FRA : ASSEMBLEE NATIONALE : QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

Attaque du Hamas : le soutien de Marine Le Pen à Israël est « un pas symbolique » dans sa stratégie de normalisation du RN, souligne Jean-Yves Camus

Le spécialiste de l’extrême droite analyse l’attitude de Marine Le Pen et du Rassemblement national depuis l’attaque du Hamas contre Israël. Son soutien à l’Etat hébreu participe à la normalisation du RN, « en cours depuis que Marine Le Pen a pris les rênes du parti ».
François Vignal

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Suite à l’attaque du Hamas, le Rassemblement national (RN) s’est montré particulièrement aux côtés d’Israël. « Il y a un événement assez considérable, qui est la déclaration de Jordan Bardella, qui est une déclaration de soutien à Israël, sans aucune réserve », relève Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean Jaurès. Pour ce spécialiste de l’extrême droite, « la présence des élus du RN à la manifestation de dimanche, place du Trocadéro, est un signal donné à la communauté juive ». Il soulève le fait que « dans une communauté juive qui est littéralement sidérée par ce qu’il s’est passé », certains estiment que « ce que dit Jordan Bardella est quand même plus proche de leur cœur, que ce que raconte Mathilde Panot ». Entretien.

Le RN cherche à se dédiaboliser depuis des années. En se montrant en soutien d’Israël après les attaques du Hamas, un pas a-t-il été franchi dans cette stratégie ?

C’est un pas qui est surtout symbolique. Car la présence des élus du RN à la manifestation de dimanche, place du Trocadéro, est un signal donné à la communauté juive. Or toutes les études sur le vote de la communauté juive montrent qu’en fait, il s’agit d’un échantillon extrêmement faible de la population française. Sur la base d’une communauté estimée entre 400.000 et 500.000 personnes – car il faut rappeler qu’en France, on n’a pas de décompte fiable des personnes par confession car nous sommes un pays laïc – on arrive à moins de 200.000 votants.

Si on estime, ce qui est le cas de pas mal de sociologues, que la communauté a un demi-million de personnes, avec des abstentionnistes, des personnes de nationalité étrangère qui ne votent pas, au total, on arrive à 180.000 électeurs. Alors quand on dit que le RN fait plus de 10 % désormais du vote juif, c’est plus de 10 % de 180.000 électeurs. Autrement dit, en nombre de voix, c’est très peu. L’important, ce n’est pas le nombre. L’important, c’est la symbolique. C’est-à-dire le changement qui existe depuis l’époque de Jean-Marie Le Pen où, en raison de ses déclarations antisémites répétées, le pourcentage de juifs qui votaient pour lui était extrêmement peu élevé, de l’ordre de 5 % dans le meilleur des cas.

Les choses ont effectivement changé avec Marine Le Pen dès la présidentielle de 2012, d’une part, car elle n’a pas les idées de son père, et d’autre part, entre 2012 et 2017 puis 2022, s’est produit quelque chose de considérable qui est la montée du terrorisme islamiste sur le sol français. Sans attendre ce qu’il s’est passé samedi dernier à Gaza et en Israël, j’entendais de plus en plus de gens dire dans une partie de la communauté juive que bon, on ne votera pas pour le RN, car en tant que citoyens, on considère que son programme est dangereux pour la République. Mais soyons honnêtes, s’il s’agit de mesurer aujourd’hui le danger que pose le RN pour les juifs de France, et comparé avec le danger que pose l’extrême gauche, qui soutient les mouvements palestiniens radicaux, c’est clairement l’extrême gauche qui représente le plus grand danger pour les juifs de France. C’est ce que j’entends chez quelques-uns des juifs que je fréquente. Ce n’est pas un phénomène de masse.

Comment s’est passé la présence de députés RN, Place du Trocadéro, lundi soir, pour la « marche de solidarité » pour Israël organisé par le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) ?

Quand les députés RN sont arrivés Place du Trocadéro, ils n’ont pas été salués par une salve d’applaudissements, mais il n’y a pas eu non plus d’hostilité. Ça n’a pas été un accueil triomphal, car la majorité des gens ne les ont pas reconnus. Ils sont arrivés à la fin de la manifestation, très modeste.

Et il y a un événement assez considérable, qui est la déclaration de Jordan Bardella, qui est une déclaration de soutien à Israël, sans aucune réserve. Et dans une communauté juive qui est littéralement sidérée par ce qu’il s’est passé, comment voulez-vous que des gens, même s’ils ne voteront pas pour le RN, ne se disent pas, qu’entre ce que peuvent dire les députés LFI et ce que dit Jordan Bardella, ce que dit Jordan Bardella est quand même plus proche de leur cœur, que ce que raconte Mathilde Panot ?

La volonté de LFI de ne pas qualifier les actes du Hamas de terroristes mais plutôt de crimes de guerre facilite-t-elle indirectement la stratégie de normalisation du RN ?

A ce stade, oui. Ce qu’il manque à LFI c’est une conscience claire de qu’est le logiciel islamiste radical du Hamas. Comme une bonne partie de l’extrême gauche, ils sont restés sur l’idée qu’il s’agissait d’un mouvement de libération, comme les mouvements de libération des années 70 à l’époque de la décolonisation. Demain, dans un régime où le Hamas serait aux manettes, ces gens ne seraient pas libres plus de quelques semaines. Le Hamas n’est pas partisan d’élections libres et démocratiques, n’a pas de vision particulièrement avancée du rôle des femmes dans la société. Cette manière de ne pas comprendre la nature profonde du Hamas les conduit à commettre une erreur considérable. Non seulement sur ce qu’il se passe au Proche Orient et sur ce qui pourrait se passer en France, si jamais un certain nombre de faibles d’esprits venaient à s’en prendre à des personnes ou des lieux de la communauté juive.

Selon l’enquête annuelle « Fractures françaises » Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, le Centre de recherches politiques de Sciences Po, la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, 57 % des sondés considèrent LFI comme dangereux pour la démocratie, contre 52 % pour le RN. C’est symptomatique de cette évolution ?

On en arrive à ça, quand on confond la tribune de l’Assemblée nationale avec une assemblée générale d’une association militante, quand on passe son temps à pousser aux extrémités, on arrive effectivement à un résultat qui est problématique pour l’avenir du parti. Je ne dis pas que Jean-Luc Mélenchon n’a pas de capacité à gouverner, il a été ministre. Mais depuis lors, LFI a choisi une obstruction et une opposition systématique, et une radicalisation systématique, dont seul semble s’écarter François Ruffin. Par comparaison, Marine Le Pen, qui est beaucoup plus calme, pense que c’est l’actualité qui travaille pour elle, lentement, gentiment. Elle engrange des points.

Mais on ne peut pas dire que la normalisation du RN soit causée par LFI. Elle est en cours depuis que Marine Le Pen a pris les rênes du parti, par simple effet comparatif. Quand on regarde ce que dit Marine Le Pen et comment les députés RN agissent au Parlement et qu’on compare avec l’attitude de Jean-Marie Le Pen et des 35 députés FN qui ont siégé entre 1986 et 1988, on voit que le RN tient un discours plus responsable et s’est coulé beaucoup plus dans le moule des mœurs parlementaire.

Marine Le Pen essaie de former, via le travail parlementaire, une nouvelle génération de gens, qui répond au principal reproche que les gens font au RN, qui est de ne pas avoir de capacité à gouverner. Elle est en train d’essayer de montrer qu’élire un parlementaire RN, c’est élire quelqu’un qui n’est pas un ennemi de la démocratie. Mais qui est un député, totalement comme les autres, qui utilise les codes parlementaires, qui n’est pas dans l’invective.

Des députés LR, et quelques Horizons et Modem, ont applaudi Marine Le Pen mardi. Contribuent-ils aussi à cette normalisation ?

LR joue un peu son va-tout. Le positionnement que LR doit trouver consiste à être un parti de droite dont une partie de la base partage quelques idées clefs du RN sur l’insécurité et l’immigration, tout en n’officialisant pas un accord avec Marine Le Pen qui aurait pour résultat de faire partir inéluctablement une autre partie de LR qui ne veut pas en entendre parler. De plus, l’électorat frontiste est solidement arrimé à Marine Le Pen et le restera.

Quand on se rappelle des origines du RN, est-on à front renversé ?

Le problème qu’on a, c’est que les origines du RN resteront toujours les mêmes. Elles sont écrites dans les livres d’histoire et de sciences politiques, mais c’est comme avec Giorgia Meloni. On ne peut pas la ramener uniquement au parti néofasciste des années 80. Quand on combat le RN, il faut essayer d’être un peu plus fin que de toujours rappeler des événements qui se sont déroulés il y a maintenant 30 ans, que les jeunes générations ne connaissent plus. Vous pouvez toujours répéter que Jean-Marie Le Pen a tenu des propos négationnistes, ça fait tellement longtemps que ça ne parle pas aux générations qui viennent.

Le RN a-t-il suffisamment pris ses distances avec son passé pour se laver de tout lien avec l’antisémitisme ?

Marine Le Pen n’a jamais renié l’époque de son père. Elle se refuse à tout reniement. Mais dans la pratique, c’est vrai qu’aujourd’hui, elle ne tient pas le même discours que lui. Donc au bout du compte, quand vous comparez les déclarations d’aujourd’hui et celles d’il y a 30 ans, le ton n’est plus le même. Qu’est-ce qu’il en est à la base du parti ? C’est une enquête qui reste à faire. Les militants de base ont une idée assez claire aujourd’hui, que dans la hiérarchie des dangers qui se posent à notre pays, il y a d’abord l’islamisme radical, et la communauté juive passe bien après.

Depuis qu’elle s’est lancée en politique, Marine Le Pen ne s’est désolidarisée à aucun moment des propos de son père ?

C’est une attitude psychologique, qui est le résultat d’une configuration particulière. Elle est la successeure politique de son père, mais elle est aussi sa fille. C’est toujours plus compliqué de demander à quelqu’un de désavouer ou de prendre ses distances avec son père, que de le faire avec son prédécesseur. Mais elle a bel et bien écarté son père des instances dirigeantes du RN. Car elle avait bien compris que les propos de Jean-Marie Le Pen cornérisaient le parti et lui interdisait de devenir un parti de gouvernement.

La présence, jusqu’à récemment, de deux anciens des radicaux du GUD, Frédéric Chatillon et d’Axel Loustau, dans son entourage, ne montre-t-elle pas un lien conservé avec la frange la plus radicale de l’extrême droite ?

On a du mal à couper des amitiés personnelles, sans doute. Mais combien de Français ont connaissance de leur existence ? De ce qu’ils ont dit ou fait ? Est-ce qu’on n’est pas dans notre bulle en les évoquant à chaque fois ? Je pense que les électeurs n’en savent rien.

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