« Je vois avec plaisir que le gouvernement revient sur le sujet », se réjouit le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias. Un arrêté du ministère de la Culture, publié jeudi 23 décembre au Journal officiel, rend consultables toutes « les archives publiques produites dans le cadre d’affaires relatives à des faits commis en relation avec la guerre d’Algérie entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966 ».
« Le texte est conforme à ce que l’on nous avait annoncé. La surprise vient du côté des signatures de l'arrêté : la première est celle de la ministre de la Culture », remarque le sénateur des Hauts-de-Seine. En effet, l’arrêté est porté par Roselyne Bachelot dont le ministère a la charge des archives nationales (exceptées celles des ministères des Armées et des Affaires étrangères). L’arrêté porte par ailleurs les signatures des ministères des Armées, des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la Justice. « Un engagement ministériel fort », note Pierre Ouzoulias.
« On aurait aimé un plan interministériel de gestion des archives et de mise à disposition », regrette Pierre Ouzoulias
Si le sénateur communiste se ravit de la place du ministère de la Culture sur le sujet, c’est que son absence avait été largement soulignée lors de la réforme de l’accès aux archives, l’été dernier. La loi relatif à la prévention des actes de terrorisme et au renseignement, adoptée en juillet 2021, inscrit plusieurs exceptions à la communication des archives. L’accès à celles-ci se fera désormais à la discrétion des services de renseignement. « C’est un vrai souci parce que la loi de 2008 précisait que seul le Parlement était habilité à prévoir les critères de restriction à l’accès aux archives », rappelle Pierre Ouzoulias (lire ici).
L’ouverture des archives judiciaires sur la guerre d’Algérie apparaît donc à contre-courant. Cette décision, saluée au Sénat, pourrait avoir un effet très restreint. Le sénateur des Hauts-de-Seine attire l’attention sur un élément de taille : la majeure partie de ces archives est renfermée dans un bâtiment inaccessible depuis deux ans. Situé à Le Blanc, dans l’Indre, « ce bâtiment n’est pas accessible parce qu’il y a de l’amiante ». Pierre Ouzoulias a adressé une question écrite à la ministre des Armées pour l’avertir de cette situation au début du mois de décembre. « En plus de l’arrêté, on aurait aimé un plan interministériel de gestion des archives et de mise à disposition », souligne-t-il.
« Ce n’est pas une ouverture d’archives complètement interdites jusqu’à ce jour », tempère Fabrice Riceputi.
Pour l’historien Fabrice Riceputi, cet arrêté « va grandement faciliter les recherches. Il ne sera plus nécessaire de demander des dérogations au cas par cas ». Sa portée reste toutefois à relativiser. « Ce n’est pas une ouverture d’archives complètement interdites jusqu’à ce jour. Ce n’est pas comme si ces archives n’avaient jamais été consultées, des chercheurs avaient déjà obtenu des dérogations », soulève l’auteur de Ici, on noya les Algériens (Ed. Le passager clandestin, 2021).
En outre, ces archives ne concernent pas toute la période de la colonisation mais seulement celle comprise entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966. Néanmoins, cette période s’étend jusqu’en 1966 et l’arrêté permettra de consulter les archives relatives à l’OAS (organisation clandestine civilo-militaire opposée à l’indépendance algérienne), poursuit l’historien.
Disparitions forcées : « Ces informations ne sont pas dans les archives mais dans la mémoire des militaires encore en vie »
« Il ne faut pas s’attendre à des découvertes fracassantes, notamment sur les exactions de la police et de l’armée française en Algérie », prévient Fabrice Riceputi. « Sur les disparitions forcées, les familles ne doivent pas s’attendre à trouver des informations. Car elles ne sont pas dans les archives mais dans la mémoire des militaires encore en vie », souligne également le rédacteur du site 1000 autres.org dédié aux disparus algériens de la guerre d’indépendance.
Durant cette période, « la justice a peu ouvert d’instructions, et quand elle l’a fait, elle prenait comme parole d’évangile la parole des forces de l’ordre ». Par ailleurs, après l’amnistie en 1962 « plus aucune plainte ne pouvait être suivie d'effets ».
« L’histoire est devenue un enjeu majeur des politiques des Etats »
Quel sens politique donner à cet arrêté ? L’historien, Fabrice Riceputi, et le sénateur, Pierre Ouzoulias, se rejoignent sur l’analyse. « Cette décision intervient après une fermeture des archives avec le texte réglementaire IG 1300 », rappelle Fabrice Riceputi. Ce texte qui empêche la déclassification automatique des archives de plus de 50 ans avait été jugé illégal par le Conseil d’Etat. « La politique de ce gouvernement est assez illisible », estime l’historien.
« On sent bien que certains sujets débattus dans le cadre de la campagne présidentielle ne sont pas anodins », observe, pour sa part, Pierre Ouzoulias. La bataille mémorielle autour de la guerre d’indépendance d’Algérie est en effet agitée par un candidat favorable à une réécriture du « roman national », Éric Zemmour. Cet arrêté constitue donc « une réaction de Macron sur ce débat », selon le sénateur.
« L’histoire est devenue un enjeu majeur des politiques des Etats. On le voit en Hongrie ou en Pologne où ces régimes essaient de maîtriser l’écriture de l’histoire », analyse Pierre Ouzoulias. Pour lui, « le récit national est aujourd’hui considéré comme la dernière grande idéologie, après la chute de toutes les autres ». Un cheval de bataille, donc, en période de campagne présidentielle.