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« Arrêtons de nous engueuler ! » : au Sénat, centristes et macronistes agacés par le blocage politique

En dehors du cas précis des Républicains, les autres composantes du socle commun au Sénat faisaient grise mine ce 7 octobre, face à la paralysie gouvernementale. À quelques jours du dépôt nécessaire du budget, certains plaident pour un gouvernement technique, en l’absence de compromis mercredi soir.
Guillaume Jacquot

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Le socle commun est au bord de la crise de nerfs. L’enchaînement des rebondissements politiques depuis l’annonce du gouvernement dimanche soir, suivie de la démission surprise de Sébastien Lecornu dans la matinée suivante, met à l’épreuve la cohésion entre des groupes différents de droite et de la galaxie centriste qui travaillaient ensemble à la réussite des gouvernements depuis un an. En cause : le casting du gouvernement, qui doit faire l’objet de nouvelles négociations de dernière minute d’ici à mercredi soir.

Si les Républicains au Sénat font bloc derrière Bruno Retailleau, en rejetant la responsabilité à Matignon, d’autres partenaires de l’arc central au palais du Luxembourg expriment également leur désarroi ce mardi, quant à la tournure qu’ont pris les évènements. « L’ambiance est détestable », lâche un sénateur, qui espère que les uns et les autres arriveront à « sortir des querelles ». Beaucoup font état d’une incompréhension, voire d’une colère qui monte chez les Français.

« Le socle commun, pour moi, il n’est plus là »

« C’est très inquiétant, assez lunaire cette situation. Il y a une volonté d’avancer, mais comment peut-on réussir à avancer dans la mesure où chaque camp campe sur ses positions. Il faut un électrochoc », s’exclame auprès de Public Sénat, Annick Billon, sénatrice (Union centriste). Son parti de centre droit, l’UDI, heurté par les équilibres politiques annoncés dimanche dans le bref gouvernement Lecornu, a cependant séché ce matin la réunion autour de Sébastien Lecornu. N’étaient présents que Gabriel Attal pour Renaissance, Marc Fesneau pour le Modem, Édouard Philippe pour Horizons, ainsi que la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, et le président du Sénat, Gérard Larcher.

Un point commun entre toutes les composantes de ce « club des cinq » qui avait le vent en poupe il y a un an, sorte de super-majorité sénatoriale élargie aux courants du bloc présidentiel : une même palette de sentiments domine, de la perplexité, celle de la désolation, presque de la sidération. L’optimisme n’était guère de rigueur ce matin dans les couloirs du Sénat.

Dans les rangs des soutiens du président de la République, le coup de gueule de dimanche soir de Bruno Retailleau a laissé des traces. « Le socle commun, pour moi, il n’est plus là. Ou il est à redéfinir. Même au Sénat, c’est devenu chacun pour soi », regrette par exemple Patricia Schillinger, sénatrice (Renaissance) du Haut-Rhin. La parlementaire alsacienne, qui siège dans cette assemblée depuis 21 ans, exprime une profonde inquiétude sur le chaos institutionnel qui secoue la France, avec une intensité décuplée depuis dimanche soir. « C’est l’échec du parlementarisme, presque la ruine des partis. »

« Il faut changer pas mal de choses dans le logiciel »

La consternation au Sénat ne laisse toutefois pas la place à la résignation, et beaucoup y vont de leur suggestion pour que les ultimes tractations puissent déboucher sur un arrangement a minima, mercredi soir. « Il faut changer pas mal de choses dans le logiciel pour que cela fonctionne. Les chefs de partis du socle commun ont eu le sentiment qu’ils n’étaient pas dans la boucle », témoigne le sénateur (Union centriste) Vincent Capo-Canellas. Sa collègue Annick Billon met en garde : « On ne peut pas avoir un gouvernement macroniste comme c’était le cas avec le gouvernement Lecornu. La rupture a été annoncée, il en faut une. »

De nombreux sénateurs disent en tout cas partager les deux priorités qui doivent structurer les discussions actuelles autour de Sébastien Lecornu, outre le dossier néo-calédonien, l’adoption des textes budgétaires. Un compte-à-rebours très court est en marche pour que l’examen parlementaire puisse aboutir d’ici au 31 décembre. « Arrêtons de nous engueuler, il n’y a pas d’accord de gouvernement possible. On peut trouver un accord technique, pour adopter un budget, et rien que ça. On a encore le temps de trouver un accord minimal sur ça » plaide le sénateur Emmanuel Capus (Horizons). Et d’ajouter : « Cela suppose un gouvernement technique, avec des techniciens qui ne sont pas des politiques. Que l’on retire ça de la main des partis. »

Gouvernement technique, le mot est à nouveau lâché, comme à l’automne 2024, et cette hypothèse recueille les faveurs de plusieurs parlementaires. « On est plutôt sur l’idée qu’il faut plutôt un gouvernement technique, ou d’union temporaire, pour essayer d’en sortir », approuve également le centriste Vincent Capo-Canellas. Mais l’idée peut aussi avoir ses limites. « Sur le papier, l’option est intéressante, mais à partir du moment où vous faites un budget, vous faites des choix, vous faites de la politique, ça ne sera pas si technique », considère Annick Billon. « Une chose est claire, il faut dépersonnaliser les choses », encourage la sénatrice (Renaissance) Nadège Havet.

La proposition d’une présidentielle anticipée est loin de convaincre au-delà d’Horizons

Dans la boîte à outils de sortie de crise, d’autres sont bien plus iconoclastes. Le premier des chefs de gouvernement d’Emmanuel Macron, Édouard Philippe a fait tomber un tabou ce matin sur RTL, en devenant le premier cadre au sein du socle commun à évoquer ouvertement l’hypothèse d’un mandat écourté du président de la République. « L’État n’est plus tenu ! Je ne suis pas pour sa démission immédiate et brutale mais (le président) doit prendre son initiative. Il doit nommer un Premier ministre pour construire un budget. Quand la France est dotée d’un budget, il doit annoncer une élection présidentielle anticipée. Et il part, une fois le budget adopté », a fait savoir le président d’Horizons.

Le sénateur Emmanuel Capus évoque des retours « extrêmement enthousiastes » dans le parti. « L’État se délite, les Français voient bien que les partis ne sont pas capables de se mettre d’accord et que ça peut durer 18 mois. Mais il faut que ça se fasse de manière ordonnée, avec une vraie campagne. Pas une démission à la va-vite, ni une destitution », développe-t-il.

Sortie des rangs du parti philippiste, la proposition ne suscite pas un emballement. « Les Français attendent plutôt la stabilité. Gagnera-t-on quelque chose à accélérer les échéances ? je n’en suis pas certain. Ça ne me paraît pas être le moment le plus opportun aujourd’hui », réagit Vincent Capo-Canellas. Seul souhait à l’adresse du locataire de l’Élysée : qu’Emmanuel Macron « montre qu’il est capable de laisser de la distance entre lui et le gouvernement, autonome ». « Les déclarations de ce matin peuvent s’entendre au regard de la situation, autant elles n’apportent pas de solution dans l’immédiat. Le seul qui a la main, c’est le président de la République lui-même », ajoute Annick Billon.

Dans le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI) de François Patriat, le groupe historique au Sénat acquis au président, l’interview d’Édouard Philippe n’a pas laissé une bonne impression. « Il y a des choses à faire avant d’en arriver là. C’est certainement trop fort », estime Nadège Havet. « J’ai trouvé cela prétentieux. Avant d’être candidat, il faut savoir réunir les Français autour d’un programme, ce n’est pas en changeant de président que le reste ira mieux », s’exclame Patricia Schillinger. Gabriel Attal, le patron des députés Renaissance, a fermement pris ses distances avec Édouard Philippe : « Nous ne mêlerons jamais nos voix à ceux qui appellent à une présidentielle anticipée ».

Scepticisme face à l’éventualité d’une dissolution

En cas d’échec des prolongations en cours, Emmanuel Macron a cependant fait savoir qu’il prendrait ses responsabilités. Comprendre : une nouvelle dissolution et un retour aux urnes ? L’idée n’emballe personne au Sénat. « Qu’est-ce que ça règle la dissolution ? C’est quand même un saut dans le vide », réagit Vincent Capo-Canellas. « Le vrai risque de la dissolution qui approche, c’est qu’on risque de se trouver dans la même situation que maintenant, celle d’un blocage », balaye également Emmanuel Capus. « Ce serait une solution extrême et cela ne veut pas dire qu’on aura à nouveau une majorité claire à l’Assemblée nationale », abonde aussi Patricia Schillinger.

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