Altercation entre les sénateurs de gauche et Gérald Darmanin : « Vous avez un problème avec le Parlement »

Altercation entre les sénateurs de gauche et Gérald Darmanin : « Vous avez un problème avec le Parlement »

L’examen de l’article 22 de la proposition de loi Sécurité globale relatif, notamment, à l’utilisation de drones de surveillance par les forces de l’ordre, a été le théâtre d’échanges tendus entre la gauche du Sénat et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Louis Mollier-Sabet

Temps de lecture :

2 min

Publié le

Mis à jour le

C’est la discussion d’un amendement de Guillaume Gontard supprimant la possibilité d’utiliser des drones pour la surveillance des frontières qui a servi de pomme de discorde entre les sénateurs de gauche et le ministre de l’Intérieur. Le sénateur écologiste a d’abord développé un argumentaire technique et budgétaire sur le coût de telles politiques de surveillance des frontières : « Le retour d’expérience de la surveillance de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique nous montre que la surveillance par drone est une gabegie financière inefficace. En Europe l’explosion du budget de l’agence Frontex avec l’automatisation de la surveillance est toujours plus grande. »

Mais c’est ensuite la conclusion politique de Guillaume Gontard qui a fait basculer le débat dans une autre dimension : « C’est une nouvelle façon d’accentuer le drame qui continue de se jouer en Méditerranée, qui ne sert que l’industrie de la surveillance. La surveillance des frontières par drone semble aussi inhumaine que coûteuse. »

Les forces de l’ordre travaillent « dans des conditions extrêmement difficiles, parfois avec des parlementaires qui viennent [les] embêter, pour ne pas dire plus. »

Surveillance des frontières par drone : "Des cas d'inhumanité et ça ne fonctionne pas." G. Gontard
02:00

Face à la fin de non-recevoir de Marc-Philippe Daubresse, rapporteur LR du texte, le sénateur écologiste de l’Isère remet en cause l’ensemble de la politique migratoire française, notamment en ce qui concerne la gestion de la frontière franco-italienne : « Je vous invite à y aller réellement : les cas d’inhumanité et l’utilisation de drones dans les conditions de montagne, ça ne fonctionne pas. Le doublement des effectifs ne fonctionne pas. Il faut ouvrir les yeux, regarder et voir que d’autres politiques seraient peut-être utiles pour mettre en place un accueil digne ou en tout cas que la politique mise en place se fasse dans les règles des droits de l’homme et des droits tout court. Ce n’est pas ce qu’il se passe à Montgenèvre, où l’on renvoie les demandeurs d’asile en Italie. Il est temps que la France respecte les droits. »

"Parfois des parlementaires viennent embêter, pour ne pas dire plus, les gendarmes." G. Darmanin
01:31

Face à cette critique, c’est le ministre de l’Intérieur qui prend cette fois la parole, en se montrant pour le moins offensif : « Je ne peux pas laisser dire des choses ainsi dans l’hémicycle. Frontières et souveraineté ne sont pas des gros mots. Les conditions dans lesquelles les étrangers viennent sur le territoire sont on ne peut plus dignes et conformes aux droits de l’Homme. La France est le pays qui accueille le plus de demandeurs d’Asile en Europe proportionnellement à sa population [142 000]. On peut dire que les policiers, les gendarmes et les agents de la préfecture, travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, parfois avec des militants politiques et parfois y compris avec des parlementaires qui viennent embêter, pour ne pas dire plus, les policiers et les gendarmes. On peut souligner le grand calme et l’efficacité de la police et la gendarmerie de la République. »

« On ne peut pas laisser dire n’importe quoi dans l’hémicycle sur les services de l’Etat. »

"On ne peut pas laisser dire n’importe quoi dans l’hémicycle sur les services de l’Etat" G. Darmanin
02:39

C’est cette mise en cause directe des parlementaires qui entraveraient le travail des forces de l’ordre à la frontière italienne qui a mis le feu aux poudres, d’autant plus que Gérald Darmanin enfonce le clou : « On ne peut pas laisser dire ce que vous avez dit sur la police de la République qui fait son travail dans de grandes conditions de dignité. On ne peut pas laisser dire n’importe quoi dans l’hémicycle sur les services de l’Etat. C’est insultant pour les policiers et les gendarmes qui travaillent tous les jours dans l’humanité et des conditions difficiles. »

« J’ai le sentiment que le ministre a un problème avec le Parlement. »

Tollé sur les bancs de la gauche du Sénat. Patrick Kanner, président du groupe socialiste, demande un rappel au règlement : « Ce n’est pas la première fois que vous utilisez cette phrase à l’égard d’un sénateur ou sénatrice : « Vous dites n’importe quoi ». « Un peu de respect, je le dis très simplement. » Esther Benbassa, sénatrice écologiste embraye : « Nous sommes des parlementaires et c’est notre travail de visiter les centres pour les réfugiés. Nous allons à la frontière franco-italienne. Arrêtez de garder cette sorte de suspicion sur les parlementaires qui iraient à l’encontre des lois. Souvenez-vous de l’histoire qu’il y a eu dans le passé quelques parlementaires à aider ceux qui fuyaient la guerre et les camps. Nous, nous faisons notre travail, mais vous au niveau de l’accueil des migrants, votre politique n’est qu’un échec. » Même son de cloche chez Sophie Taillé-Polian, sénatrice du groupe écologiste : « Vous ne pouvez pas dire que les migrants et les réfugiés sont accueillis dignement dans notre pays, ça n’est pas vrai. Beaucoup de Français peuvent en témoigner quand ils vivent à côté d’installations de fortune. Ce n’est pas parce qu’il y a (et heureusement) des demandes d’asile traitées que l’on peut dire que les choses se passent bien. On demande à des agents des forces de l’ordre de faire des choses pour les décourager. On accepte aussi que des journalistes n’aient pas le droit de venir voir ce qu’elles font. Nous faisons donc notre travail d’aller voir ce qu’il se passe pour contrôler le travail du gouvernement. »

Jérôme Durain y voit une véritable dégradation des rapports de Gérald Darmanin, et du gouvernement, avec le Parlement et au Sénat : « J’ai le sentiment que le ministre a un problème avec le Parlement : nous disons n’importe quoi, « je ne peux pas vous laisser dire ça », les parlementaires qui embêtent les forces de l’ordre… Excusez-nous, nous sommes aussi attachés au bon fonctionnement de nos institutions et nous sommes les premiers dans nos circonscriptions à accompagner et respecter le travail de nos policiers et gendarmes. Le côté ‘on a le monopole de la sécurité’ commence à devenir un peu fatigant. »

Le sénateur socialiste remet ainsi en cause l’ensemble du travail de l’exécutif sur cette proposition de loi Sécurité globale : « On voit tous les amendements de suppression que vous avez déposés sur l’excellent travail de la commission des Lois. La Défenseure des droits, la CNCDH, la CNIL ne disent pas n’importe quoi. Nous faisons notre travail d’amélioration du texte en tant que parlementaires dans une procédure simplifiée, sur un texte bancal. Ce texte bricolé n’est pas le bon véhicule législatif pour traiter de sujets aussi importants. C’est une énième loi de sécurité faite à la va-vite sous la pression d’événements malheureux. »

« Il faut reconnaître l’exigence d’une évolution des moyens de sécurité pour garantir les libertés. »

Jérôme Durain finit par en revenir au fond de l’amendement qui a déclenché cette passe d’armes : « En l’espèce, sur les drones, quand la CNCDH s’inquiète en disant que c’est un nouveau type de rapports entre police et population caractérisé par la distance et la défiance, quand les magistrats, les avocats, les associations de défense des Droits de l’Homme disent cela, je ne pense pas qu’il faille traiter ce travail par le mépris. Nous considérons que ces mesures sont prématurées, inquiétantes, voire dangereuses. »

"Il faut reconnaître l’exigence d’une évolution de la sécurité pour garantir les libertés." F. Gatel
02:28

Du côté de la majorité sénatoriale, on est un peu pris entre les mots assez durs d’un ministre envers les parlementaires et un accord relatif avec le gouvernement sur le fond du texte. En témoigne l’intervention de Françoise Gatel, sénatrice centriste, qui appelle la gauche sénatoriale à « reconnaître » l’utilité de ce genre de dispositifs sur le fond et à ne pas dériver sur un débat concernant la politique migratoire de la France : « Je ne dirai jamais que vous dites n’importe quoi, mais les propos sont extravagants et peuvent être hors sujet. Il y a une instrumentalisation de dispositifs qui doivent veiller à la fois à la sécurité des forces de l’ordre et à nos libertés qui prennent un tournant dangereux. Il faut reconnaître l’exigence d’une évolution des moyens de sécurité pour garantir les libertés. »

La sénatrice d’Ille-et-Vilaine en revient aux débats semblables qui ont agité l’hémicycle hier soir : « J’ai été très touchée par ce que vous avez dit hier Mme Assassi sur votre volonté de citoyenne de pouvoir manifester pour exprimer vos idées. Je salue vos propos et votre engagement. En même temps j’ai entendu d’autres propos, qui m’ont profondément choqués hier. Si nous voulons pouvoir aller manifester dans notre démocratie, nous avons besoin d’une sécurité qui permette à des gens d’aller manifester comme vous l’avez dit hier avec leurs enfants en toute tranquillité. » Ainsi la majorité sénatoriale et la commission des lois auraient réussi à équilibrer la proposition de loi de la majorité présidentielle : « Des manifestations sont instrumentalisées par des gens qui n’ont qu’une envie c’est d’utiliser la cause de ceux qui vont manifester pour aller détruire : je l’ai vécu à Rennes pendant des mois. Sincèrement je pense que notre commission a veillé à sécuriser les choses : il faut que nous soyons réalistes et que nous dépassions toute posture. »

Dans la même thématique

Altercation entre les sénateurs de gauche et Gérald Darmanin : « Vous avez un problème avec le Parlement »
3min

Politique

« Il faut sortir du macronisme, parce qu’il a fait beaucoup de mal à la démocratie », affirme Julien Aubert

Michel Barnier comme Premier ministre doit être « un choix d’opposition, de cohabitation » pour Julien Aubert. Sur la situation politique actuelle, Julien Aubert s’affiche en opposition à la politique menée par le camp présidentiel : « Le message des urnes en juin dernier, au premier comme au deuxième tour, c’est ‘on ne veut plus du en même temps, on ne veut plus d’Emmanuel Macron, et on ne veut plus du bloc central’ Qu’est-ce que l’on entend depuis quelques semaines ? Une reconstitution du bloc central ». Pour le vice-président des Républicains, « il faut sortir du macronisme, parce qu’il a fait beaucoup de mal à la démocratie, le ‘en même temps’ a fait beaucoup de mal à la démocratie ». Pour cela, Michel Barnier est « un excellent choix », à condition qu’il soit considéré comme « un choix d’opposition, de cohabitation » précise le vice-président des Républicains. En ce qui concerne les ministres pouvant composer le futur gouvernement, Julien Aubert estime qu’ « il ne sera pas compréhensible pour les électeurs d’avoir un gouvernement de gauche et de macronistes, alors que pendant 7 ans les Républicains ont déclaré qu’ils étaient un parti d’opposition […] et qu’ils avaient un problème de nature avec le macronisme ». Hier matin, Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur a annoncé sa démission en diffusant sur X/Twitter sa lettre de démission adressée à Ursula von der Leyen. Dans ce courrier, l’ancien commissaire européen dénonce la gouvernance de la présidente de la Commission européenne : « Il y a quelques jours, dans la toute dernière ligne droite des négociations sur la composition du futur Collège, vous avez demandé à la France de retirer mon nom – pour des raisons personnelles qu’en aucun cas vous n’avez discutées directement avec moi – et proposé, en guise de compromis politique, un portefeuille prétendument plus influent pour la France au sein du futur Collège ». Pour Julien Aubert, le fait que « la présidente de la Commission européenne parvienne à forcer le choix d’un Etat fondateur de l’Union en lui faisant un chantage au portefeuille, cela montre bien que l’influence de la France s’est affaiblie ». Dans la foulée de cette démission, Emmanuel Macron a ainsi proposé Stéphane Séjourné pour remplacer Thierry Breton. Un choix que le vice-président des Républicains qualifie de « recasage ».

Le

Paris: Concertation Emmanuel Macron et Nouveau Front Populaire Elysee
10min

Politique

Gouvernement Barnier, destitution, retraites… Les hésitations de la gauche sur la stratégie à adopter

Le Nouveau Front Populaire (NFP) peine à porter une voix commune sur les prochaines échéances parlementaires, malgré la volonté partagée par l’ensemble des groupes de gauche de censurer le futur gouvernement de Michel Barnier. En outre, l’affrontement des derniers jours entre Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin interroge sur la place de LFI au sein de l’alliance.

Le

Paris: Designation Bureau Assemblee Nationale
5min

Politique

Destitution : la procédure lancée par LFI va-t-elle pour la première fois passer le filtre du Bureau de l’Assemblée nationale ?

Mardi, la recevabilité de la proposition de résolution, déposée par le groupe LFI visant à « engager la procédure de destitution » à l’encontre du chef l’Etat sera examinée par le Bureau de l’Assemblée nationale. Si jamais, le Bureau décidait pour la première fois de transmettre la procédure de résolution à la commission des lois, de nombreuses autres étapes resteraient à franchir afin que la destitution prévue à l’article 68 de la Constitution soit effective.

Le

Current affairs question session with the government – Politics
8min

Politique

Gouvernement Barnier : vers « une confrontation beaucoup plus frontale qu’avant » au Sénat

Avec le soutien de la droite à Michel Barnier, le groupe LR va se retrouver dans la majorité gouvernementale. De quoi tendre les débats face au « front des groupes de gauche » ? Patrick Kanner, à la tête des sénateurs PS, promet déjà une opposition musclée contre le « couple Barnier /Macron ». Il a demandé à ses troupes de « se préparer à une ambiance différente ». Mais pour le sénateur LR Max Brisson, « le Sénat restera le Sénat. Les clivages politiques ne sont pas du tout comparables à ce qu’ils sont à l’Assemblée ».

Le