Comment Michel Barnier va-t-il faire passer le budget ? Ce lundi 21 octobre, début de l’examen du volet recettes du projet de loi de finances 2025, un semblant de suspense existe encore. Face au Rassemblement national et au Nouveau Front Populaire qui voteront contre le texte – La France Insoumise a même annoncé déposer une motion de rejet – le Premier ministre sera mis en difficulté pour le faire adopter. Si l’utilisation du 49.3 est dans toutes les têtes, le Savoyard pourrait se laisser tenter par un autre article de la Constitution : le 47. « Débattons le plus possible, c’est la philosophie de Michel Barnier. Mais probablement que le 49.3 peut être utilisé, ou peut-être l’article 47 », indiquait déjà Vincent Jeanbrun, porte-parole des Républicains à l’Assemblée nationale, vendredi 18 octobre sur TF1.
L’article 47 ou l’impossibilité d’une France sans budget
L’hypothèse d’une France sans budget en 2025 – à l’image du « shutdown » aux Etats-Unis – est rendue impossible par cet article 47. « Il faut comprendre que notre Constitution a été rédigée en opposition à celle de la IVe République. Objectif : éviter les instabilités. Avant, la possibilité que le budget ne soit pas voté en janvier était tout à fait probable. Aujourd’hui, avec l’article 47, ce n’est plus le cas », explique Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public.
L’article 47 est spécifique aux projets de loi de finances. Il donne au Parlement un délai de soixante-dix jours pour délibérer sur le texte et cinquante pour le projet de loi de finances de la sécurité sociale. « Si ce temps est écoulé sans vote des élus, le gouvernement peut alors le faire passer par ordonnance », souligne Anne-Charlène Bezzina. L’ordonnance doit alors être prise en Conseil des ministres et être signée par le président de la République. Cependant, sur le budget, ce cas précis n’est jamais arrivé depuis 1958.
Cet article peut être utilisé d’une autre façon. Concrètement, il donne quarante jours à l’Assemblée nationale pour examiner le texte. Si les députés ne l’ont pas voté dans ce délai, le gouvernement doit l’envoyer au Sénat, qui devra statuer sous quinze jours. Les amendements votés par le Palais Bourbon seraient alors oubliés au profit de ceux adoptés par le Palais du Luxembourg, ou la droite est majoritaire. Une commission mixte paritaire, réunissant des députés et sénateurs serait ensuite mise en place pour décider du texte final. « Un tel scénario, ce serait la revanche des sénateurs, mais le message envoyé serait terrible pour les parlementaires, avec qui Michel Barnier a promis de travailler », souffle une ancienne ministre au Parisien. Ce processus avait été envisagé lors de la réforme des retraites en 2023. Le gouvernement avait alors eu recours à un budget rectificatif de la sécurité sociale (PLFRSS) pour pouvoir utiliser l’article 47 ou 49.3 Il avait finalement opté pour ce dernier. (Lire notre article).
Autre possibilité liée à l’article 47. Si le budget n’est toujours pas promulgué à la mi-décembre, le gouvernement peut enclencher l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). A partir de la date charnière du 11 décembre, il peut demander de voter la première partie du budget, celle étudiée à partir de ce lundi 21 octobre, relative aux recettes de l’Etat. Une autre hypothèse existe si le texte n’est toujours pas promulgué à partir du 19 décembre. Le gouvernement peut alors réclamer le vote de l’article de la loi de finances qui autorise à prélever les impôts au Parlement.
« Ces scénarios se sont déjà produits. La première fois, c’était en 1962. La dissolution, fin novembre, a rendu impossible l’adoption de l’intégralité du projet de loi de finances de 1963 avant la fin de l’année. La première partie qui fixe les recettes a donc été votée le 22 décembre. Ensuite, début janvier, les débats se sont ouverts sur les dépenses. La deuxième fois, c’était en 1979. Le Conseil constitutionnel avait retoqué la loi de finances car les parlementaires avaient commencé à discuter de la deuxième partie du texte avant le vote de la première », explique Théo Ducharme, maître de conférences en droit public à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Le 49.3 « reste l’hypothèse la plus probable »
Malgré tout, l’utilisation de 49.3 par Michel Barnier « reste l’hypothèse la plus probable », assure Anne-Charlène Bezzina, constitutionnaliste. En 2022 et 2023, c’est aussi le choix qu’Elisabeth Borne avait privilégié. « Mais attention, il faut être sûr de sa base », ajoute la maître de conférences. Car une motion de censure peut être déposée par l’opposition dans les 24 heures. Si celle-ci est votée par la majorité de l’Assemblée nationale, le texte est rejeté et le gouvernement renversé.
« Le 49.3 est le scénario qui semble se dessiner car le gouvernement s’appuiera sur l’assentiment du Rassemblement national pour ne pas voter la censure », indique Théo Ducharme. Et de poursuivre : « Ça arrangerait tout le monde. Le gouvernement fait passer son budget. La gauche peut déposer la motion de censure. Et le Rassemblement national paraît responsable en ne la votant pas ». Dimanche, dans une interview au JDD, Michel Barnier a indiqué qu’il éviterait tout « blocage parlementaire » ou « concours Lépine fiscal », faisant référence aux 60 milliards d’euros d’impôts supplémentaires ajoutés par les députés samedi avant d’être rejeté la commission des Finances. Aussi une manière de rappeler qu’il peut couper court aux débats par un 49.3. Une source gouvernementale, citée par l’AFP, imagine les débats se tenir au moins jusqu’à mercredi 23 octobre. A ce moment-là, « on y verra plus clair », souligne-t-il.