C’est un véritable camouflet pour le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. En effet, le Conseil constitutionnel a largement censuré la proposition de loi de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio (LR) qui permettait d’allonger la durée de rétention administrative pour les étrangers condamnés pour des faits d’une particulière gravité. Porté par le bloc central qui y voyait l’opportunité de réintroduire certaines dispositions censurées par le Conseil constitutionnel lors de sa décision relative à la loi immigration de 2024. A l’Assemblée nationale, le texte avait obtenu le soutien du Rassemblement national et avait été adopté définitivement par le Parlement le 9 juillet avant une saisine du Conseil constitutionnel par les parlementaires de gauche.
Le ministre de l’intérieur avait fait de ce texte un combat personnel à la suite du meurtre de la jeune Philippine en septembre 2024. L’étudiante de 19 ans, a été tuée par un Marocain déjà condamné pour viol et visé par une obligation de quitter le territoire. Placé en centre de rétention administrative à sa sortie de prison, celui-ci avait été remis en liberté sans être expulsé, faute de laissez-passer consulaire de son pays d’origine. Devant la représentation nationale, Bruno Retailleau, déclarait en juillet que « Si nous avions eu cette loi-là, [la vie de Philippine] serait sauve ». Au Sénat, la gauche, qui prédisait la censure du Conseil constitutionnel, s’était mobilisée pour dénoncer « un texte CNews ».
Malgré la censure du Conseil constitutionnel, le ministre de l’intérieur a fait savoir qu’il déposerait « un texte modifié » rapidement. Dans son communiqué, Bruno Retailleau affirme également que « c’est au peuple souverain qu’il revient de se prononcer sur les questions essentielles de la sécurité et de l’immigration, par référendum ».
Une durée de rétention jugée « particulièrement longue » par le Conseil constitutionnel
« L’élargissement auquel procède la loi du champ des personnes pouvant être maintenues en rétention pour une durée particulièrement longue n’est pas proportionné à l’objectif de lutte contre l’immigration irrégulière poursuivi », explique le Conseil constitutionnel dans un communiqué de presse. « La motivation est assez originale quand même, l’idée que la durée soit censurée presque en elle-même est assez innovante puisque le Conseil constitutionnel évoque la notion de « durée particulièrement longue » pour motiver sa décision », note Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public à l’Université de Rouen. Les juges de la rue de Montpensier ont estimé que ces dispositions du texte portaient une atteinte disproportionnée à la liberté individuelle des personnes, un principe protégé par l’article 66 de la Constitution.
Concrètement, les dispositions de la loi permettaient de placer un individu en rétention administrative en l’absence de condamnation définitive et donnaient également la possibilité à l’administration de prendre une décision sans caractériser l’existence d’une menace actuelle et d’une particulière gravité pour l’ordre public. « C’est le caractère général de la mesure qui entraîne l’inconstitutionnalité, au fond le Conseil constitutionnel répond que c’est une notion mal travaillée juridiquement. Une liberté est laissée au législateur, ici, le Conseil constitutionnel souhaite cependant encadrer en conciliant des objectifs constitutionnels qui sont contraires », détaille Anne-Charlène Bezzina.
« Le Conseil constitutionnel évite le piège du politique en assurant la conciliation »
Une fois de plus, le Conseil constitutionnel n’émet pas d’incompatibilité absolue et recherche l’existence d’une conciliation entre deux objectifs ayant une valeur juridique similaire. Ainsi, concernant l’article 5 qui permet de placer en rétention un demandeur d’asile présentant une menace à l’ordre public ou qui présente un risque de fuite, les juges constitutionnels estiment que cette disposition ne contrevient pas à la Constitution et respecte un équilibre entre l’objectif de sauvegarde de l’ordre public et celui de protection des libertés individuelles.
Par ailleurs, les juges ajoutent que cette mesure ne peut être prise qu’en dernier recours, si l’assignation à résidence n’est pas suffisante. « Le Conseil constitutionnel évite le piège du politique en assurant la conciliation et pose la question de savoir comment on mesure la dangerosité de quelqu’un qu’on place en rétention administrative », analyse Anne-Charlène Bezzina.
Une autre disposition, relative à la prise d’empreintes digitales et la prise de photographies d’un étranger sans son consentement a été validée alors qu’une mesure similaire avait été censurée en 2024. Cette fois-ci, le Conseil constitutionnel estime que le dispositif est entouré de garanties notamment grâce à la nécessité de solliciter l’autorisation du procureur de la République.