Tout sauf une surprise. Vue depuis les groupes de gauche au Sénat également, la chute de François Bayrou était courue d’avance. Quelques minutes après l’annonce du vote de confiance, perdu par 364 voix contre 194, certains ont d’ailleurs vite sorti leur calculatrice. « L’évènement est assez singulier car il manque des voix dans le socle commun, qui dispose de 210 députés. 364 voix contre, c’est plus que lors de la censure de Michel Barnier », observe Patrick Kanner, le président du groupe socialiste au Sénat. Le 9 décembre, le prédécesseur de François Bayrou avait été censuré par 331 députés.
« Une page politique importante est tournée ce soir. Elle n’enlève rien à la problématique de la dette, ni à la situation budgétaire dans laquelle on se trouve. Mais c’est une très grande défaite pour la Macronie. Ce n’est pas Michel Barnier, c’est un soutien historique d’Emmanuel Macron depuis 2017 qui s’en va », insiste le sénateur du Nord.
« François Bayrou ne restera pas dans l’histoire de la République », lâche Cécile Cukierman
D’un groupe à l’autre dans l’opposition sénatoriale, le rejet de ce Premier ministre en poste depuis à peine neuf mois, est lourd de significations. Plusieurs notent que le discours, lu au Sénat par la ministre de l’Éducation nationale Élisabeth Borne, n’a pas suscité d’applaudissement dans le groupe LR. « C’est une défaite cinglante de François Bayrou, qui a voulu en faire une forme de plébiscite. Les résultats montrent qu’il n’a même pas réussi à avoir l’ensemble des voix du socle commun. François Bayrou est un homme solitaire, qui a décidé seul d’être Premier ministre et de se sacrifier seul. Cet homme ne restera pas dans l’histoire de la République », dénonce ce soir la présidente des sénateurs communistes, Cécile Cukierman.
« C’est un départ prémédité. Il n’y a pas de majorité pour continuer la politique d’Emmanuel Macron, celle d’ailleurs qui nous a mis dans la situation économique et sociale dans laquelle le pays se trouve », réagit également Guillaume Gontard, président des sénateurs écologistes. Dans un communiqué, son groupe étrille un Premier ministre « qui refuse encore toute remise en question » et un « macronisme à bout de souffle ».
Cette page désormais écrite du gouvernement Bayrou, les regards sont maintenant tournés vers le palais de l’Élysée, à qui revient la tâche de désigner un nouveau Premier ministre. Emmanuel Macron dit « prendre acte » de la chute de son Premier ministre et nommera un successeur « dans les tout prochains jours ».
« Il faut vraiment vite en sortir », presse Patrick Kanner
Ce soir, plusieurs parlementaires de gauche au Sénat appellent le chef de l’État à prendre une décision sans traîner. « Il faut vraiment vite en sortir, mais sûrement pas par du chaos institutionnel, comme peuvent le demander les Insoumis ou le Rassemblement national. Les Français ont besoin d’apaisement et de stabilité », demande ce soir Patrick Kanner. Invité du journal de 20 heures de TF1, Olivier Faure, le premier secrétaire du parti, a appelé une nouvelle fois Emmanuel Macron à nommer un Premier ministre de gauche, pour « rompre avec la politique qui a été menée pendant huit ans ».
Patrick Kanner précise que « les socialistes et leurs partenaires ne refuseront pas l’obstacle », si le chef de l’État fait appel à eux, et qu’ils seront « capables d’apporter au pays des solutions qui ne soient pas injustes et récessives ». Le sénateur précise que si le chef de l’État « nomme quelqu’un de son camp », « on ne refusera pas de dialoguer ».
« On n’a pas le temps d’attendre. Il faut aller très vite », appelle également Guillaume Gontard. « Il doit nommer quelqu’un du Nouveau Front populaire, de la gauche et des écologistes – peu importe la personne. Quelqu’un à même de porter une politique de rupture, avec la politique d’Emmanuel Macron », ajoute le sénateur de l’Isère. La demande est récurrente depuis l’été 2024, dans les forces du Nouveau Front populaire, qui rappellent être arrivé en tête lors des législatives consécutives à la dissolution. Sur BFMTV, la secrétaire nationale du parti, Marine Tondelier, a martelé que la « cohabitation » était un « dû démocratique ».
« J’appelle Emmanuel Macron à la raison, et à respecter le vote des Français », renchérit Cécile Cukierman, la présidente du groupe communiste au Sénat. « Il nous a expliqué depuis plus d’un an que la gauche serait instable. On vient de vivre un an d’expérience. On peut toujours prendre les mêmes et recommencer, et là ce ne serait pas la faute des oppositions. » Contrairement à ses deux autres partenaires de gauche à la Haute assemblée, la sénatrice de la Loire n’appelle toutefois pas à une nomination dans l’urgence. « La démocratie prend du temps. La question n’est pas demain ou après-demain, mais un Premier ministre pour faire quoi. Emmanuel Macron n’a qu’une seule chose à avoir en tête, c’est nommer un Premier ministre, mais sans se mêler de sa politique. »
« La responsabilité qui pèse sur le président de la République ce soir est très grande », selon Guillaume Gontard
À deux jours d’une journée de mobilisation sociale, dont l’ampleur du suivi reste encore très incertaine, certains présidents de groupe mettent en garde le président de la République, en cas d’une nomination issue du socle commun. « Nous irons à une dissolution, et ce n’est pas répondre aux problèmes du moment », imagine Cécile Cukierman.
« S’il s’arc-boute et continue à nommer quelqu’un qui va défendre coûte que coûte sa politique, ça ne serait pas compris par le pays. La responsabilité qui pèse sur le président de la République ce soir est très grande », estime l’écologiste Guillaume Gontard. Ce dernier considère que la question d’une démission du président de la République n’est pas sur la table « pour le moment », comme l’exige la France insoumise, mais qu’elle « va se poser » s’il « n’écoute pas le verdict des urnes de 2024 ».
L’unité du Nouveau Front populaire à l’Assemblée nationale est pour le moment loin d’être acquise. Ce soir, sur le plateau de France 2, le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a par exemple refusé de soutenir une hypothétique nomination d’Olivier Faure à Matignon. « Je ne le soutiendrai pas et personne ne le fera, il ne peut pas gouverner tout seul. Il sera obligé d’avoir des macronistes avec lui », a déclaré l’ancien candidat à la présidentielle.
Une porte fermée qui a agacé au sein du PS. « Jean-Luc Mélenchon ne veut pas gouverner le pays, ni LFI. Ils veulent juste s’assurer une place au deuxième tour de la présidentielle. Ce n’est pas sérieux. Il n’y a aucune crédibilité dans un parti qui considère que tout ce qui arrive lui permet d’installer le chaos dans la rue », dénonce Patrick Kanner.