En politique, il faut parfois savoir accélérer. On attendait une prise de parole d’Emmanuel Macron entre le second tour des municipales le 28 juin, et le 14 juillet. Le chef de l’État s’adressera finalement aux Français dimanche, à 20 heures. Une prise de parole attendue après une crise sanitaire à l’origine de près de 30.000 morts, un confinement, suivis maintenant de la plus grave crise économique depuis 1945.
« On sort du tunnel, voilà où on veut aller »
« Il va faire le bilan du confinement, du déconfinement, qui s’est bien passé », souligne le président du groupe LREM, François Patriat. Un point à mettre à son actif, alors que rien n’était gagné. Et bien sûr, il devrait évoquer « comment il envisage le plan de relance ».
On connaît « déjà plusieurs plans : automobile, aéronautique, culture » rappelle le député de Paris Sylvain Maillard, porte-parole du groupe LREM à l’Assemblée. Mais il voit plutôt Emmanuel Macron « dessiner des grands axes. Comment il trace le cap ». Sylvain Maillard ajoute : « On était le nez dans le guidon à pédaler comme des fous pour sortir de ça, et là, ça permet à tous de relever la tête et de dire, on sort du tunnel, voilà où on veut aller. Son adresse est vraiment attendue ».
« Il veut être l’apporteur de bonnes nouvelles et son Premier ministre sera l’apporteur de mauvaises »
Le communicant Philippe Moreau Chevrolet ne s’attend pas, pour sa part, à des annonces précises sur « l’après », mais plutôt sur la fermeture du chapitre Covid-19. « Je pense qu’il veut boucler la boucle et préempter la bonne sortie de crise. Il veut être celui qui annonce la bonne nouvelle du déconfinement et de la maîtrise de l’épidémie. Il veut être l’apporteur de bonnes nouvelles et son premier ministre sera l’apporteur de mauvaises. Il veut maîtriser la séquence » analyse le dirigeant de MCBG Conseil.
Et parler dès maintenant semble être le moment le plus judicieux, selon Philippe Moreau Chevrolet : « Il a fait un coup de poker en annonçant le déconfinement. Il va prendre ses gains comme un joueur de poker. C’est le moment où il faut le faire, à la veille de municipales qui seront désastreuses. Il va prendre alors une énorme baffe ».
À moins de faire tapis en annonçant sa démission ? L’idée semble invraisemblable, mais selon Le Figaro, c’est Emmanuel Macron lui-même qui l’a évoquée au cours d’un échange avec des donateurs du premier cercle de 2017. Une occasion de reprendre la main, « sûr de gagner car il n’y a personne en face ». Philippe Moreau Chevrolet n’y croit pas une seconde. « Dans son état de popularité et l’état du pays très énervé, ce serait suicidaire » dit-il. Selon le spécialiste de la communication, « l’idée est d’essayer d’événementialiser le plus possible la déclaration de dimanche. Mais c’est de la com’, du marketing ».
Modération salariale et retour de la réforme des retraites ?
S’il devrait donner les grands axes, Emmanuel Macron n’en est pas moins attendu sur plusieurs sujets, comme l’antiracisme, après les manifestations des derniers jours. Les soignants et l’hôpital bien sûr. On voit mal comment il ne parlera pas de la crise et de l’emploi, ou plutôt du chômage partiel. Selon certains médias, la question de la réforme des retraites par point, qu’on croyait enterrée, pourrait revenir sur la table. Et des efforts pourraient être demandés aux Français. Emmanuel Macron viserait « une modération salariale », selon Libération, qui a participé à un déjeuner organisé avec le chef de l’État. L’idée de la participation en entreprise pourrait revenir.
Les collectivités territoriales devraient aussi être de la partie. Le projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration) est toujours dans les cartons. Sera-t-il enrichi, alors que les collectivités demandent souvent plus d’autonomie ? Un sujet qui intéressera le Sénat, dont la délégation aux collectivités prépare des propositions. Le chef de l’État a aussi demandé dans un courrier aux présidents des chambres de participer au brain storming.
« Maintien des fondamentaux » et « inflexion » sur la solidarité et l’écologie
Ceux qui attendent des grands changements pourraient être déçus. Comme l’expliquait la semaine dernière à publicsenat.fr un secrétaire d’État, ce sera plutôt « un maintien des fondamentaux, avec l’émancipation par le travail ; la question de l’égalité réelle versus égalité formelle ; une attention portée aux territoires, qui est un acquis de la période du grand débat ; et une inflexion assez forte sur la solidarité et l’écologie. Il y aura une accélération autour de la protection sociale et de l’écologie. Le moment est suffisamment mûr ». Reste à voir où le Président met la barre sur ce point.
Alors que la réforme constitutionnelle était enterrée, il n’est pas exclu que les questions institutionnelles fassent leur retour. Certains poussent en ce sens. « Richard Ferrand (président de l’Assemblée) est pour la réforme du Conseil économique social et environnemental » selon une députée LREM. Mais la même ajoute, « c’est d’une déconnexion finie. Les gens veulent savoir comment trouver ou garder leur emploi ».
« Il est clair qu’il n’y aura pas de changement de cap »
L’opposition attend de voir, mais pense déjà que le compte n’y sera pas. « Il est clair qu’il n’y aura pas de changement de cap. J’espère une contribution des plus favorisés à l’effort. J’ai peu d’espoir. Il restera droit dans ses bottes » pense Patrick Kanner, président du groupe PS. Avec la hausse du déficit, il craint que « ce soit le grand public, par la prolongation de la CRDS, qui paie à un moment. C’est un ruissellement de la dette publique qui sera payé par le grand public ».
Si l’idée de la modération salariale se confirme, « on fera payer toujours aux mêmes l’effort » dénonce par avance l’ancien ministre de François Hollande. Patrick Kanner espère plutôt « un bouclier social ». Il renvoie Emmanuel Macron au « plan d’action de 130 milliards d’euros » que vient de présenter le Parti socialiste. « Justement réparti, il permettrait de relancer le pays » vante Patrick Kanner.
« Il n’a aucune marge de manœuvre du point de vue économique et budgétaire »
Le sénateur LR Philippe Dallier remarque qu’il faudra attendre en réalité le budget à l’automne pour voir « les mesures de relance. Là, on est toujours dans le sauvetage des meubles, avec un troisième budget rectificatif ». Sur les collectivités, il « attend de voir jusqu’où le gouvernent veut aller » mais « la crise aura eu le mérite de mettre en évidence des dysfonctionnements, notamment avec les Agences régionales de santé » (lire notre article).
« Il n’a aucune marge de manœuvre du point de vue économique et budgétaire, si ce n’est de laisser filer les déficits, mais c’est déjà fait » s’inquiète le vice-président LR du Sénat. « La situation économique et budgétaire est extrêmement grave. Tous les chiffres sont au rouge foncé » insiste le sénateur de Seine-Saint-Denis, selon qui « la question du temps de travail et des impôts de production doit être posée ». Et d’ajouter : « Les sujets sur la table sont tellement énormes, que je n’attends pas le Président sur des sujets de calculs électoraux ».
« Il risque de ne plus avoir d’espace à gauche et à droite »
La politique s’impose pourtant bien à Emmanuel Macron. D’autant que selon Philippe Moreau Chevrolet, la voie est étroite. « La fiction marketing du nouveau monde a été efficace, dans une logique assez populiste, pour se porter au pouvoir. Aujourd’hui, la question est : quelles nouvelles pistes mettre en place » dit-il.
Or l’étau se resserre. « Il est en train de perdre à gauche au Parlement, où sa majorité se déchire. La logique serait de faire des concessions de ce côté, mais la droite se recompose. Le Premier ministre représente une droite techno qui incarne le pouvoir. C’est surtout le retour de la droite qu’on voit. Le fond de l’air est plutôt du côté d’Édouard Philippe » analyse le communicant. Bilan des courses, « Emmanuel Macron risque de ne plus avoir d’espace à gauche et à droite et se retrouver un parti centriste ». C’est François Bayrou qui va être content. Pour Philippe Moreau Chevrolet, « il s’est mis dans une situation où la seule personne qui peut le sauver… c’est lui-même ».