Amélie de Montchalin imagine « l’action publique » de 2050
La ministre de la Transformation et de la fonction publiques était auditionnée par la délégation sénatoriale à la prospective ce jeudi. Elle a défendu sa vision de la fonction publique de demain, enfin de « l’action publique », en tenant un discours volontariste, mais que certains sénateurs ont pu trouver un peu désincarné, sur un sujet aussi politique en France.

Amélie de Montchalin imagine « l’action publique » de 2050

La ministre de la Transformation et de la fonction publiques était auditionnée par la délégation sénatoriale à la prospective ce jeudi. Elle a défendu sa vision de la fonction publique de demain, enfin de « l’action publique », en tenant un discours volontariste, mais que certains sénateurs ont pu trouver un peu désincarné, sur un sujet aussi politique en France.
Louis Mollier-Sabet

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« 30 ans c’est long, mais pour réussir à horizon 30 ans, il y a des choix qui se prennent maintenant. » Et des orientations nouvelles dans l’administration, il y en a effectivement depuis quelques années. Par la force des choses déjà, la dématérialisation et la transition numérique transforment profondément les relations des citoyens avec l’Etat. Amélie de Montchalin a par exemple expliqué que « ¾ des contacts entre les Français et le service public passent déjà par le numérique. » Cette proportion n’est pas amenée à baisser, mais la ministre de la Transformation et de la fonction publiques entend mener des changements plus profonds et structurants que la dématérialisation : « Le numérique ne doit pas être vu comme un outil qui écarterait les plus fragiles, c’est une vraie opportunité. Il ne faut pas simplement remplacer le fait de cocher des cases sur un papier par le fait de cocher des cases sur un site internet. Il faut des décisions structurantes qui produisent du ‘bon numérique’, en le rendant plus inclusif ou en allant au-devant des démarches pour lutter contre le non-recours. »

« L’action publique » plutôt que « réforme de l’Etat »

Bien-sûr, la ministre défend le bilan du gouvernement en la matière, mais au-delà des réformes menées pendant le dernier quinquennat, Amélie de Montchalin fait aussi des évolutions qu’elle dessine aujourd’hui des transformations « inévitables » et liées à des changements structurels profonds, qui seraient donc amenés à advenir, peu importent les orientations politiques du prochain gouvernement. Il était donc moins question aujourd’hui des aspects plus politiques de la question, liée à la réforme de la haute fonction publique menée par le gouvernement, qui comprend notamment la suppression de l’ENA. Sur ce sujet, le torchon brûle entre le gouvernement et le Sénat, qui fustige la suppression du corps préfectorale et une attaque injuste sur la haute administration formée par l’ENA. La sénatrice Christine Lavarde ne s’y trompe pas, « cela mériterait une audition à part entière. » Amélie de Montchalin, qui n’a déjà pas fait ratifier l’ordonnance d’habilitation à légiférer pour mener cette réforme par le Parlement, n’aura pas non plus à s’en expliquer devant les sénateurs aujourd’hui.

>> Lire aussi : Haute fonction publique : confrontation en vue entre le Sénat et le gouvernement

Devant la délégation sénatoriale à la prospective, la ministre de la Transformation et de la fonction publiques s’est donc concentrée sur des sujets – précisément – plus « prospectifs » et moins conflictuels que la suppression de l’ENA. Ainsi, Amélie de Montchalin préfère imaginer une « action publique », plutôt que de parler de l’administration ou de la réforme de l’Etat, afin d’y inclure tous les acteurs non étatiques, comme les collectivités locales ou les administrations de sécurité sociale, mais surtout « les acteurs de la société civile et de la participation citoyenne qui contribuent au bien commun. » D’après elle, il ne faut « pas les voir comme des concurrents à absorber ou des adversaires », mais comme des parties prenantes d’un continuum de l’action publique. Derrière un plaidoyer un peu jargonnant de l’ancienne conseillère d’Axa et de la Commission européenne, se cachent des cas très concrets qui se sont posés à l’administration publique, pendant la crise sanitaire notamment. Amélie de Montchalin cite explicitement Guillaume Rozier, le créateur de CovidTracker comme un exemple « positif » de création d’un service d’intérêt général par un acteur externe à l’Etat. Plus largement, « dans l’environnement, ou les enjeux sociaux, beaucoup d’acteurs œuvrent pour le bien commun, explique-t-elle, mais n’ont pas une relation claire avec l’Etat. Il faut faire émerger un service public citoyen, et pas seulement étatique. »

« Le but, ce n’est pas moins d’action publique »

La ministre de la Transformation et de la fonction publique est-elle en train de nous annoncer la mort de l’Etat ? Amélie de Montchalin ne se voit pas en Margaret Thatcher française – dont le Président de la République louait pourtant les velléités réformatrices – et tient à rassurer sur l’avenir de l’administration française et précise ce qu’elle entendait par-là : « Le but ce n’est pas moins d’action publique ou de rentrer dans le libertarisme thatchérien. Mais aujourd’hui nous avons des acteurs, sur des modèles économiques lucratifs ou non lucratifs, qui, de fait, contribuent au bien commun et que l’Etat invisibilise. Il faut clarifier et apaiser nos relations avec ces acteurs. »

D’ailleurs, sur le fond, la ministre en veut pour preuve, que toutes ces transformations de méthodes permettront de résorber le taux de non-recours à certaines aides de l’Etat et donc améliorer, de fait, la protection sociale. Amélie de Montchalin cite par exemple « le drame » de la prime d’activité : « Le drame de notre pays c’est que les lois créant la prime d’activité ont été votées en pensant que, si 50 % des Français visés y avaient recours, cela serait un succès. » Le problème est connu, notamment sur le RSA, où 1/3 des allocataires potentiels ne perçoivent pas ce revenu auquel ils auraient pourtant droit. À l’inverse, l’automatisation du chèque-énergie aurait permis d’atteindre un taux de recours de 82 %.

« Ce qui me gêne un peu, c’est qu’il me manque quelque chose : de l’âme »

Plus généralement, le but est d’aller vers le fameux « dites-le nous une fois. » C’est l’esprit de l’article 50 de la loi « 3DS » – actuellement examinée à l’Assemblée nationale – qui permet le croisement des données par les administrations, au bénéfice des usagers. Par exemple, « quand vous changez d’adresse sur votre carte grise, les administrations de l’Assurance maladie, de la CAF et des impôts peuvent changer d’eux-mêmes votre adresse. » Aujourd’hui, la loi oblige l’Etat à demander, pour chaque information, une autorisation à la CNIL, « une perte de temps absurde » pour Amélie de Montchalin, qui rappelle que de tels procédés ne seront pas utilisables pour lutter contre la fraude fiscale par exemple, et ne pourront être mis en place uniquement pour proposer des prestations sociales ou des renseignements.

Une argumentation « efficace et rationnelle » pour le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet, qui reconnaît bien là, la culture « marketing, tournée vers le résultat » de la ministre de la Transformation et de la fonction publiques. Le sénateur de l’Essonne exprime tout de même un bémol : « Ce qui me gêne un peu, c’est qu’il me manque quelque chose : de l’âme. » Et en France, le service public, c’est un peu l’âme du pays.

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