C’était il y a cinq ans. Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, alors professeur d’histoire-géographie, a été victime d’un attentat terroriste à la sortie du collège dans lequel il enseignant dans les Yvelines. Cible de mensonges et de vives attaques sur les réseaux sociaux, après avoir présenté à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet, pour illustrer un cours sur la liberté d’expression, il a été assassiné par un jeune islamiste.
Depuis, deux procès ont eu lieu, « celui des collégiens qui ont été à l’origine du mensonge », retrace Gaëlle Paty, puis celui des adultes, « qui a conclu la culpabilité des huit accusés, notamment pour complicité et association de malfaiteurs terroristes ». La justice « a fait un pas incroyable », souligne la sœur du professeur, en reconnaissant « la culpabilité de gens qui n’ont pas été en contact direct avec le terroriste », mais ont « contribué activement à l’attentat ».
« Enclencher une réflexion sur l’engrenage »
« Sept semaines, c’est très long, très éprouvant », soupire Gaëlle Paty, alors que le deuxième procès s’est terminé à la fin de l’année dernière. Avec des accusés qui, pour la plupart, ont refusé de répondre aux questions ou de « reconnaître la moindre culpabilité », alors que « dans un procès, on attend toujours une part de vérité ». Une épreuve « [dure] » mais « nécessaire », raconte-t-elle, qui l’a conduite à « réaliser et […] regarder en face », et à se détacher de la barbarie qui, jusqu’alors, l’ « emportait sur la réflexion », pour « enclencher une réflexion sur l’engrenage ». « Tout d’un coup un avenir pouvait s’ouvrir », en franchissant le « mur que représentait ce procès pour moi », se souvient-elle.
L’occasion aussi « de voir les gens », « d’écouter les experts, leur famille, leurs proches, pour essayer de comprendre comment ils en sont arrivés là ». A l’issue de ces sept semaines, la sœur de Samuel Paty s’est sentie « capable d’accepter que […] c’est bien eux qui ont fait ça », en comprenant « comment ils en sont arrivés là ».
Un rapport « bâclé » de l’Éducation nationale
Alors qu’il subissait des attaques violentes sur les réseaux sociaux avant son assassinat, Samuel Paty était soutenu par « la très grande majorité » des professeurs de son collège, y compris par toute l’équipe de direction, salue Gaëlle Paty, mais sa famille « n’était au courant de rien ». Grâce aux deux procès, elle sait désormais « très bien ce qu’il s’est passé […] au sein du collège ». Le ton est différent quand il s’agit de l’Éducation nationale : « Elle a très vite cherché à se dédouaner avec un rapport bâclé qui a été fourni quelques semaines après l’attentat ».
Ancienne enseignante, elle connaît bien les rouages de cette institution « un peu militaire », qui n’est pas « capable d’aller sur le terrain, prendre à bras-le-corps les choses pour accompagner les professeurs », regrette-t-elle. De quoi l’amener à porter plainte pour non-assistance à personne en danger contre le ministère, et contre celui de l’Intérieur, des instructions toujours en cours. « Je ne cherche pas de coupables », précise-t-elle, « je cherche des explications » car « un petit flou […] subsiste sur ce qui aurait pu être fait et sur ce qui serait fait maintenant ».
« Moi, elle me parle cette valeur de laïcité »
Le corps professoral est-il mieux protégé aujourd’hui ? « A priori oui, c’est ce que me disent toutes les grandes personnes de l’Éducation nationale », rapporte-t-elle. La mort de Samuel Paty a été « un déclencheur » pour des ministères qui « ont été pris de court par le fait qu’on s’attaque à un professeur », depuis « une protection fonctionnelle est d’office mise en place en cas de menace », « et la menace est clairement prise plus au sérieux », salue sa sœur.
Reste que la laïcité reste « en danger », selon Gaëlle Paty. D’abord, « parce qu’on ne la comprend plus ». « Vivre ensemble, quelle que soit sa religion ou son absence de religion, est un vrai sujet aujourd’hui en France », regrette-t-elle, « pourtant c’est une […] belle idée au départ, pour faire vivre nos valeurs [de] liberté, égalité, fraternité ». Elle s’y reconnaît d’ailleurs : « Moi, elle me parle cette valeur de laïcité, mais à condition qu’elle soit bien comprise, vécue et véhiculée ». « C’est vraiment l’idée qu’on est tous égaux », martèle la sœur de Samuel Paty. Même constat pour la liberté d’expression, « menacée par tout le monde », que ce soit à l’école mais aussi « dans toute la société ».
Et ce ne sont pas des documents à signer par les parents qui peuvent « [aider] concrètement les choses sur le terrain », affirme Gaëlle Paty, en écho à une proposition du Sénat d’établir une charte à destination des familles des élèves, dans laquelle il serait rappelé que l’enseignement ne se conteste pas. Il n’y a pas de « solution miracle », concède-t-elle, mais « il faudrait dépasser ces formulaires ».
« Trouver le moyen » de « dépasser » la peur
La peur aussi a été « décuplée », même si elle était déjà là parce que « c’est quand même un métier compliqué », mais « il ne faut pas que ça devienne un sentiment normal ». « Il faut qu’on en fasse quelque chose », exhorte-t-elle. Et de préconiser de « trouver le moyen de la dépasser en sortant de sa salle de classe, en faisant des choses qui sortent un peu de l’ordinaire avec ses élèves, que les professeurs ne se retrouvent pas toujours tous seuls face aux élèves pour parler des valeurs républicaines ». Face à ce constat, son livre Un procès pour l’avenir (ed. Flammarion) peut servir « de support pédagogique », qui permet « d’engager le débat ».
En revanche, elle déplore des minutes de silence « totalement improvisées » chaque année, un genre d’hommage « extrêmement violent pour tout le monde » et qui « met tout le monde mal à l’aise », avec un enseignant « tout seul face à ses trente élèves », et ces derniers qui « ne comprennent pas ou peuvent être en opposition ».
Décerné à neuf classes du CM1 à la terminale, Gaëlle Paty se réjouit du prix Samuel Paty qui le fait vivre « au-delà de sa mémoire », célébrant « son esprit de professeur ». C’est « le meilleur hommage » qu’on peut lui rendre, sourit sa sœur.