Ils n’ont pas encore terminé leur cycle de discussion actuel que, déjà, les partenaires sociaux savent qu’ils devront se remettre autour de la table. Le premier ministre a annoncé le 27 mars son intention d’aboutir à une nouvelle réforme de l’assurance chômage, alors que deux réformes ont déjà été décidées en 2019, puis en 2022 par Emmanuel Macron.
« Les paramètres de la réforme connus à l’été »
« J’ai demandé à ma ministre du Travail de préparer de nouvelles négociations, qu’on puisse relancer une discussion avec les partenaires sociaux autour d’une vraie réforme, plus globale, de l’assurance chômage », a-t-il affirmé. Le timing est serré : le premier ministre veut avoir « les paramètres de cette réforme à l’été, pour qu’elle puisse entrer en vigueur d’ici à l’automne ».
Demander aux partenaires sociaux de discuter, c’est nécessaire depuis la loi sur la modernisation du dialogue sociale de 2007, dite loi Larcher, du nom du président du Sénat, à l’époque ministre du Travail. Toute réforme sociale doit en effet faire l’objet de « concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l’ouverture éventuelle d’une telle négociation », dit ainsi l’article L1 du Code du travail.
Depuis 2018, le gouvernement peut fortement encadrer les discussions entre syndicats et patronat
Mais depuis une loi de 2018, sous Emmanuel Macron, la gouvernance de l’assurance chômage a été revue. Si le principe d’une gestion paritaire, c’est-à-dire par les syndicats et le patronat, au sein de l’Unedic, a été conservé, il peut être davantage contraint par le gouvernement. Ce dernier peut maintenant définir les limites et l’objectif des discussions par un document de cadrage, envoyé aux partenaires sociaux. Ce document limite aussi dans le temps les négociations.
Si au bout de la négociation, syndicats et patronat n’ont pas trouvé d’accord, ce qui semble probable sur l’assurance chômage, les syndicats dénonçant déjà la nouvelle réforme, le gouvernement peut reprendre la main. Autrement dit, il est libre d’imposer la réforme de son choix. Pour beaucoup, c’est un contournement des partenaires sociaux. Pour mettre en œuvre sa réforme, pas besoin de passer par un projet de loi examiné au Parlement. C’est par un simple décret qu’il agit. Il l’a fait pour la réforme de l’assurance chômage de 2019.
Ce principe était résumé dans le rapport des sénateurs Frédérique Puissat (LR) et Olivier Henno (UDI), lors de l’examen du texte sur le plein emploi, en 2022 : « L’accord conclu par les partenaires sociaux doit ensuite être agréé par le premier ministre. En l’absence d’accord ou d’agrément de celui-ci, les règles d’assurance chômage sont fixées par décret en Conseil d’État (décret dit “de carence”) ».
Etant donné que Gabriel Attal veut que « les paramètres » soient fixée « à l’été », cela laisse peu de temps aux partenaires sociaux, d’autant qu’ils n’ont pas encore reçu le document de cadrage… Mieux : ils terminent actuellement une autre négociation, qui joue les prolongations.
Un accord entre partenaires sociaux… que le gouvernement n’a pas voulu entériner
Pour comprendre, il faut remonter le fil. La réforme votée en 2019 n’a été appliquée qu’en 2021, à cause de l’épidémie de covid-19 et suite à des décisions du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel. Ces règles devant prendre fin au 1er novembre 2022, il a alors fallu passer par la loi pour les prolonger jusqu’au 31 décembre 2023. C’est cette loi qui a mis en place au passage la seconde réforme sur la contracyclicité des règles de l’assurance chômage.
En parallèle, une majorité des partenaires sociaux, qui étaient retournés à la table des négociations, a trouvé un protocole d’accord le 10 novembre 2023 sur une nouvelle convention d’assurance chômage, qui devait prendre le relais au 1er janvier 2024. Mais le gouvernement n’en a pas voulu, estimant notamment que les mesures d’économies étaient incertaines… Il a donc différé l’agrément de la nouvelle convention et pris un décret de jointure qui prolonge encore les règles issues de la réforme 2019, et ce jusqu’au 30 juin 2024. Vous suivez ?
Le gouvernement en a profité pour ajouter un nouvel objectif dans les discussions, sur l’emploi des seniors. La limite des négociations était fixée au 26 mars. Mais les partenaires sociaux n’ayant pas encore trouvé d’accord, le gouvernement leur a accordé une rallonge jusqu’au 8 avril, soit ce lundi.
La ministre Catherine Vautrin « propose » aux partenaires sociaux « de renégocier »
Interrogée le 28 mars sur France Info sur l’accord conclu entre partenaires sociaux le 10 novembre, la ministre du Travail, Catherine Vautrin, a justifié de manière alambiquée la nécessité d’aller plus loin : « L’accord n’est pas caduc, il ne correspond pas à la situation économique avec un déficit de plus de 15 milliards d’euros. La question, c’est de leur dire, ce que vous avez fait, car bien évidemment vous êtes d’accord, doit être transposé. On vous propose de renégocier. D’où la concertation, une nouvelle discussion qui s’enclenche, et à ce moment-là un atterrissage à l’automne », avance la ministre.
Si Catherine Vautrin défend le cadre des négociations, reste que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, envoie depuis des semaines un message contradictoire, et pour le coup pas du tout alambiqué. « L’Etat doit reprendre la main sur l’assurance-chômage de manière définitive », a-t-il affirmé au Monde début mars. Mais ici, la ligne ne semble pas unanime au gouvernement. « Moi, je suis ministre du Travail, et pour moi, le dialogue social, c’est le fondement du modèle social français. Le premier ministre l’a redit : nous sommes attachés à ce modèle social », a assuré Catherine Vautrin, interrogée sur les propos de Bruno Le Maire. On comprend qu’un désaccord existe entre les deux ministres…
« Assumez-vous le choix du gouvernement de faire financer les déficits publics par les demandeurs d’emploi ? »
Au Sénat, cette volonté de remettre le couvert, avec une nouvelle réforme, alors que la précédente s’applique à peine, agace. « C’est le fameux en même temps. A la fois, je dis je fais du paritarisme. Et à la fois, je reprends la main. On ne respecte pas les partenaires sociaux », s’agace la sénatrice LR Frédérique Puissat. Elle ajoute :
A gauche aussi, on critique, pour d’autres raisons. « Assumez-vous le choix du gouvernement de faire financer les déficits publics par les demandeurs d’emploi, par les personnes les plus en difficulté, par les salariés et si j’en crois les rumeurs que j’entends, par les assurés sociaux plus largement plutôt que par les hauts revenus et les dividendes qui explosent », a interrogé mercredi, lors des questions d’actualité au gouvernement, la sénatrice PS Monique Lubin.
Problème de « légalité » de la réforme ?
Avant mêmes les dénonciations de l’opposition, deux services du ministère du Travail avaient alerté le gouvernement, fin 2023, comme l’expliquent Mediapart et Le Monde. Ils jugeaient « peu opportun » de raccourcir la durée d’indemnisation des demandeurs d’emploi. « La conjoncture incertaine du marché du travail n’appelle pas un durcissement immédiat des conditions d’indemnisation », souligne même cette note issue de la Dares (direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques) et de la DGEFP (délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle).
Pire : la note interroge la « légalité », car le décret sur la mise en œuvre de la seconde réforme sur la contracyclicité fait l’objet de recours de plusieurs syndicats devant le Conseil d’Etat. La note conseille d’attendre la décision, avant une nouvelle évolution des règles, face au risque de « différence de traitement » entre demandeurs d’emploi… Si Gabriel Attal pourra passer par décret, en cas de désaccord des partenaires sociaux, sa précipitation pourrait se retourner contre lui.