La loi de programmation militaire est très attendue au Sénat, où les élus font part de leur inquiétude

La loi de programmation militaire est très attendue au Sénat, où les élus font part de leur inquiétude

Le projet de loi de programmation militaire (LPM) pour la période 2024-2030 doit être présenté avant la fin de l’année. Il place l’exécutif devant un double défi : conforter la hausse des crédits consacrés à la Défense face au regain de tensions internationales, tout en tenant compte d’un contexte économique fortement dégradé. Echaudés par certains engagements non tenus sur le précédent texte du genre, les sénateurs se montrent dubitatifs.
Romain David

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Le futur projet de loi de programmation militaire est attendu cet hiver au Parlement. Ce document hautement stratégique, qui fixe pour les six prochaines années la trajectoire des moyens alloués à défense de la France, doit prendre le relais du volet 2019-2025 qui a été marqué par une augmentation inédite des crédits aux armées, avec un budget de 295 milliards d’euros après un quart de siècle de vaches maigres pour le budget de la Défense. Mais la prochaine LPM arrive dans un contexte particulièrement sensible : d’un côté la montée des tensions à l’international et la guerre en Ukraine, qui posent le problème de l’indépendance stratégique de la France, de l’autre une situation financière dégradée après la crise du covid-19 avec une dette publique qui pèse désormais pour 114,5 % du PIB. Une situation antinomique qui a marqué le conseil de Défense du 28 septembre dernier, lequel se serait « mal passé », selon le récit qu’en livre le journal L’Opinion dans son édition du 10 octobre. Emmanuel Macron aurait retoqué le montant de 435 milliards demandé dans cette LPM par les états-majors et, plutôt qu’une enveloppe globale, réclamé une réflexion à partir « de ce dont nous avons le plus besoin » en tenant compte du retour des conflits armés, notamment sur le continent européen, rapporte le quotidien. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, se veut pourtant rassurant : « Il n’y a pas de mauvaises nouvelles budgétaires à attendre », assure-t-il, toujours dans les colonnes de L’Opinion.

Mais au Sénat, où le ministre sera auditionné mardi sur le budget 2023, on regarde ce texte avec d’autant plus de circonspection que les engagements pris dans le cadre de la précédente LPM, malgré une courbe budgétaire à la hausse, n’ont pas tous été respectés. Le texte qui fixait un budget de la défense à hauteur de 2 % du PIB à l’horizon 2025, devait faire l’objet d’une actualisation fin 2021, finalement évacuée par l’exécutif. « Il se trouve qu’en raison de la récession, cet objectif est déjà atteint. Mais surtout et d’autre part, la longueur de la crise sanitaire, ses conséquences économiques […] ont changé les conditions de cette actualisation et donc les perspectives pour 2024 et 2025 », avait alors justifié Jean Castex devant les sénateurs.

Une situation qui a échauffé les esprits dans les couloirs de la Chambre haute : « Le refus du gouvernement de respecter la loi était une aberration. Déjà à l’époque, on voyait bien qu’il y avait des ajustements à réaliser », relève auprès de Public Sénat, la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret, Secrétaire de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. « Ce qui me chagrine, c’est cette volonté de passage en force alors que la situation internationale exige une réflexion géopolitique collective. La LPM, ce n’est pas la somme des besoins réclamés par les différents corps d’armée, c’est se demander où nous en serons dans cinq ans. Actuellement, la revue stratégique de défense est en train d’être écrite sur un coin de table », soupire cette ancienne ministre chargée des Français de l’étranger sous François Hollande.

« En face des besoins capacitaires, il faut poser des ambitions financières »

Le sénateur LR Cédric Perrin, qui a participé en 2018 à la commission mixte paritaire qui a accouché d’un compromis sur la dernière LPM, doute que le texte puisse être présenté d’ici le début de l’année prochaine en raison du casse-tête que représente le cadre budgétaire contraint. « Le problème, c’est qu’avec l’inflation l’impact des 3 milliards promis sera moindre que ce qu’ils devaient être, alors que tous les pays sont en train de se remilitariser », explique le sénateur LR. Le texte de programmation actuellement en vigueur prévoit en effet une hausse de 3 milliards d’euros du budget de la défense en 2023. « La France fait face à des difficultés économiques, alors qu’en face des besoins capacitaires, il faudrait poser des ambitions financières. Mais quand le président nous dit qu’il faut une économie de guerre, il reste dans le déclaratif », soupire-t-il. « Le budget ne peut pas être monobloc, il doit être remis à plat. Mais je pense que les militaires restent celles et ceux qui sont les mieux à même de savoir ce dont ils ont besoin. »

« Avec la guerre en Ukraine et l’envoi de matériel, les militaires français sont en train de tester les limites de ce qu’ils peuvent faire. Ce qu’ils répondent face à la vision comptable court-termiste du gouvernement, c’est que si demain nous faisons face à une agression, nous ne serons pas nécessairement en mesure d’y répondre », alerte la sénatrice Conway-Mouret. Le conflit en Ukraine a fait remonter dans le débat public les failles du complexe militaro-industriel français : des réserves insuffisantes de munitions, une flotte aérienne grevée par la vente de Rafale à la Croatie, la fermeture de plusieurs bases aériennes, ce qui a abouti à concentrer les appareils sur un nombre restreint de sites stratégiques, ou encore le débat non tranché sur la possibilité de doter la Marine nationale d’un second porte-avions de nouvelle génération. « Il y a un changement de paradigme, La guerre de haute intensité, telle qu’elle existe en Ukraine, oblige le passage d’un modèle immatériel, caractérisé par des opérations de déstabilisation comme les cyberattaques, au retour à un modèle matériel qui nécessite de la masse humaine et matérielle », résume Cédric Perrin.

Des chefs d’état-major priés de rentrer dans le rang ?

Toutefois, les doléances qui ont pu être formulées devant la représentation nationale par les généraux semblent avoir agacé l’exécutif. Auditionné par l’Assemblée mercredi dernier sur le projet de loi de finance 2023, Sébastien Lecornu s’est présenté – situation inhabituelle – accompagné par les chefs d’Etat-major. Certains avaient déjà été entendus cet été par les députés fraîchement (ré) installés. « J’ai été choquée de voir qu’ils devaient accompagner le ministre, comme une forme de recadrage », décrypte Hélène Conway-Mouret.  « On cherche à limiter leur expression alors que ce sont des hommes loyaux, respectueux. On ne peut pas vraiment dire qu’ils sont revendicatifs ou qu’ils portent une parole critique à l’égard du pouvoir. Je peux vous dire que ça va très mal se passer devant la commission sénatoriale si on les empêche de parler. »

Cédric Perrin y voit une forme de censure. « On demande aux militaires de ne plus parler aux parlementaires, ce n’est pas responsable ! Je rappelle que le Sénat a voté à 90 % la précédente loi de programmation militaire. Ne pas nous faire confiance, c’est juste pas possible », s’agace le LR. Une situation qui risque de braquer inopportunément les élus alors que l’absence de majorité absolue peut contraindre l’exécutif, face à une opposition de gauche assez remontée depuis le début de la législature, à aller glaner des voix à droite de l’échiquier politique, en particulier sur les sujets régaliens. « Je lis partout que le ministre va devoir aller convaincre à l’Assemblée nationale, je rappelle qu’il y a aussi un Sénat. S’ils veulent s’appuyer sur nous - puisque tout cela va certainement se terminer en commission mixte paritaire – ils devront nous associer aux concertations. On les attend », conclut Cédric Perrin.

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