Au ministère de l’Intérieur, passage de relais sans préavis entre Gérard Collomb et Édouard Philippe
Le ministre de l’Intérieur a officiellement été démis de ses fonctions ce mercredi, et a transmis le flambeau au Premier ministre, qui assure l’intérim. Fait rare dans la Ve République. Pour l’opposition, la crise politique est profonde. Pour Emmanuel Macron, au contraire, ce n’est « pas une crise politique ».

Au ministère de l’Intérieur, passage de relais sans préavis entre Gérard Collomb et Édouard Philippe

Le ministre de l’Intérieur a officiellement été démis de ses fonctions ce mercredi, et a transmis le flambeau au Premier ministre, qui assure l’intérim. Fait rare dans la Ve République. Pour l’opposition, la crise politique est profonde. Pour Emmanuel Macron, au contraire, ce n’est « pas une crise politique ».
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L’image était lourde de sens : Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur démissionnaire, en train d’attendre seul sur le perron de son ministère durant de longues minutes, l’arrivée de son successeur, manifestement en retard. Le nouveau locataire de la place Beauvau n’est pour le moment qu’un intérimaire : c’est le Premier ministre Édouard Philippe qui reprend à sa charge temporairement le portefeuille, en attendant que le successeur de Gérard Collomb soit trouvé.

Ce contretemps matinal était-il voulu ? Difficile de ne pas y voir une forme de démonstration d’autorité de la part du tandem de l’exécutif, après cette journée d’hier qui a viré à la crise gouvernementale. En présentant ce lundi 1er octobre sa démission, immédiatement refusée par Emmanuel Macron, le ministre de l’Intérieur a mis dans l’embarras l’Élysée et l’équipe gouvernementale dans l’embarras. Et surtout, sans solution.

Le mois dernier, Gérard Collomb avait pourtant annoncé qu’il lancerait sa campagne pour retrouver son siège de maire de Lyon une fois les européennes de mai 2019 passées. La machine s’est un peu plus grippée ce mardi quand il a maintenu son choix, l’annonçant encore par voie de presse. L’information tombe en pleine séance de questions d’actualité au gouvernement au Parlement, où l’ancien maire de Lyon a brillé par son absence. Dans la soirée, l’Élysée se résout à accepter le départ de son ministre, laissant le soin à Édouard Philippe d’assurer l’intérim.

Gérard Collomb « quitte un ministère apaisé »

Malgré les obligations protocolaires, la passation de pouvoir organisée à la hâte ce matin à 9h15 semble glaciale. C’est un visage fermé que le Premier ministre écoute pendant un quart d’heure le discours d’adieu de Gérard Collomb, qui affirme quitter « avec regret » cette maison, un « ministère de l’affectif ». Listant les réformes qu’il a « impulsées », laissant un mot sur les créations de postes dans les forces de l’ordre, l’ancien « premier flic de France » se félicite de laisser derrière lui un « ministère apaisé ».

Pour couper court aux critiques sur ce qui est qualifié plusieurs fois de « fuite » par l’opposition, il assure que la « continuité de l’État » est là. « Le ministre avait démissionné, cela n’a pas empêché les policiers d’arrêter Rédoine Faïd [le braqueur arrêté dans l’Oise, après trois mois de cavale, NDLR] », souligne-t-il.

« Il nous appartient à nous tous d’être à la hauteur », glisse Édouard Philippe

Avant de quitter l’hôtel de Beauvau pour l’Élysée, le Premier ministre insiste sur l’importance des tâches qui incombait à Gérard Collomb – des « missions délicates et essentielles » – ou encore sur le contexte sécuritaire : « une époque difficile avec des menaces ». Le discours sonne parfois comme un air de reproches. « Il nous appartient à nous tous d’être à la hauteur de la tâche pour donner aux Français ce qu’ils attendent : la confiance, la sécurité ». « Pour tout ce que vous avez fait ici, M. le ministre de l’État (sic), soyez remercié », conclut le chef du gouvernement, avec sa nouvelle double casquette.

L’opposition assiste aux événements, comme interloquée. « Le ridicule ne tue pas. Heureusement. Mon Dieu… », commente par exemple Sophie Primas, la présidente des Affaires économiques du Sénat sur Twitter. « Une scène surréaliste » et un « affaiblissement » de l’exécutif, ajoute son collègue Bernard Jomier, sénateur apparenté socialiste.

Sur notre antenne, le chef de file de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau explique que la France « tutoie une crise de régime ». « Emmanuel Macron n’est plus le maître des horloges. Il se laisse imposer le calendrier par ses ministres », constate le sénateur (LR) de la Vendée.

Le coup est rude pour l’exécutif, qui a perdu en l’espace d’un mois deux ministres d’État, les deux premiers dans l’ordre protocolaire. Déjà le 28 août dernier, le ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, avait démissionné avec fracas, l’annonçant à la surprise générale sur un média, sans avoir mis au courant le Premier ministre ou le président de la République.

Si l’ancien animateur vedette a décidé de claquer de porte car il considérait que la politique environnementale menée n’était pas à la hauteur des enjeux, les raisons sont loin d’être les mêmes dans le cas de Gérard Collomb. Fidèle parmi les fidèles chez les marcheurs, il était de ceux qui ont soutenu Emmanuel Macron dès la première heure en 2016. Mais sa proximité avec le chef de l’État s’est progressivement effacée, et les relations se sont tendues ces dernières semaines. Fragilisé et placé sous les feux des projecteurs dans l’affaire Benalla, avec deux auditions très médiatisées au Parlement, le ministre avait multiplié face aux journalistes les leçons à l’égard du chef de l’État, pointant un manque d’humilité et d’écoute.

« Il faut retrouver nos repères », demande Gérard Larcher

Très attaché à sa ville, Gérard Collomb devrait retrouver prochainement son fauteuil de maire d’une qu’il n’avait jamais vraiment quitté. Une enquête de France 2 en mai avait révélé que 27% des déplacements du ministre avaient été organisés dans la région lyonnaise. Après la démission, hier, du maire de Lyon Georges Képénékian, avec lequel il avait noué un pacte, Gérard Collomb devrait sans surprise retrouver ses habits de premier édile par un vote de ses pairs au conseil, lui qui était resté conseiller municipal. De quoi aborder plus sereinement les municipales de 2020, dans un an et demi.

Ce choix, après 18 mois seulement passés au gouvernement, n’a pas manqué d’être pointé du doigt par Gérard Larcher. « Je constate que Gérard Collomb a préféré Lyon à Macron, et j'avoue que je ne comprends pas cette hiérarchie (...) Le service de l'État passe avant tout », a déploré le président du Sénat sur l’antenne de France Info.

À la veille du soixantième anniversaire de la Constitution de 1958, le troisième personnage de l’État s’interroge aussi sur la démission clamée haut et fort par Gérard Collomb, un comportement « étonnant » de son avis. Car, selon le texte fondateur de la Ve République, c’est au président à la République de mettre fin aux fonctions des ministres. « Il faut retrouver nos repères », recommande le président du Sénat.

Les institutions se retrouvent bousculées. Mais le cumul des fonctions du Premier ministre n’est pas une première sous la Ve République. En 2012, à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, François Fillon, alors Premier ministre, avait endossé pendant près de trois mois les fonctions de ministre de l’Écologie après le départ de Nathalie Kosciusko-Morizet. Le Père de la Constitution, Michel Debré lui-même avait été en même temps Premier ministre et ministre de l'Éducation nationale par intérim du 23 décembre 1959 au 15 janvier 1960. Mais c’est la première fois sous la Ve, que le portefeuille de l’Intérieur est concerné.

Aujourd’hui, c’est surtout l’idée d’une crise politique qui est mise en avant par l’opposition. « Ce gouvernement ressemble à un Radeau de La Méduse », raille le sénateur PS Rachid Temal sur France Info. « Cirque Pinder », « Vaudeville », « sitcom ou téléréalité », droite et gauche ont usé tous les qualificatifs mardi pour souligner le côté ubuesque de la situation. Jean-Luc Mélenchon, sur son compte Twitter, ce matin, en ajoute un autre : « Groland », cette « présipauté » fictive sur Canal+ qui caricature la présidence française. Se basant sur une information de Cnews, le leader de la France insoumise dénonce un « putsch de Matignon » car « l'Élysée apprend par la presse le changement de ministre de l'Intérieur ».

Ce mercredi, le conseil des ministres se déroule comme prévu à l’Élysée. Avec un siège inoccupé.

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