine. Tant mieux, les choses avancent, plus personne ne pourra dire que c’était impossible. »
Des recommandations partagées sur l’évaluation
Malgré les divergences apparentes sur le périmètre des aides publiques, les deux rapports aboutissent pourtant aux mêmes constats. Mohamed Harfi, l’auteur de la note du Haut-Commissariat souligne qu’il y a un problème « d’information et de clarté », pour les entreprises comme pour les décideurs publics. Complexité administrative pour les premières, flou ne facilitant pas la décision pour les seconds. « Rendre lisible et évaluer régulièrement les aides aux entreprises constitue enfin un enjeu de débat démocratique, qu’il conviendrait d’éclairer sur l’intérêt de ces aides et sur leur efficacité au regard des objectifs politiques et des moyens publics mobilisés », résume l’auteur de la note, qui souligne que « beaucoup » des dispositifs d’aides ne sont « pas évalués ».
Autant d’enjeux sur lesquels les sénateurs de la commission d’enquête ont mis le doigt, en adoptant le rapport à l’unanimité. « On parle d’un choc de transparence, de rationalisation, de responsabilisation et d’évaluation. On insiste beaucoup sur ces points », rappelle Fabien Gay. « Les deux rapports vont dans la même ligne. L’objectif, c’est d’être efficace, d’avancer pour notre pays », insiste son collègue Olivier Rietmann.
Le Haut-Commissariat se montre par ailleurs prêt à assumer plusieurs missions que la commission d’enquête propose de lui attribuer, notamment la tâche d’harmoniser la méthodologie d’évaluation des subventions et des dépenses fiscales. Le Sénat veut aussi lui confier la mission de publier chaque année un rapport annuel sur le suivi des aides publiques versées aux entreprises, et de présenter ce dernier aux parlementaires et partenaires sociaux.
Clément Beaune a précisé que ses services étaient « déterminés à assurer ce rôle » d’une définition d’un périmètre stable des aides, « sur la base d’une expertise ancienne et reconnue en la matière ».
Un rapport de plus en plus cité
« Une fois que nous nous serons mis d’accord sur ce qu’est une aide publique, et le périmètre, chaque année on pourra débattre », se satisfait Fabien Gay. Pour « l’apaisement » du débat, Clément Beaune se demande même si le terme d’aide publique ne devrait pas être abandonné. « Car ces soutiens sont très divers et ne répondent pas à une logique de solidarité, mais d’efficacité. La clé n’est donc pas de savoir si ces dispositifs sont plus ou moins nombreux, mais si l’argent dépensé atteint l’objectif fixé. »
La récente publication du Haut-Commissariat n’aura pas déplu aux sénateurs, dans le sens où elle a rebraqué une nouvelle fois les projecteurs sur leurs travaux. « Comme le disait Fabien Gay, le rapport ne va pas servir à caler une armoire. Il fait réagir. Et le but de ce rapport, c’est d’irriguer l’action publique », se satisfait Olivier Rietmann. « S’il n’y avait pas eu ce rapport, jamais le Premier ministre n’aurait cité la semaine dernière les aides publiques dans son discours. On a gagné un point dans la bataille », lance Fabien Gay.