Organisée par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, la table ronde : « Alimentation saine et durable : quels moyens d’action pour les collectivités territoriales ? » a fait souffler un petit vent de renouveau au Sénat.
Daniel Cueff le médiatique maire de Langouët, Patrice Leclerc maire de Gennevilliers, Gilles Pérole le maire adjoint de Mouans-Sartoux et Benoît Bordat, conseiller métropolitain de Dijon Métropole, ont raconté, chacun à leur échelle, la petite « révolution » qui s’est produite dans leurs communes.
Daniel Cueff est revenu sur l’affaire qui a fait le tour du monde. Au printemps 2019, le maire de Langouët, commune de 602 habitants, a pris un arrêté de distance d’éloignement des pesticides de 150 mètres. Si l’arrêté a été suspendu entre temps par le tribunal administratif, son histoire a fait grand bruit et depuis « 130 maires ont pris un arrêté similaire ». « On est parfois obligé de bouger les lignes parce qu’il n’y a pas les règlements » a-t-il expliqué.
La commune est engagée depuis 20 ans dans la transition écologique. Elle produit 100% de son électricité « pour des besoins communaux », récupère les eaux de pluie…La première cantine 100% bio de France y a été créée, il y a 16 ans.
Et si Daniel Cueff se sent porté par la majorité de ses administrés, il aime aussi rappeler un sondage de l’IFOP réalisé en août dernier expliquant que 96% des Français interrogés le soutiennent.
Le maire de Langouët a insisté sur le dialogue constant qu’il faut avoir avec les agriculteurs : « A aucun moment, nous ne mettons en cause les agriculteurs. Nous mettons en cause les produits. » Il fait le constat qu’une « grande partie de la profession agricole » n’est pas du tout préparée « à changer de modèle » : « On a du mal à convaincre parce qu’il y a des intérêts qui empêchent cette transition, de façon extrêmement importante. » Dialoguer avec les agriculteurs est possible, selon Daniel Cueff : « Mais souvent c’est le syndicat majoritaire qui empêche la discussion. Qui veut rester sur une logique (…) En Bretagne, 100% des coopératives qui vendent des pesticides sont présidées par la FNSEA. »
Mais le maire reste fondamentalement optimiste : « les choses sont compliquées mais on peut agir. »
Pas « anti agriculteur »
Le maire de Gennevilliers, Patrice Leclerc, a lui aussi pris un arrêté anti pesticides pour sa ville des Hauts-de-Seine de 46 000 habitants. « Je suis moi-même apiculteur amateur » glisse-t-il.
Et contre toute attente, le tribunal administratif de Cergy Pontoise a décidé de rejeter la demande de suspension de son arrêté. Patrice Leclerc a expliqué que, dans son cas, la juge de Cergy a pris en compte l’aspect dangereux du produit et la carence de l’État : « Face à la dangerosité de ces produits, elle a reconnu légitime l‘action des maires puisque l’État n’agissait pas en urgence. » Et d’ajouter : « Ce n’est pas un arrêté qui est pris de manière définitive. C’est en attente que l’État prenne des dispositions pour protéger les populations. »
Le maire de Gennevilliers a, comme celui d’Angouët, insisté sur le fait qu’il n’était pas « anti agriculteur « : « On ne peut pas se dire qu’il faudra produire davantage de produits bios pour alimenter nos cantines en bio et faire en sorte que l’ensemble de la population mange bio si on ne modifie pas le mode de production agricole dans son ensemble. Et les agriculteurs ont besoin de beaucoup d’aides. La transition doit être organisée ».
Patrice Leclerc a conclu en expliquant son nouveau projet : « Dans notre territoire on a prévu d’acheter et de reconvertir des terres agricoles qui existent dans la ville d’à côté (…) On va peut-être être le premier territoire de la métropole, sur 40 hectares de terres agricoles, à produire en maraîchage bio pour les cantines de notre propre territoire. »
Lors de cette table ronde, Gilles Pérole et Benoît Bordat sont eux intervenus pour illustrer ce que pouvaient être « les bonnes pratiques pour une alimentation durable ».
Gilles Pérole, maire adjoint de Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes où les cantines servent 100% de produits bios, a expliqué comment ces derniers sont apparus dans la commune de 10 000 habitants. En 1998, Mouans-Sartoux est passé au bœuf bio par principe de précaution au moment de « la vache folle » : « Cela a été un vrai déclencheur, une vraie prise de conscience de cette évolution de la technique agricole qui pouvait engendrer des problématiques de santé et d’environnement. »
En 2008, il y avait 20% de l’alimentation qui était bio dans les cantines de la commune. Elle est passée à 100% en 2012. Et cela ne leur a pas coûté plus cher : « On a économisé six centimes par repas, sur le coût d’achat matière. »
Mais Gilles Pérole en est bien conscient, « le coût et les problématiques d’approvisionnement sont les deux freins au passage au bio dans la restauration collective ». Pour pallier ces problèmes, Mouans-Sartoux a trouvé la solution : « Depuis 2011, nous produisons les légumes de notre cantine. Sur un terrain de six hectares, nous avons salarié trois agriculteurs ( …) qui produisent 27 tonnes de légumes et 95% de nos besoins, sachant qu’on fait 1 300 repas/jour sur la commune. »
Et d’autres projets ont depuis été portés par la commune. Comme par exemple, un diplôme universitaire formant « des chefs de projet alimentation durable » : « Sur trois ans, on aura formé une cinquantaine de personnes dans toutes les régions de France. »
Et la commune appartient au « Club des territoires un plus bio » qui regroupe une région, 7 départements et 280 communes dans le but « de travailler ensemble sur la restauration collective bio, locale et durable. »
Quant à Benoît Bordat, conseiller métropolitain de Dijon métropole, il a raconté comment cette dernière a postulé à un appel à projet de l’État appelé TIGA (Territoires d’innovation de grande ambition). Et a été retenue. Sur une durée de 10 ans, la métropole de Dijon a pour ambition de développer un système alimentaire durable décliné en 24 actions. Le choix de cette métropole est de s’associer avec de grands groupes comme Orange ou Seb et des supermarchés locaux.
Jean-Marie Bockel : « On est un peu dans cet entre-deux » (images Jérôme Rabien)
Au micro de Public Sénat, Jean-Marie Bockel, sénateur (UC) du Haut-Rhin et président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, assure que les exemples décrits lors de cette table ronde, encore vus aujourd’hui comme précurseurs, sont généralisables : « C’est vrai qu’au début c’est difficile. Je pense notamment à la question des cantines scolaires, des circuits courts etc., parce qu’on va à l’encontre d’habitudes anciennes (…) Et à un moment donné, ça éclôt partout. On est un peu dans cet entre-deux »