C’est l’épilogue de 18 mois de fiançailles. Ce 16 septembre, TF1 et M6 ont annoncé qu’ils renonçaient à leur mariage. Face aux réserves de l’Autorité de la concurrence, les deux groupes ont mis fin à leur tentative de fusion, estimant que les exigences pour un feu vert – à savoir la cession de l’une des deux chaînes – vidaient de son sens la logique industrielle de l’opération. Le gendarme public, dont le but est d’empêcher la formation de positions dominantes, redoutait notamment « un fort risque de hausse des prix des espaces de publicité vendus par les parties au détriment des annonceurs et des consommateurs ».
L’heure est désormais au plan B, à la définition de nouvelles stratégies pour les deux groupes, mais également pour tout un secteur, qui traverse de profondes mutations. « La nouvelle était attendue, elle n’en reste pas moins préoccupante », considère le sénateur Laurent Lafon (Union centriste), à la tête de la commission de la culture. « Elle est préoccupante car cela plonge le paysage audiovisuel français dans une zone d’incertitude. Il y avait une logique industrielle derrière le projet – peut-être critiquable – il faut maintenant en définir une autre. Pour l’instant, il n’y a pas de réponse qui se dessine aisément », constate celui qui avait présidé les débats de la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias cette année. Le dossier TF1-M6 avait constitué l’un des principaux points d’attention des parlementaires.
Plusieurs questions vont rapidement se poser. A commencer par le devenir de M6, dont le renouvellement de l’autorisation d’émettre auprès de l’Arcom interviendra le 5 mai 2023. Une fois la licence renouvelée, il est impossible de changer l’actionnariat sur une période de 5 ans. Si le groupe allemand Bertelsmann, qui détient la majorité des parts, souhaite toujours céder M6, il doit vite se tourner vers un nouvel acquéreur. Plusieurs investisseurs avaient manifesté leur intérêt avant le projet de fusion TF1-M6, comme Vincent Bolloré (Vivendi), Xavier Niel ou encore le Tchèque Daniel Kretinsky. Les noms de Mediaset (détenu par l’Italien Silvio Berlusconi) et Altice (de Patrick Drahi) circulent également.
« Il reste d’autres pièces qui peuvent s’agencer », selon l’analyse Philippe Bailly
Selon Philippe Bailly, président de NPA Conseil, un cabinet de conseil spécialisé dans le secteur des médias, l’échec de la fusion TF1-M6 ne va pas mettre un terme à un mouvement de recomposition au niveau des groupes audiovisuels. « Il reste d’autres pièces qui peuvent s’agencer. Je pense que le groupe Altice me paraît être un bon candidat, à de multiples titres, pour racheter M6. Des acquéreurs, il y en a », observe l’analyste. Altice s’était déjà positionné pour racheter les chaînes TFX et 6ter, dont TF1 devait se séparer en cas de fusion avec M6, pour respecter le plafond de 7 chaînes TNT aux mains d’un seul acteur.
De son côté, TF1 doit également écrire une « nouvelle page ». « Cette opération était une réponse à la profonde mutation de notre secteur. Ces défis restent devant nous », a expliqué le PDG du groupe, Gilles Pélisson dans un message diffusé aux salariés, et révélé par Les Echos. En mai, le directeur financier de Bouygues (le propriétaire de TF1) avait fait savoir qu’il existait un « plan B ». Dans son message, Gilles Pélisson a notamment évoqué la stratégie numérique du groupe. Lorsqu’ils défendaient leur projet de rapprochement, TF1 et M6 mettaient en avant la nécessité de former un ensemble plus grand, de façon à pouvoir conquérir des marchés sur la scène internationale, où les grandes plateformes américaines prospèrent.
Pour le consultant Philippe Bailly, la fusion n’aurait pas bousculé les équilibres. « La série Amazon du Seigneur des Anneaux représente plus de 450 millions de dollars pour une saison. Le budget annuel de programmes du groupe TF1, c’est un milliard d’euros », met-il en perspective. « Ça n’aurait pas mis TF1-M6 dans la même cour. L’argent ne fait pas absolument pas tout, mais il est vrai qu’à deux cela aurait été plus confortable. » Reste un avantage certain pour TF1, qui demeure un réflexe sur la télécommande pour les grands évènements. « TF1 a quand même un actif qui est la force de sa marque, il y a un lien historique avec le public. Le défi, c’est de numériser ce lien », résume Philippe Bailly.
« Quelles sont les lignes stratégiques ? C’est sur ce point qu’ils ont failli en termes de communication »
Le sénateur Laurent Lafon appelle, lui, les deux groupes à « dire clairement quelle est leur stratégie pour les années à venir ». « Quelles sont les lignes stratégiques ? C’est sur ce point qu’ils ont failli en termes de communication. Expliquer en quoi la fusion allait leur permettre de progresser, là-dessus ils n’ont pas été d’une grande clarté », regrette le sénateur du Val-de-Marne.
Cette page d’incertitude ne pouvait pas plus mal tomber, selon lui. « L’annonce affaiblit le groupe TF1 et M6, mais vient s’ajouter à la mauvaise nouvelle de la suppression de la redevance, qui plonge elle aussi l’audiovisuel public dans une zone d’incertitude financière », rappelle le président de la commission sénatoriale. « Bref, on voit bien qu’on a une vraie réflexion à avoir sur ce qu’on attend de l’audiovisuel. »
Et sur ce point, la balle est dans le camp de l’exécutif. « C’est au gouvernement de dire ce qu’il veut, ce qui n’a pas été le cas ces cinq dernières années », relance le sénateur. Sans stratégie, pas de loi possible. Observateur de longue date du secteur, Philippe Bailly juge qu’une loi de refonte et de « clarification » du cadre audiovisuel serait la bienvenue, qu’il s’agisse du partage des droits dans la production, ou encore du rapport des chaînes avec leurs distributeurs. L’actuel conflit entre TF1 et le groupe Canal + en est un exemple, et il est la conséquence des « ambiguïtés » de la loi de 1986. « Mais les gouvernements n’ont jamais envie de faire cette loi, pour une raison simple : l’audiovisuel public est un sujet qui ne fait pas gagner une voix. »