Jordan Bardella’s campaign visit to the Alpes-Maritimes with Fabrice Leggeri, on the theme of immigration.

Ancien patron de Frontex sur la liste RN: est-ce le signe « d’une réorientation des élites » ?

Largement en tête dans les sondages, Le RN vient d’enregistrer le soutien de l’ancien patron de Frontex, Fabrice Leggeri qui figurera en troisième sur la liste de Jordan Bardella aux Européennes. Un pas de plus vers la stratégie de « normalisation » du RN. Une stratégie qui tranche avec d’autres formations du groupe Identité et démocratie (ID) dans lequel il siège à Bruxelles.
Simon Barbarit

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Favori des sondages pour les prochaines Européennes qui le placent autour de 30 % d’intentions de vote, Le RN vient d’enregistrer le soutien de l’ancien patron de Frontex, l’agence de l’UE chargée du contrôle des frontières. Fabrice Leggeri, haut fonctionnaire français de 55 ans, énarque et normalien, a occupé de 2015 à 2022 la direction de Frontex, avant d’en démissionner à la suite d’une enquête disciplinaire, sera en troisième place sur la liste de Jordan Bardella.

Le président du Rassemblement National était d’ailleurs en déplacement ce lundi à Menton dans le Var avec son nouveau colistier sur le thème de l’immigration. « J’apporterais mon expérience et mon savoir-faire. Je peux témoigner que les outils comme Frontex, destiné à renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l’Union européenne ont été dévoyés par la Commission pour devenir une sorte de super ONG […] dirigée par les officiers des droits fondamentaux », a déclaré Fabrice Leggeri, ce lundi.

« Le ralliement de ce Haut-fonctionnaire est un élément intéressant car ça peut signifier qu’il y a une réorientation des élites. Le point faible du RN jusqu’ici c’était justement le manque de connexion avec les élites. Et dans l’optique d’une élection présidentielle, un candidat se doit de montrer qu’il a des ressources en expertise et des leviers d’action. Ce nouveau soutien correspond à une évolution du personnel politique du RN. La moitié des députés RN vient des classes supérieures, ce n’est plus le parti des gendarmes à la retraite et des employés, anciens de l’OAS », analyse, Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

L’extrême droite désunie au Parlement européen

L’arrivée de ce Haut fonctionnaire sur la liste RN participe un peu plus à la crédibilité d’un parti considéré par Emmanuel Macron, ce week-end, comme « hors de l’arc Républicain ». Une stratégie qui tranche avec celle adoptée par les autres formations d’extrême droite du groupe Identité et démocratie (ID) où siège le RN à Bruxelles.« La différenciation entre les stratégies de « normalisation » et de « radicalisation » des droites national-conservatrices, extrêmes et illibérales en Europe pourrait refléter un clivage politique entre ces deux types de forces politiques : d’un côté, la droite conservatrice (CRE) qui utilise le vote protestataire/anti-système pour conquérir le pouvoir mais qui cherche ensuite à se positionner comme parti de gouvernement crédible sur le modèle de Giorgia Meloni en Italie ; de l’autre, la droite radicale et extrême (type AFD en Allemagne)  qui renoue le fil d’une stratégie de rupture notamment vis-à-vis de l’Union européenne. Entre ces deux pôle, il y a une ambivalence de la part du RN qui poursuit sa stratégie de normalisation, en renonçant à sortir de l’euro, mais qui en même temps défend une forme de souverainisme juridique pouvant conduire à un Frexit de fait. Il reste par ailleurs allié au Parlement européen à des partis qui ont adopté des stratégies de radicalisation comme l’AFD en Allemagne ou le Parti pour la Liberté aux Pays Bas qui font campagne au niveau national en faveur d’un référendum sur la sortie de l’Union », observe Thierry Chopin politologue à l’Institut Jacques Delors.

La dualité des forces conservatrices radicales s’illustre au Parlement européen au sein de deux groupes. Le groupe Identité et démocratie (ID). Le groupe représente 10 % des 705 sièges du Parlement avec une soixantaine d’élus eurosceptiques, dont les Italiens du Mouvement 5 étoiles et les Allemands de l’AFD et la vingtaine d’élus RN. Et les Conservateurs et réformistes européens (CRE), qui comprend également une soixantaine d’élus, libéraux et conservateurs sur le plan sociétal. On y retrouve les Polonais du parti Droit et justice (PiS), les Espagnols de Vox, et aussi le parti de la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia qui a pour projet de réaliser l’union des droites.

Le clivage entre ces deux forces d’extrême droite européenne se cristallise autour d’une ligne de partage géopolitique centrée sur les relations avec la Russie d’un côté et avec les Etats-Unis de l’autre. Les réactions indignées de Marine Le Pen et Jordan Bardella à la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny, vendredi dernier, ont d’ailleurs été une nouvelle occasion pour les membres de la majorité présidentielle de rappeler les accointances du RN avec le souverain russe. « Je pense que la plupart des électeurs s’en moquent éperdument. Le denier baromètre du Cevipof montrait que 43 % des Français préféraient moins de démocratie à plus d’efficacité. Et le problème du macronisme, c’est que sa doctrine, c’est de ne pas en avoir. Cette posture de gestionnaire peut être prise comme de l’impuissance », souligne Luc Rouban.

« Une forme de récupération du gaullisme chez le RN »

« Le RN profite aussi de l’illisibilité et du caractère peu audible des messages politiques portés par les partis de centre droit et de centre gauche mais aussi des libéraux. Renaissance n’a toujours pas de tête de liste et souffre également d’un déficit de discours. Dans ces conditions, le RN impose son narratif, ses thèmes de campagne et les termes du débat. Ses adversaires sont en réaction et, pour certains d’entre eux, reprennent même, si ce n’est leurs réponses, au moins leurs prémisses de raisonnement, comme on l’a vu sur le thème de l’immigration mais aussi à l’occasion de la crise agricole », complète Thierry Chopin.

La prise de distance du RN avec le Kremlin n’a pas échappé à Giorgia Meloni qui a loué, début février le « raisonnement intéressant » de l’ancienne candidate à la présidentielle, sur la Russie. Un rapprochement qui ne devrait pas pour le moment changer les équilibres au sein de l’ID et du CRE. Le RN regardera attentivement le score de l’AFD, un allié qui s’est montré dernièrement encombrant après les révélations du média Correctiv faisant état d’une réunion secrète visant à expulser massivement les Allemands d’origine étrangère, à laquelle participaient des cadres de l’AFD. « Le RN a opéré un recadrage politique. L’immigration est toujours un thème prépondérant mais il est utilisé comme support pour illustrer des problèmes sociaux, le déclin social de l’UE… Moins pour illustrer des thèmes identitaires comme le fait Reconquête. Il y a également une forme de récupération du gaullisme chez le RN qui insiste beaucoup sur le retour d’un Etat fort, une Nation qui compte sur le plan international », note Luc Rouban.

Quel impact institutionnel de la montée de l’extrême droite européenne ?

« En raison de forts clivages entre les groupes politique de droite au Parlement européen, il est peu probable que la coalition en place depuis 2019 entre le Parti populaire Européen (PPE), les sociaux-démocrates et Renew soit renversée par une union majoritaire des droites modérée, conservatrice et radicale, voire extrême. Même en matière de politique migratoire, cette grande coalition a dominé l’adoption des textes dans ce domaine en raison de divergences fortes au sein du bloc des droites Néanmoins, on a vu se développer lors de cette législature, une alliance entre le PPE et les conservateurs et réformistes européens (CRE) sur des sujets environnementaux ou agricoles. », rappelle Thierry Chopin.

« Le problème du souverainisme c’est la difficulté d’obtenir une convergence politique lorsqu’il s’agit de dossiers concrets. Chaque parti est limité par la défense de son espace national. Mais je ne crois pas que l’objectif pour le RN soit de changer l’Union européenne de l’intérieur, mais de prendre date pour la présidentielle de 2027 », conclut Luc Rouban.

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