Toutes les mesures de sécurité nécessaires étaient-elles en oeuvre lorsque l'attaque au camion-bélier a frappé Nice, le 14 juillet 2016 ? Entendu comme témoin assisté, le maire de Nice Christian Estrosi a renvoyé à la responsabilité de l'Etat et au manque d'avancées légales en matière de vidéosurveillance.
Ce soir-là, une foule compacte de touristes et de Niçois s'était réunie sur la promenade des Anglais pour assister au feu d'artifice lorsque Mohamed Lahoueij-Bouhlel a foncé sur les spectateurs au volant d'un camion de 19 tonnes, faisant 86 morts et 450 blessés. Cette attaque avait été suivie d'une vive polémique sur la sécurisation de l'événement.
Une enquête avait été ouverte après la plainte, fin 2016, de l'avocat parisien Yassine Bouzrou, rejoint depuis par 150 parties civiles.
Ces dernières semaines, le maire, son premier adjoint Philippe Pradal et le préfet des Alpes-Maritimes de l'époque Adolphe Colrat ont été interrogés par les juges d'instruction comme témoins assistés, un statut intermédiaire entre simple témoin et mis en examen.
Leurs longues auditions récentes, près d'une journée pour chacun, mettent en lumière l'ampleur des investigations menées par les magistrats depuis 2017.
Face aux magistrats, MM. Estrosi et Pradal ont affirmé avoir réclamé "les mêmes conditions de sécurisation que celle du carnaval ou de l'Euro" de football et respecté "à la lettre" les demandes de la préfecture, selon des documents dont l'AFP a eu connaissance.
"Si on avait demandé à la Ville d'appliquer un système étanche, nous l'aurions fait", a ainsi assuré M. Estrosi le 29 avril. "In fine, c'est la hiérarchie de l'Etat qui arbitre", a-t-il dit, estimant aussi qu'il revenait au préfet de le contacter, lui ou M. Pradal, s'il y avait eu le moindre problème.
M. Estrosi était premier adjoint au moment de l'attaque avant de revenir quelques mois plus tard aux commandes de la mairie qu'il occupait depuis 2008.
Pour lui, les festivités du 14 juillet, qui avaient attiré 30.000 personnes, avaient été "autorisées par l'Etat".
Zone ouverte ou fermée, nombre de forces de l'ordre sur le terrain ce soir-là, absence de blocs de béton pour bloquer les véhicules... Les juges ont décortiqué les réunions préparatoires pour vérifier qui avait décidé quoi entre la préfecture et la mairie, relevant un "sentiment de flou".
- "Elucidation" -
Ils insistent pour savoir pourquoi un dispositif fermé, avec barriérage et filtrage du public, proposé le 28 juin 2016, avait été finalement écarté le 7 juillet. Ni MM. Pradal, Estrosi ou le préfet n'assistaient à ces réunions.
"Le dispositif ouvert a bien fait l'objet d'un choix clair, partagé par l'Etat et la ville", a pour sa part exposé aux juges le préfet Colrat lors de son audition le 10 mai, soulignant la bonne entente qui régnait avec la mairie.
"L'Etat ne cherche nullement pour sa part à diluer sa responsabilité dans celle de la Ville" et "le dispositif fermé, à supposer qu'on ait pu matériellement le mettre en oeuvre, ne nous promettait que la pagaille et d'éventuels risques supplémentaires", a-t-il également justifié.
Quant au risque d'intrusion d'un véhicule-bélier, évoquée pour la sécurité de l'Euro-2016 de football organisé quelques semaines auparavant, "il est très difficile de prévoir ce qui n'est jamais arrivé ou qui n'a pas fait l'objet de renseignement", s'est défendu le préfet.
La vidéo-surveillance, dans une ville passée de 280 caméras en 2008 à plus de 2.300 aujourd'hui, n'aurait-elle pas pu permettre de détecter les multiples repérages de l'assaillant ? Le camion de Lahoueij-Bouhlel a été filmé à de multiples reprises les jours précédents sur la promenade des Anglais.
M. Estrosi balaie cette éventualité: "A quelques exceptions près, c'est un outil essentiellement dévolu à l'élucidation", dit-il, alors que l'enquête met en évidence un manque de formation des agents postés devant les écrans.
Selon le maire, si le conducteur du camion "avait été vu et interpellé à temps, cela aurait justifié un timbre amende de 22 euros" seulement.
"En l'état actuel, seule l'intelligence artificielle pourrait permettre de déceler un repérage", assure-t-il, se plaignant de ne pouvoir légalement mettre à l'essai des dispositifs d'expérimentation.
En janvier 2015, moins deux semaines après l'attentat contre Charlie Hebdo, M. Estrosi avait assuré être "à peu près convaincu que si Paris avait été équipé du même réseau" de caméras que sa ville, "les frères Kouachi n'auraient pas passé trois carrefours sans être neutralisés".