Attentats du 13 novembre 2015 : « Je vois des victimes qui sortent du Bataclan, le regard hagard… », se remémore François Hollande

ENTRETIEN – Dix ans après les attentats du 13 novembre 2015, l'ancien président de la République revient auprès de Public Sénat sur le déroulé des attaques terroristes de Seine-Saint-Denis et de Paris. Il détaille la gestion de la crise et les décisions prises cette nuit-là, mais analyse aussi l'évolution du pays face à cette épreuve.
Romain David

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À l’occasion du dixième anniversaire des attentats du 13 novembre 2015, Public Sénat a recueilli le témoignage de François Hollande. Celui qui était alors président de la République assistait ce soir-là au match France-Allemagne au Stade de France, aux abords duquel trois hommes se feront exploser en début de soirée. Le coup d’envoi d’une nuit « d’horreur » qui va faire 130 morts, et dont l’ancien locataire de l’Elysée déroule le fil : l’attaque des terrasses parisiennes, ses premières décisions, la fusillade et la prise d’otage au Bataclan, puis son arrivée sur les lieux. Une décennie plus tard, François Hollande livre le regard qu’il porte sur cette période et la manière dont la France s’est adaptée « pour gagner cette guerre qui nous était faite ».

Quelle est la première image qui vous revient lorsque l’on vous parle de la nuit du 13 novembre ?

« La première image qui me revient, c’est lorsque je suis informé qu’il y a un attentat à l’extérieur du stade. À ce moment-là, on ne sait pas encore si l’un des terroristes ne s’est pas introduit dans le stade lui-même. La première chose que j’ai à l’esprit c’est ce point de bascule, ce moment l’on passe d’une forme de quiétude, un match de football avec des amis autour de nous, dans une ambiance plutôt bon enfant, à une tragédie qui va se produire toute cette nuit du 13 novembre.

Vous avez été indirectement témoin des explosions au Stade de France, qui vont marquer le début des attaques, puisque vous assistiez ce soir-là à la rencontre France-Allemagne. Est-ce que vous vous souvenez du moment où vous comprenez ce qui est en train de se passer ?

Lorsqu’arrive la première explosion, on veut croire que ce n’est pas une action terroriste, que ça relève de ces bruits qu’on entend quelquefois dans les matchs de football, même si celui-là était particulièrement sécurisé. La seconde explosion ne laisse pas de doute. Nous pouvons comprendre que quelque chose se passe à l’extérieur du stade.

Ensuite, tout va très vite. Au moment où je quitte ma place pour rejoindre le QG de sécurité, je reçois un coup de téléphone du Premier ministre Manuel Valls, qui me dit qu’à Paris – il ne sait pas exactement avec quelle ampleur et sur quels lieux – il y a des attaques terroristes sur des terrasses de cafés. Et puis, quelques minutes plus tard, que le Bataclan est lui-même attaqué. Ce que j’imaginais encore être à ce moment-là une opération contre le Stade de France devient une opération contre la France elle-même, toute la France, car même si c’est Paris, c’est bien notre pays qui est visé dans ce qu’il a de valeurs fondamentales : un match de football, des lieux d’échange, de rencontres, de plaisir partagé…

À cet instant, quelles sont les premières décisions que vous prenez ?

Le match devait se poursuivre. S’il s’interrompait, il y avait un risque que les spectateurs quittent le stade. Or, nous ne savions pas s’il n’y avait pas encore des terroristes à l’extérieur. Donc, la façon de garantir la sécurité des spectateurs, c’était de faire en sorte que le match puisse se poursuivre et que, au terme de la rencontre sportive, le public reste dans l’enceinte, ce qui sera le cas.

Dans le même temps, je demande au ministre de l’Intérieur de me rejoindre pour que je puisse avoir toutes les informations sur ce qui se passe à Paris, avant de prendre d’autres décisions. Place Beauvau, une réunion était déjà en cours sur la question de l’évacuation des blessés, de leur prise en charge. Des actions tout à fait majeures avaient été engagées.

Finalement vous quittez le Stade de France peu après le début de la seconde mi-temps pour rejoindre la cellule de crise interministérielle vers 22 heures.

Arrivant au ministère de l’Intérieur, je prends deux décisions. La première, c’est l’état d’urgence, c’est-à-dire de pouvoir mener à bien des opérations de réquisitions, perquisitions, arrestations et surtout de contrôle des frontières. Et puis, la deuxième décision, c’est de pouvoir lancer une opération policière extrêmement délicate pour libérer les otages du Bataclan.

 Ce n'est pas aux politiques de se transformer en libérateurs d'otages. Ce serait une confusion particulièrement fâcheuse des rôles  

Sur la libération des otages et l’assaut des forces de l’ordre au Bataclan, on imagine que ce sont des décisions extrêmement lourdes à prendre, avec la peur de commettre une erreur, de mal évaluer la situation ?

Oui, il y a toujours cette prise de risque. Nous l’avions déjà connue au moment des attentats du mois de janvier de cette même année 2015, quand il s’était agi de libérer les otages de l’HyperCacher. Nous avions convenu avec le Premier ministre et le ministre de l’Intérieur de lancer l’opération de manière que les preneurs d’otages ne puissent pas exercer sur nous quelque chantage que ce soit. Mais entre le moment où je donne l’ordre d’engager cette opération – ordre transmis par le ministre de l’Intérieur -, et le moment où ils vont être effectivement sauvés, il s’écoule au moins deux heures. C’est très long et cela peut être insupportable pour les otages, pour leurs familles et pour nous.

Je suis informé de l’avancée des opérations avec une forme d’impatience qu’il faut contenir. Il faut faire confiance aux forces de l’ordre qui vont procéder par étapes, qui vont même parler avec les assaillants avant d’agir. Il ne faut pas que l’autorité publique se substitue à ceux qui vont mener l’action, ce n’est pas aux politiques de se transformer en libérateurs d’otages. Ce serait une confusion particulièrement fâcheuse des rôles.

Peu avant minuit vous choisissez de prendre la parole alors que les opérations sont toujours en cours au Bataclan, pour une allocution très courte avec des mots extrêmement forts. On devine la sidération, vous parlez notamment « d’horreur ». Ce sont des termes que l’on entend rarement dans la bouche d’un président, et qui tranchent avec la posture habituelle du chef de l’Etat, qui est plutôt d’essayer de rassurer.

On m’a sollicité pour parler aux Français dès le début des attaques, mais je me suis retenu de le faire. Je voulais que mon intervention puisse se faire au moment qui convenait, c’est-à-dire après avoir tenu un Conseil des ministres au cours duquel des décisions importantes ont été prises, et une fois que nous avions une évaluation à livrer sur ce qu’il se produisait, pas simplement un commentaire. Donc j’ai attendu, et les Français m’ont attendu. Je me suis exprimé sans avoir préparé de texte. Comment écrire un texte dans ces moments de tension et d’action ? Cette intervention, d’une certaine façon, elle s’est imposée à moi. Je me suis exprimé avec mes mots qui étaient ceux de l’émotion, de ce que je ressentais, de ce que les Français pouvaient également ressentir. Le mot ‘horreur’ est venu spontanément. Mais je me suis aussi exprimé comme président de la République qui devait prendre des décisions, qui devaient engager des actions et dire aux Français que nous étions capables, par nos moyens propres, dans une démocratie, de surmonter nos peurs pour gagner cette guerre qui nous était faite.

 Moi-même j'ai des enfants. Je me pose cette question que se posent tous les parents : où sont-ils ? Est-ce qu'il n'y a pas l’un des miens qui se trouve sur les lieux ? 

Vous vous êtes rendu au Bataclan, quelques minutes après la fin de l’assaut. Vous pouvez nous décrire ce que vous voyez à votre arrivée ?

Il n’était pas forcément recommandé d’aller sur place par les responsables de la sécurité. Mais il était nécessaire de le faire, pour constater ce qui était en cours, notamment l’évacuation des blessés. Il y a eu une mobilisation exceptionnelle de la part des forces de l’ordre et des secours. Quelques jours avant, ils s’étaient prêtés à un exercice de préparation en cas d’attaque terroriste ou de catastrophe. C’est ce qui explique qu’il y a eu, finalement, peu de morts parmi les blessés qui ont été évacués.

Lorsque j’arrive sur le lieu même du Bataclan, je vois encore des victimes qui, heureusement, ont échappé à la mort et sortent du bâtiment. Elles sont dans une espèce de torpeur, le regard hagard, et elles aperçoivent le président de la République… Humainement, il était très important que je sois là. Je voulais que ma présence leur montre que nous étions conscients de ce qui venait de se produire et prêts à agir. Vous savez, les blessés ne sont pas uniquement ceux qui portent des blessures physiques, ce sont aussi ceux qui ont vécu cette tragédie et qui ont gardé, qui gardent encore, des séquelles psychologiques tout à fait douloureuses.

De par votre fonction, vous êtes dans l’action toute la nuit, mais est-ce qu’il n’y a pas un moment où l’émotion prend le pas, où l’on se sent craquer devant de telles scènes ?

Moi-même j’ai des enfants. Je me pose cette question que se posent tous les parents : où sont-ils ? Est-ce qu’il n’y a pas l’un des miens qui se trouve sur les lieux ? Mais l’action est tellement forte, la pression tellement grande, l’engagement tellement nécessaire que l’émotion est forcément contenue, au risque de laisser transparaître une forme d’inhumanité, comme si on traitait simplement de l’action de sécurité, sans prendre en compte la mesure de ce que souffrent des familles entières.

Mais vers deux heures, trois heures du matin, lorsqu’on en a terminé, comment se séparer avec le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur, la ministre de la Justice, et les fonctionnaires qui nous ont accompagnés toute la nuit ? Comment aller retrouver sa chambre à coucher et essayer de dormir ? C’est impossible. Alors nous nous sommes retrouvés ensemble au ministère de l’Intérieur avec Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira, et nous avons passé la nuit à parler.

 Je considérais, à ce moment-là, que la déchéance de nationalité pour les binationaux pouvait éventuellement rassembler la nation, ce qui n'a pas été le cas 

Il y avait eu une unité nationale quasi inédite après la fusillade au siège de Charlie Hebdo. Là, des critiques politiques, des divergences sur les actions à mener se font entendre assez rapidement, malgré votre main tendue vers l’opposition. Comment l’expliquer ?

Faire consensus, c’était le sens de mon discours au Congrès à Versailles, le lundi qui suit le 13 novembre. J’ai essayé de prendre des mesures qui n’appartenaient pas forcément à notre histoire politique, pas à la mienne en tout cas. Je pense notamment à la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France, dont je considérais, à ce moment-là, qu’elle pouvait éventuellement rassembler la nation, ce qui n’a pas été le cas. Dès lors qu’il y a eu une contestation ici ou une incompréhension là, je l’ai retirée.

Dix années se sont écoulées. Elles ont notamment été marquées par l’adoption d’une dizaine de lois sécuritaires pour renforcer la lutte contre le terrorisme, et le procès-fleuve des auteurs et complices. Quand vous repensez à cette période, est-ce qu’il y a des choses que vous feriez différemment aujourd’hui ?

Sur les législations, nous avons fait en sorte d’adapter notre règle de droits et nos services de renseignements à une menace qui n’était pas nouvelle – il y a toujours eu du terrorisme -, mais qui prenait des formes nouvelles liées aux technologies, liées à la capacité qu’avaient ces réseaux terroristes de nous atteindre.

Sur le déroulement des faits, la manière dont nous avons agi, je n’ai aucun regret. Je pense que nous avons tenu notre rôle, pris les décisions qui convenaient. Il y a cette question qui m’a été posée au procès, et c’est légitime : qu’est-ce que nous savions ? Qu’est-ce que nous pouvions faire pour empêcher cet attentat ? Est-ce que nos services étaient suffisamment équipés ? Oui, ils l’étaient. Est-ce qu’ils étaient suffisamment alertés ? Oui, ils l’étaient. Est-ce qu’ils savaient ? Bien sûr que non, ils ne savaient pas. »

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