« Attentisme coupable », « extrêmement cynique » : le maintien par TotalEnergies de ses activités en Russie passe mal

« Attentisme coupable », « extrêmement cynique » : le maintien par TotalEnergies de ses activités en Russie passe mal

Le pétrolier français annonce qu’il « n’apportera plus de capital à de nouveaux projets en Russie », mais il maintient ses engagements en Russie, alors que plusieurs entreprises du secteur prennent leurs distances.
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Par François Vignal (avec Louis Mollier-Sabet)

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Au moment où les sanctions économiques et financières se renforcent de par le monde, après l’attaque de l’Ukraine par la Russie, TotalEnergies (nouveau nom de Total) va-t-il continuer ses activités en Russie ? La réponse est simple : oui. L’entreprise française « ne compte pas, pour l’heure, cesser ses engagements », comme le révèle Le Monde.

« La Russie, c’est 3 % à 5 % des revenus de TotalEnergies. On gérera »

Des engagements conséquents. Le pétrolier a plus d’un pied en Russie. En 2020, 17 % de la production pétrogazière de l’entreprise se trouve dans le pays, et même 25 % de ses réserves. TotalEnergies est par ailleurs actionnaire à 19,4 % du géant du gaz russe Novatek et détient une participation de 20 % dans Yamal LNG, un projet qui a produit plus de 18 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) en 2020. Le groupe détient aussi une participation de 10 % dans Arctic LNG 2, un autre projet de GNL pour 2023. Mais selon le président de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, l’impact de la crise sur l’entreprise serait limité. « La Russie, c’est 3 % à 5 % des revenus de TotalEnergies. On gérera », a-t-il assuré le 24 février.

Reste que la multinationale ne compte pas rompre ses liens avec la Russie. C’est pourtant ce que font plusieurs entreprises du secteur. BP compte vendre sa participation de près de 20 % au sein du capital du groupe public russe Rosneft. L’entreprise norvégienne Equinor a mis aussi un terme à son partenariat avec la même entreprise. Shell, groupe anglo-néerlandais, compte lui mettre fin à son partenariat avec Gazprom.

Bruno Le Maire estime qu’il y a « un problème de principe à travailler » avec toute personnalité proche du pouvoir russe

Interrogé sur le sujet mardi matin, le ministre l’Economie Bruno Le Maire a estimé qu’il y avait « un problème de principe à travailler » avec toute personnalité proche du pouvoir russe. Il a assuré sur France Info que « des décisions » seraient prises « dans les jours qui viennent » avec le groupe.

Face à la pression, TotalEnergies a bougé à la mi-journée. L’entreprise « n’apportera plus de capital à de nouveaux projets en Russie », assure le pétrolier dans un communiqué. Autrement dit, si TotalEnergies ne fera pas de nouveaux investissements, il maintient son activité existante. « TotalEnergies condamne l’agression militaire de la Russie envers l’Ukraine », assure cependant le communiqué, et « exprime sa solidarité envers la population ukrainienne qui en subit les conséquences et envers la population russe qui en subira également les conséquences ». Histoire de montrer de quel côté elle se situe, l’entreprise ajoute : « TotalEnergies se mobilise pour fournir du carburant aux autorités ukrainiennes et de l’aide aux réfugiés ukrainiens en Europe ».

« Si Total perd un peu d’argent, ce n’est pas grave. Les actionnaires s’engraisseront un peu moins »

Pour les élus de gauche, ça passe mal. Le sénateur PCF Eric Bocquet pointe « une décision tout à fait anormale. Il faut une unanimité sur la mise en œuvre des sanctions ». « On ne peut pas mégoter sur les sanctions à prendre. Tant pis si ça coûte quelques sous à Total, il ne faut pas hésiter une seconde. Il s’agit de la paix de l’Europe et dans le monde », lance le sénateur communiste du Nord.

Lire aussi : Les sénateurs proposent des « mesures d’urgence » pour réduire notre dépendance au gaz russe

Eric Bocquet rappelle qu’« ils ont fait 15 milliards d’euros de profits l’an dernier, un record historique je crois. Si Total perd un peu d’argent, ce n’est pas grave. Les actionnaires s’engraisseront un peu moins ». « Les affaires sont parfois un monde extrêmement cynique. Là, c’est tout à fait condamnable », regrette le sénateur PCF, qui souligne que « ça montre en creux les connexions étroites entre les dirigeants politiques occidentaux et les grands groupes ».

Yannick Jadot « exigent une clarification de la position du gouvernement français et que soit ordonné à Total de se défaire de ses participations »

De leur côté, « Yannick Jadot et les écologistes exigent une clarification de la position du gouvernement français et que soit ordonné à Total de se défaire de ses participations » russes, a réagi Delphine Batho, porte-parole du candidat écologiste.

« On voit le deux poids deux mesures de Bruno Le Maire. Il utilise des termes très forts sur les sanctions économiques. Mais pour être dans cette logique, il faut que Total se retire d’un certain nombre de projets et aille plus loin que de ne pas investir sur de nouveaux projets », pointe du doigt la sénatrice Sophie Taillé Polian, responsable du projet présidentiel de Yannick Jadot. Pour la sénatrice, membre de Génération.s, « il faut que Total assume » le coût qu’aurait un retrait. « L’entreprise fait partie des plus grands profiteurs de la crise. Les dividendes ont été pléthoriques ces dernières années » fait-elle valoir.

« Les acteurs économiques ne peuvent pas faire un bras d’honneur à la responsabilité »

A droite aussi, la volonté de TotalEnergie de préserver ses affaires en Russie est mal perçue par certains. A commencer par le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, le sénateur LR Jean-François Husson. « A un moment donné, quand on est dans des circonstances comme vivent le monde et l’Europe, il y a des valeurs qui sont au-dessus de tout. Et l’intérêt économique, financier, que je comprends et mesure, me paraissent devoir être en retrait par rapport aux enjeux de paix dans le monde », soutient le rapporteur du budget. « Les acteurs économiques ne peuvent pas faire un bras d’honneur à la responsabilité qui est une responsabilité collective », lance le sénateur LR de Meurthe-et-Moselle, qui ajoute encore :

Il n’y a aucune raison supérieure qui doit conduire Total à être dans une forme d’attentisme coupable.

Jean-François Husson prend le patron de l’entreprise aux mots, pour mieux les retourner contre lui. « Si l’activité russe de Total ne représente que 3 à 5 % des revenus de l’entreprise, raison de plus de s’en priver. Pour moi, la paix est plus importante que les intérêts économiques. Je ne suis pas naïf, mais on doit être solidaire dans le mur qu’on dresse par rapport à la folie d’un dictateur ».

« Total a des actionnaires, un conseil d’administration, c’est à eux d’en décider »

Une vision que ne partagent pas tous les sénateurs à droite. « On a dit à Total, il faut partir de l’Afrique, puis de la Russie… La France joue un jeu compliqué avec ses plus grandes entreprises, qui sont certes des pollueurs mais, par les bénéfices considérables qu’ils font, pourraient être utilisées dans la transition écologique, et notamment pour les plus modestes », soutient Jérôme Bascher.

Pour le sénateur LR de l’Oise, « il faut faire attention à ce qu’on est en train de dire et de faire. C’est bien une guerre dont il s’agit, avec des conséquences, mais Total a des actionnaires, un conseil d’administration, c’est à eux d’en décider ».

« L’autre entreprise française qui doit être assez gênée en Russie, c’est Renault »

« Il est évident qu’on ne peut pas démonter en 24 heures des schémas industriels. Déjà, le fait d’arrêter les investissements, c’est une sanction », considère Philippe Dominati, sénateur (apparenté LR) de Paris. Le sénateur note au passage qu’« à (sa) connaissance, le gaz et le pétrole russe continuent d’arriver en Europe », « le souci des ministres de l’Energie des 27 étant qu’il y a très peu, pour ne pas dire aucune alternative aux hydrocarbures russes ». En définitive, « ce n’est pas une décision de l’entreprise » pour Philippe Dominati, « tout dépend du gouvernement français ».

Reste que « nous sommes partis pour une longue crise. Je crains que ça entraîne toute une décennie de réflexion de la part de tous les acteurs ». Philippe Dominati souligne que « l’autre entreprise française qui doit être assez gênée en Russie, c’est Renault, qui se trouve comme Total engagé, suite à une politique d’ouverture vers le marché russe et de tentative de conquête commerciale ». Bref, « c’est vrai que beaucoup de choses sont remises en question ».

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