Entre deux chaises. Deux jours après une victoire éclatante à la primaire, Benoît Hamon se retrouve dans un posture peu confortable. Le candidat socialiste a lancé dès dimanche soir un appel au rassemblement à l’écologiste Yannick Jadot et à Jean-Luc Mélenchon, sans citer Emmanuel Macron.
Pour beaucoup de socialistes, qui ont défendu avec loyauté la politique de l’exécutif pendant 5 ans, la pilule est très difficile à avaler. Au point que le petit pôle des réformateurs, qui rassemble l’aile droite du PS, a publié mardi matin une tribune dans Le Monde revendiquant un droit de retrait de la campagne. On y trouve 17 parlementaires (voir notre article pour plus de détails).
« Je ne peux pas défendre un candidat qui propose l’abrogation de la loi travail, sur laquelle j’ai travaillé des dizaines d’heures »
Au groupe PS du Sénat, difficile de cacher la division. Pour ne pas dire le malaise pour certains, face à un candidat tellement loin de leur ligne. Historiquement, l’aile gauche du parti d’Epinay s’est toujours retrouvée minoritaire, contrainte à jouer les forces d’appoint ou d’opposition. Aujourd’hui, c’est son représentant qui est candidat à la présidentielle.
« Je ne vais pas signer la tribune mais je respecte cette démarche et j’en suis très proche » nous explique le sénateur Yves Daudigny. « Je ne peux pas défendre un candidat qui propose l’abrogation de la loi travail, sur laquelle j’ai travaillé des dizaines d’heures pour arriver à un texte d’équilibre » ajoute-t-il. Regardez :
Yves Daudigny sur Benoît Hamon
Certains ont déjà fait le choix de Macron, comme le sénateur Yves Rome, « le seul en capacité à faire barrage à Marine Le Pen ». Même chose pour Gérard Miquel, sénateur PS du Lot : « Le PS doit assurer sa mutation, sinon il disparaitra au profit d’une formation qui affirmera clairement son côté réformiste » prévient-il.
« Atterrissage collectif en douceur auquel on ne s’attendait pas »
Reste que pour le moment, ce ne sont pas des légions de socialistes qui quittent le navire. « Si Hamon remportait la primaire, on nous annonçait un raz-de-marée vers Macron. Aujourd’hui, Hamon a gagné et j’observe qu’il n’y a pas de raz-de-marée chez Macron » glisse un ministre qui n’avait choisi personne pour la primaire. « Il y a un atterrissage collectif en douceur auquel on ne s’attendait pas » se réjouit un conseiller. Un autre ministre, proche de Valls, attend en revanche des signes du candidat. « C’est à lui d’éclairer nos lanternes. Il envoie des signaux qui ne sont pas trop équilibrés ».
Le président du groupe PS du Sénat et directeur de campagne de Manuel Valls, Didier Guillaume, attend de la part de Benoît Hamon ces signes qui assureront l’unité. « Benoît Hamon s’est tourné vers Mélenchon, vers Jadot. Je pense qu’il faut qu’il se tourne vers les 2 millions d’électeurs, qu’il joue le rassemblement » dit-il, assurant que « le PS restera uni ». Regardez :
Didier Guillaume : « Il faut que Benoît Hamon joue le rassemblement »
Certains, comme le sénateur PS René Vandierendonck, entendent jouer le jeu de la primaire. « A Roubaix, j’ai fait campagne pour Valls. J’ai perdu. Et bien je ne fais pas de droit de retrait, je fais un droit d’application de la règle collective » lance le sénateur du Nord (vidéo ci-dessous). « Il n’y a pas à faire des retraits ou je ne sais quoi » confirme son collègue Gilbert Roger.
René Vandierendonck sur Benoît Hamon
« Hamon a le même problème que Fillon. Il a été élu trop à gauche, comme Fillon a été élu trop à droite »
Benoît Hamon, qui s’est dit prêt à enrichir son programme tout en gardant le cap, continue pour le moment ses rencontres. Après Bernard Cazeneuve hier, Yannock Jadot ce midi, le candidat voit François Hollande ce jeudi. Il devrait lui demander, comme l’a fait le premier ministre, d’assumer le bilan et le rassemblement. Pour François Hollande, qui n’a pas félicité publiquement le vainqueur de la primaire, le choix entre Emmanuel Macron et Benoît Hamon sera compliqué. Le premier a souvent assumé une part du bilan quand le second le critique… « Il devra choisir entre la fidélité à sa ligne, ou l’unité, sa famille politique » explique un socialiste qui le côtoie. « De toute façon, Hamon sortira de son bureau sans savoir ce qu’il pense… »
Un socialiste résume le dilemme dans lequel se trouve aujourd’hui Benoît Hamon : « Il a le même problème que Fillon. Il a été élu trop à gauche, comme Fillon a été élu trop à droite. Il est prisonnier d’un programme trop excessif. C’est la perversion de la primaire ». Le discours d’investiture du candidat, dimanche à la Mutualité, sera suivi de près. Il donnera – ou non – les signes du rassemblement, au risque de perdre sa spécificité. C’est toute la difficulté. Mais chez les socialistes, on trouve quand même une raison de se réjouir : « Nous au moins, on n’a pas d’affaire… »