Ce sera non. La Commission européenne, gardienne des principes de concurrence à l’intérieur du marché unique, a refusé ce 6 février de donner son feu vert à la fusion entre Siemens et Alstom, qui voulaient unir leurs activités ferroviaires, pour rivaliser avec la Chine. Bruxelles s’est inquiétée d’un risque de position dominante, et donc d’un renchérissement du prix des rames, et in fine des billets pour les consommateurs. Le verdict a été très mal accueilli, aussi bien à Berlin qu’à Paris. Devant notre micro, Bruno Le Maire a dénoncé une « faute politique » et une « erreur économique », avant d’appeler à changer les règles du jeu.
Au Sénat, le veto européen suscite aussi de vives réactions. Plusieurs sénateurs considèrent que le moment est venu de modifier les règles qui régissent la concurrence, dans un contexte international de plus en plus inquiétant pour les groupes européens. « La Commission européenne applique les règles de la concurrence. Si elle a pris cette décision, c’est qu’il y avait des risques de condamnation », réagit Cédric Perrin auprès de Public Sénat. Le sénateur (LR) du Territoire-de-Belfort, où est implanté un site Alstom, a « pris acte » de cette décision, à laquelle il s’attendait.
« Il y a besoin de regroupements ! Il faut qu’à un moment donné l’Europe prenne conscience de tout cela »
Face à l’émergence d’un géant chinois ferroviaire, CRRC, l’élu belfortain considère qu’il y a désormais urgence à changer la réglementation européenne. « Quand est-ce que l’on va arrêter de voir nos entreprises détruites ou pillées par une concurrence étrangère, qui respecte de moins en moins les règles du commerce international ? […] Il y a besoin sur le ferroviaire, et dans d’autres secteurs, d’avoir des regroupements, sinon vous ne pouvez pas lutter ». Et d’ajouter : « Il faut qu’à un moment donné l’Europe prenne conscience de tout cela. »
Le sénateur LR n’est pas le seul à souligner que ces enjeux prennent une autre dimension à moins de quatre mois des élections européennes. « Cela prouve que la Commission est fondamentalement très technocrate », a critiqué Jacques Bigot, sur notre antenne, ce mercredi après-midi.
« Très inquiet de l’impact politique de telles décisions sur les européennes »
« À la fois, elle semble ne pas mesurer l’importance de la mondialisation et de la concurrence mondiale […] Et en même temps, on sent bien qu’elle ne se préoccupe pas des réalités de l’emploi sur nos territoires », a ajouté le sénateur socialiste, ancien vice-président d’une mission d’information sur Alstom au Sénat. « Je suis très inquiet de l’impact politique que de telles décisions pourraient avoir dans quelques mois lors des élections européennes. »
Alstom-Siemens : Bigot « très inquiet de l’impact de telles décisions sur les européennes »
Jacques Bigot (PS), « très inquiet de l’impact de telles décisions sur les européennes »
Le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille, a lui aussi accueilli la nouvelle avec véhémence. « L’Europe tue l’Europe, et c’est cela que nous ne voulons plus », a tweeté ce cadre de l’UDI, l’un des partis les plus europhiles sur l’échiquier politique.
La présidente de la commission des Affaires économiques du Sénat, la sénatrice (LR), Sophie Primas, appelle aussi de son côté à modifier des règles de la concurrence devenues « obsolètes ». « Leur interprétation aveugle sont des aberrations économiques qui vont à l’encontre des intérêts français et européens », a-t-elle dénoncé.
Recherche d’un rapprochement avec Thalès
Avant que cette mise à jour ne se fasse un jour, plusieurs sénateurs appellent le gouvernement à réagir et à trouver une porte de sortie. « Je suggère au gouvernement de travailler sur la recherche d’un accord national, pour renforcer Alstom, Thalès, avec peut-être des concours de la Caisse des dépôts et consignations », a conseillé Jacques Bigot. Ce rapprochement avec Thalès, Bruno Le Maire ne l’a pas exclu aujourd’hui. Le ministre envisage tous les scénarios.
Cédric Perrin plaide, lui, pour la création d’alliances industrielles et celle d’une « coentreprise », répartie à 50-50 entre Alstom et un partenaire.
« Prudent », après le résultat de la fusion entre General Electric et la branche énergie d’Alstom, Cédric Perrin garde quand même la « conviction » que des « regroupements sont nécessaires afin d’atteindre des tailles critiques capables d’affronter la concurrence ».
Au sein du groupe communiste du Sénat, Fabien Gay, qui parle d’ « absorption », se « félicite que ce projet capote ». « On considère pour notre part que c’était un scandale d’État d’aller donner Alstom à Siemens. » Pour lui, ce dossier, asymétrique, comportait de trop nombreux risques sur le maintien des sites industriels en France. « On n’est pas contre une coopération ou un groupement industriel – l’intersyndicale y est favorable – mais là c’était une donation. Ce n’est pas du tout un Airbus du ferroviaire, les États n’en font pas du tout partie. »
Au final, le sénateur de Seine-Saint-Denis constate que ce sont « de mauvaises raisons qui ont conduit la Commission à refuser cette absorption. »