Lors de son interview dans les journaux télévisés de France 2 et TF1 ce mercredi 22 mars, Emmanuel Macron s’est exprimé sur les violences qui émaillent la mobilisation des opposants à sa réforme des retraites. Le texte a été adopté suite à l’échec à 9 voix près de la motion de censure qui visait le gouvernement Élisabeth Borne après l’activation de l’article 49 alinéa 3 de la constitution par la Première ministre. C’est dans un contexte de manifestations quotidiennes et à la veille d’un appel à la grève de l’intersyndicale que le président de la République a évoqué l’assaut du Capitole des Etats-Unis le 6 janvier 2021 et ceux des lieux de pouvoir à Brasília au Brésil le 8 janvier 2023 : « Quand les Etats-Unis d’Amérique ont vécu ce qu’ils ont vécu au Capitole, quand le Brésil a vécu ce qu’il a vécu […], on ne peut accepter ni les factieux, ni les factions », a-t-il affirmé.
Entretien croisé de Thomas Huchon journaliste d’investigation et spécialiste du complotisme et de Thomás Zicman De Barros, docteur en science politique à Sciences Po Paris. Sa thèse portait sur le mouvement des Gilets Jaunes avec une approche mêlant théorie politique et psychanalyse.
Pensez-vous qu’il était pertinent qu’Emmanuel Macron convoque l’assaut du Capitole aux Etats-Unis et les attaques contre les institutions des pouvoirs à Brasília alors qu’il parlait des violences commises lors de certaines manifestations en France ?
Thomas Huchon : C’est une comparaison très inquiétante qui n’est pas à la hauteur de la culture et de l’intelligence du président de la République. D’abord, je pense que c’est très difficile de comparer des évènements qui ont lieu dans des pays différents. Aux Etats-Unis, ça n’était pas une manifestation de gens qui revendiquaient un droit acquis durement. C’était des gens manipulés qui pensaient que l’élection présidentielle avait été manipulée. En France, ça n’est pas du tout des manifestations du mouvement QAnon qui pense que les élites font partie d’un complot pédophile.
Thomás Zicman De Barros : Je trouve que cette comparaison ne tient pas. En disant cela, Emmanuel Macron crée une symétrie entre des manifestants français qui sont en majorité de gauche et des manifestants aux Etats-Unis et au Brésil qui sont de droite radicale et d’extrême droite. En France, le mouvement social veut défendre le droit des travailleurs alors qu’au Brésil ou aux Etats-Unis, ce sont des mouvements qui remettent en cause le fondement de la démocratie libérale. On ne peut pas dire que les Français qui se mobilisent, veulent la fin de la démocratie libérale.
Dans la foulée de l’interview du président de la République, ses partisans se sont employés à nier qu’il avait comparé les manifestants français et ceux du Capitole aux Etats-Unis ou de Brasília. Emmanuel Macron parle quand même de « factieux et de factions » tout en convoquant l’imaginaire autour de ces deux événements violents…
Thomás Zicman De Barros : Je ne pense pas que ce soit un accident, surtout lors d’une parole publique comme celle-là où les mots sont bien choisis. En disant cela, Emmanuel Macron essaie peut-être de faire un amalgame et de réduire la légitimité des manifestants. Dans les manifestations en France, beaucoup de Français différents sont rassemblés. On a même vu que certains élus de la droite parlementaire étaient opposés à ce texte. Avec ce type de propos, il essaie de mettre dans le même groupe la gauche modérée et le centre avec les casseurs et les black-blocs. C’est une manière de créer des épouvantails.
Thomas Huchon : A partir du moment où il convoque cet imaginaire, le président laisse penser que les gens dans la rue qui demandent le respect de leurs droits sociaux sont des fascistes qui veulent faire un coup d’Etat. Cette comparaison malheureuse minore les vrais problèmes. On a un président de la République qui a un gouvernement sans majorité pour faire adopter sa réforme des retraites avec une opinion qui est contre, mais Emmanuel Macron tient quand même à la faire adopter.
Je suis le fils de Jean-Paul Huchon (ancien directeur de cabinet de Michel Rocard lorsqu’il était Premier ministre, ndlr) qui a beaucoup utilisé le 49-3 lorsqu’il travaillait avec Michel Rocard. Je vois bien ce que c’est et il ne peut pas y avoir de fierté à utiliser un dispositif certes constitutionnel, mais loin d’être légitime en vertu des valeurs démocratiques.
« Le vrai risque, c’est qu’une figure issue de la complosphère gagne en visibilité parce qu’elle expliquerait que voter n’a pas d’utilité puisque les représentants ne respectent pas les institutions », explique Thomas Huchon
Qu’est-ce la comparaison avec l’assaut du Capitole et des lieux de pouvoirs à Brasília dit de la vision qu’a Emmanuel Macron de ses opposants : partis politiques et syndicats ?
Thomás Zicman De Barros : Emmanuel Macron a été élu en 2017 et en 2022, mais c’est sa première expérience électorale. Il n’a jamais été député ou maire donc c’est une personne qui n’a pas eu l’expérience de la négociation. Tout cela fait que c’est un président réfractaire au débat. Il essaie avec force d’imposer sa vision, alors que la démocratie est faite de compromis. Emmanuel Macron voit plutôt ses opposants comme des obstacles à franchir. En utilisant les exemples des Etats-Unis et du Brésil, il essaie de se présenter comme une figure raisonnable et responsable alors que les autres seraient mues par les intérêts, l’idéologie et les émotions. L’esprit du macronisme, c’est de réformer la France avec un président qui s’impose et pour réformer, il faut que ce soit fait vite et de manière verticale.
Thomas Huchon : Cette comparaison ne correspond pas à la situation en France. Elle dit une méprise sur l’analyse de la situation. Vu les circonstances avec l’utilisation du 49-3, c’est normal que les gens ne soient pas contents. Ce qui m’inquiète avec le recours à cet article et la volonté de faire passer la réforme des retraites contre l’opinion, c’est que l’on donne raison aux complotistes qui disent que la démocratie ne sert à rien. Le vrai risque, c’est qu’une figure issue de la complosphère gagne en visibilité parce qu’elle expliquerait que voter n’a pas d’utilité puisque les représentants ne respectent pas les institutions. On pourrait voir émerger un Christophe Mercier (personnage fictif, vidéaste antisystème qui arrive au 2nd tour de l’élection présidentielle de la saison 3 de Baron Noir, ndlr). Dans tous les cas, la formule du président sur l’assaut du Capitole ne prépare rien d’apaisé et de modéré. Ça ne peut que radicaliser.