Allocation aux adultes handicapés : la « déconjugalisation », à nouveau rejetée à l’Assemblée, revient au Sénat

Allocation aux adultes handicapés : la « déconjugalisation », à nouveau rejetée à l’Assemblée, revient au Sénat

L’Assemblée nationale a rejeté mardi une proposition de loi sur la réforme du mode de calcul de l’allocation aux adultes handicapés, point de discorde entre la majorité présidentielle et les oppositions. Mardi, une autre proposition de loi traitant du même sujet, déjà examinée en première lecture en mars, sera à l’ordre du jour au Sénat.
Romain David

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C’est un sujet inflammable pour le gouvernement qui a traversé jeudi les deux chambres du Parlement : l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Un peu plus de quatre mois après une séance houleuse à l’Assemblée nationale, le sujet a de nouveau été posé sur la table par le député LR Aurélien Pradié, profitant d’une niche parlementaire consacrée à son groupe pour remettre à l’ordre du jour le mode de calcul de cette aide financière. Sa proposition de loi, visant à désindexer l’allocation des revenus du conjoint, a été rejetée en milieu d’après-midi.

Dans le même temps - hasard du calendrier -, le Sénat organisait un débat sur le respect des « droits des personnes en situation de handicap », en réaction aux critiques formulées par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU à l’égard de la politique française. Mais à plusieurs reprises, la réforme de l’AAH s’est invitée dans les différentes interventions, laissant présager de la teneur que prendront les débats mardi, lorsqu’un autre texte sur ce même sujet sera débattu dans l’hémicycle.

Mise en place en 1975, l’AAH est attribuée aux adultes dont le taux d’incapacité est d’au moins 80 %. Elle est calculée en fonction des ressources de la personne concernée, additionnées, si elle est en couple, à celles de son conjoint, le tout ne devant pas dépasser un certain plafond. Et c’est là le nœud du problème : certains bénéficiaires se retrouvent contraints de renoncer à cette allocation lorsqu’ils légalisent leur union. Une situation dénoncée par de nombreuses associations, qui parlent d’un « prix de l’amour » et pointent les risques liés à une perte d’autonomie financière, notamment pour des femmes qui peuvent se retrouver exposées à des violences conjugales. « Cette société enferme les femmes en situation de handicap qui vivent en couple et se sentent à 75 % dépendantes de leurs conjoints », a dénoncé jeudi, à la tribune, la sénatrice communiste Laurence Cohen qui s’exprimait pour le groupe CRCE. « D’autant que l’on estime que 34 % des femmes en situation de handicap en France, ont subi des violences physiques et sexuelles de la part d’un partenaire ou ex-partenaire. »

Un minimum social ou une prestation individualisée ?

En début d’année, les oppositions, faisant front commun à l’Assemblée et au Sénat sur cette question, se sont prononcées en faveur de la « déconjugalisation » de l’allocation, c’est-à-dire un mode de calcul qui ne prendrait plus en compte les revenus du conjoint. « L’AAH est-il un revenu minimum de subsistance de l’État, calculé selon le foyer familial ou une véritable prestation sociale de compensation du handicap, individualisée, selon la situation propre du demandeur ? Pour notre part, la réponse est évidemment la seconde », a tenu à résumer Laurence Cohen. Une manière de battre en brèche l’argumentaire du gouvernement, selon lequel la réforme du mode de calcul serait dangereuse pour l’équilibre de la politique de solidarité, avec des effets de bord sur l’ensemble des minima sociaux et la fiscalité. « En individualisant une allocation sans condition de ressources, nous réduisons à néant le fondement même de notre solidarité », avait notamment estimé devant la commission des Affaires sociales du Sénat Sophie Cluzel, la secrétaire d’État en charge des personnes handicapées. Car en France, les minima sociaux sont d’abord déterminés par un principe de solidarité familiale, ce qui explique que la situation du foyer passe avant celle de l’individu.

Certains élus reprochent toutefois au gouvernement de dissimuler des préoccupations comptables. « Bercy a émis un avis défavorable sur cette mesure, la ministre a préféré invoquer une atteinte à la solidarité nationale, et maintenant on voit la majorité complètement empêtrée », décrypte auprès de Public Sénat un membre de l’opposition. Initialement chiffré à 11 milliards par le Sénat, le coût de la réforme avait été ramené à 560 millions après les retouches de la commission des Affaires sociales. Le 17 juin, le gouvernement a réussi un passage en force à l’Assemblée nationale grâce à un vote bloqué, contraignant ainsi les députés à s’exprimer sur une version du texte ne retenant que les amendements du gouvernement, et donc expurgée de la déconjugalisation. À la place, l’exécutif a introduit un abattement forfaitaire de 5 000 euros sur les revenus du conjoint, soit une centaine d’euros de gains mensuels pour quelque 120 000 couples à partir de 2022. C’est ce même texte qui fera son retour mardi prochain au Sénat, pour une deuxième lecture.

« Il y a le volet financier, mais il y a aussi un volet humain »

Pour l’heure, le dispositif introduit par le gouvernement est jugé insuffisant au sein de la Chambre Haute. « Aujourd’hui, si vous êtes en situation de handicap, parce que vous vous mettez en couple, on réduirait votre allocation. C’est une injustice. La démarche du Sénat répondait à une attente sociétale profonde en faveur d’une plus grande autonomie financière au sein du couple », a voulu rappeler lors du débat de jeudi le sénateur LR Guillaume Chevrollier. « Il y a le volet financier, mais il y a aussi un volet humain et il faut toujours l’avoir à l’esprit », a souligné quelques minutes plus tard son collègue Marc Laménie. Le sénateur LREM Dominique Théophile a toutefois tenu à rappeler que cette allocation avait été revalorisée deux fois depuis le début du quinquennat, à hauteur de 900 euros par mois.

Le sénateur LR Philippe Mouiller, rapporteur du premier texte, ne doutait pas que la proposition de loi faite par Aurélien Pradié soit retoquée, elle aura eu le mérite, selon lui, de servir de poil à gratter en cette période préélectorale. « Elle permet de clarifier les positions des uns et des autres, et notamment celle du gouvernement, avant la présidentielle », relève-t-il. « En revanche, ajoute l’élu, s’il y a une possibilité de faire passer la mesure, ce sera sur la seconde lecture mardi au Sénat, avec derrière, le débat qui pourrait s’ouvrir en Commission mixte paritaire. »

Rejoignant la position défendue jeudi par Laurence Cohen, il estime qu’il convient de faire sortir cette allocation des minima sociaux pour parvenir à un compromis. « Il y a une ambiguïté autour de l’AAH qui peut s’apparenter à une prestation individuelle. La question n’a jamais été tranchée mais nous avons tous les arguments pour démontrer qu’elle ne fait pas partie des minima sociaux ! »

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