Ça commence mal. Les sénateurs ont à peine débuté l’examen du texte sur la formation professionnelle, qu’ils l’ont interrompu. En cause : la nouvelle donne sur l’assurance chômage, suite aux déclarations la veille d’Emmanuel Macron, devant le Congrès.
« Je souhaite que les partenaires sociaux révisent les règles de l'assurance chômage afin que (…) nous puissions non seulement nous assurer qu'elles récompensent bien davantage la reprise d'activité mais aussi qu'elles incitent à la création d'emplois de qualité », a annoncé le Président, avant un sommet social prévu le 17 juillet. « Le projet de loi avenir professionnel sera modifié en ce sens dans les prochains jours et ces règles seront négociées dans les prochains mois par les partenaires sociaux afin qu’une telle réforme puisse entrer en vigueur au printemps 2019 » a ajouté le chef de l’Etat. Selon Le Figaro, ces nouvelles discussions qui s’ouvrent pourraient aller loin et toucher à la durée d'indemnisation ou au montant des indemnités. Soit une réforme en profondeur.
« Pas question de commencer une discussion générale si nous n’avons pas le texte de l’amendement »
A l’ouverture de la discussion générale, c’est le président du groupe LR, Bruno Retailleau, qui monte au créneau. Le sénateur de Vendée demande des explications à la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, s’étonnant de ces changements de dernière minute. D’autant que les sénateurs n’ont pu plancher dessus en commission. « Nous pensons nécessaire d’aller plus loin sur l’assurance chômage » reconnaît la ministre, confirmant le dépôt d’un « amendement permettant aux partenaires sociaux d’ouvrir des discussions dès septembre ».
Une réponse qui n’a pas satisfait Bruno Retailleau, qui demande que le gouvernement fournisse sur le champ le texte de l’amendement, sans quoi le Sénat ne pourra pas continuer ses travaux sur ce texte… « Pas question de commencer une discussion générale si nous n’avons pas le texte de l’amendement », « ça pose un problème de forme et de fond » insiste le président de groupe.
« Vous évoquez le champ des possibles. Mais aujourd’hui, c’est le champ de l’incroyable »
Une menace sous forme d’ultimatum soutenue par l’ensemble des bancs. « Vous évoquez le champ des possibles. Mais aujourd’hui, c’est le champ de l’incroyable » lance Patrick Kanner, président du groupe PS (voir la vidéo ci-dessous). Il ajoute : « Je ne savais pas que la fonction jupitérienne permettait de passer par ce type de procédure. Nous ne sommes pas un corps intermédiaire, nous sommes le Parlement de la France. (…) Nous sommes scandalisés par vos propos ». La sénatrice PCF Laurence Cohen dénonce pour sa part « un certain mépris », « la moindre des choses, c’est de nous informer ». « Pourquoi faut-il ouvrir à nouveau les discussions avec les partenaires sociaux alors qu’il y a eu un accord le 22 février ? » demande Olivier Henno, sénateur UDI du Nord.
« Vous évoquez le champ des possibles. Mais aujourd’hui, c’est le champ de l’incroyable » raille Patrick Kanner sur l'assurance chômage
Bruno Retailleau demande alors à la ministre de « produire le texte de l’amendement ». Vous comprendrez, que le Sénat ne puisse pas continuer ses travaux sans être éclairé ». Suspension de séance de 10 minutes.
Air contrit
A la reprise, la ministre s’explique, presque l’air contrit. Et fait dans la pédagogie. Le contexte : un nouveau « paysage des partenaires sociaux », « avec de nouveaux interlocuteurs ». « Plusieurs ont exprimé le souhait d’un agenda social plus important ». Les partenaires sociaux ont peut-être bon dos. C’est dans ce contexte que « le Président leur a proposé » une discussion plus large, y compris sur l’assurance chômage. « Nous n’avons pas prévu pour l’instant une réforme systémique de l’assurance chômage dans le texte » reconnaît la ministre, mais maintenant, « nous ouvrons le champ de l’agenda social à toutes les portes ».
Le calendrier : rediscuter de l’assurance chômage implique un timing particulier. Or impossible de le faire à la rentrée « sans disposition législative » au préalable. Et donc sans un vote de l’amendement par les sénateurs.
« Explorer la possibilité d’avoir une allocation chômage de longue durée (…) au-delà de deux ans »
Si elle n’est pas revenue avec l’amendement entre les mains, elle s’est engagée à la distribuer d’ici la fin de la discussion générale, qui dure environ une heure. Elle a pu, au moins, le décrire aux sénateurs : le premier article « prévoit que les partenaires sociaux, dans le cadre de la convention d’assurance chômage, puissent se prononcer ou explorer la possibilité d’avoir une allocation-chômage de longue durée, (…) au-delà des deux ans, déjà prévus par la convention d’assurance chômage ». Regardez :
Muriel Pénicaud présente l'amendement du gouvernement sur l'assurance chômage
« Le deuxième article prévoit que les partenaires sociaux puissent entrer dans le dispositif de négociation de la convention de l’assurance chômage (…) sur la base d’un document de cadrage établi par le gouvernement, (…) dans l’agenda de septembre à la fin d’année ou début d’année prochaine ».
Bruno Retailleau prend acte du dépôt à venir de l’amendement. Et ajoute, pas mécontent de son coup : « Ne prenez pas ce recadrage à titre personnel. Mais nous sommes stupéfaits de cette méthode de travail. Vis-à-vis de vous d’ailleurs. Vous êtes la première victime. Nous sommes l’autre victime » lance-t-il, alors que commence, quasiment au même moment à l’Assemblée, le débat sur la réforme constitutionnelle censée améliorer le travail parlementaire…
En fin de journée, comme annoncé, l'amendement a bien été déposé par le gouvernement (à voir sur le site du Senat). Il porte sur l'article 33 du projet de loi et sera examiné mercredi matin par la commission des affaires sociales.