Au Parlement européen, les oppositions installent le match de la présidentielle avec Emmanuel Macron
Le chef de l’Etat a défendu ses priorités pour la présidence française de l’UE devant les eurodéputés réunis à Strasbourg. Mais à trois mois de la présidentielle, l’exercice a pris un tour très politique. Les oppositions ont vivement attaqué son bilan.
Par Jonathan Dupriez
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Comme prévu, Emmanuel Macron a joué sa partition devant les eurodéputés réunis à Strasbourg. Etat de droit, souveraineté économique, culture, sujets migratoires, climat, rien n’a été oublié par le chef de l’Etat. A l’occasion d’un discours d’une vingtaine de minutes au Parlement européen pour définir ses chantiers prioritaires pour la présidence tournante l’UE ces six prochains mois, le Président de la République a exhorté les Européens à davantage « d’audace » pour que l’Union européenne s’affirme comme une « puissance d’avenir », « souveraine » et qu’elle ne demande d’aucune autre puissance étrangère.
« Efforts créateurs »
« Tous ensemble, face à la tyrannie de l’anecdote et des divisions entre Européens, nous avons à retrouver, le sens de l’unité, le goût du temps long, au fond la nécessité de l’audace » a-t-il appelé, en invoquant l’un des pères fondateurs de l’Europe. « C’est ce que Robert Schuman appelait le sens des 'efforts créateurs’ », qui ont, selon le président de la République, « fait notre Europe ».
« Nouvel ordre de sécurité »
Signe de ce volontarisme européen affiché, le chef de l’Etat a plaidé pour un « nouvel ordre de sécurité » avec l’Otan, face à la Russie et a défendu « un dialogue franc et exigeant » avec Moscou alors que les tensions avec les Occidentaux se sont multipliées ces derniers jours sur le dossier ukrainien. Ce « nouvel ordre de sécurité », Emmanuel Macron compte le bâtir « entre Européens » et le partager avec les alliés de l’Union, « dans le cadre de l’Otan » avant toute négociation avec la Russie a-t-il expliqué aux parlementaires européens.
Environnement, droit à l’avortement dans la charte des droits fondamentaux de l’UE
Le chef de l’Etat a également surpris par une autre annonce, sur le plan des « valeurs qui « font l’unité » de l’Europe. Au lendemain de l’élection de Roberta Metsola, Maltaise de 43 ans anti-IVG à la tête du Parlement européen, Emmanuel Macron a insisté pour « actualiser » la Charte des droits fondamentaux de l’UE en y intégrant l’environnement et le droit à l’avortement.
Emmanuel Macron plaide ainsi pour que l’Europe soit « plus explicite sur la protection de l’environnement ou la reconnaissance du droit à l’avortement » a-t-il expliqué, suscitant applaudissements dans l’hémicycle strasbourgeois, unanimement attaché à ce droit fondamental, en dépit des convictions personnelles de la nouvelle présidente maltaise du Parlement européen.
Lyrisme
Mais au-delà de la feuille de route de la présidence tournante de l’UE, Emmanuel Macron s’est adonné à quelques envolées plus lyriques sur le sens de l’identité européenne « être européen c’est vibrer de la même manière à l’esprit romantique, c’est aussi ensemble, avoir une civilité, une manière d’être au monde » a-t-il lancé. Une manière d’affirmer haut et fort son attachement à l’Union européenne et de revendiquer son leadership en la matière à trois mois de l’élection présidentielle. Emmanuel Macron a conclu par cette tirade : « Notre capacité à inventer un rêve possible, à le rendre tangible, à le faire réalité, à le rendre utile à nos concitoyens, est la clé de notre succès. »
« C’est un peu juste pour une puissance comme la France »
Mais cette indéniable capacité du chef de l’Etat « à manier le verbe » n’a pas été au goût de tous dans l’assistance.
L’eurodéputée social-démocrate (S & D) Aurore Lalucq dit avoir trouvé la prise de parole extrêmement « longue et floue » notamment sur la capacité réelle du chef de l’Etat à impulser une action dans le temps qui lui est imparti. « La France va juste faire passer un certain nombre de textes déjà dans les tuyaux » recadre-t-elle, regrettant que le chef de l’Etat « tente de montrer que c’est sa propre victoire. » « C’est un peu juste pour une puissance comme la France » souffle Aurore Lalucq pour qui l’intervention d’Emmanuel Macron manquait globalement de « précision. »
Les oppositions dans l’arène
Le discours d’Emmanuel Macron terminé, les oppositions passent à l’offensive, transformant peu à peu l’hémicycle strasbourgeois en une arène politique. Les orateurs, principalement des eurodéputés français comme il l’est de tradition lorsque leur pays prend la présidence tournante, s’en sont donné à cœur joie pour critiquer le bilan du chef de l’Etat tant sur l’UE que sur des dossiers de politique intérieure, donnant un tour très politique à l’exercice d’ordinaire plus feutré.
« Président de l’inaction climatique »
C’est Yannick Jadot qui a ouvert le bal. Seul eurodéputé candidat à l’élection présidentielle, le parlementaire écologiste a étrillé le chef de l’Etat sur la question du réchauffement climatique. « Vous avez incontestablement fait un beau discours » a-t-il ironisé avant d’accabler Emmanuel Macron sur son bilan en matière de lutte contre le réchauffement climatique. « Vous resterez dans l’histoire Monsieur le Président de la République, le Président de l’inaction climatique » a-t-il taclé, reprochant au Président de la République d’être un « climato-arrangeant » qui « signe des armistices avec les lobbys » et « procrastine » plutôt que de « décréter la mobilisation générale » sur la question.
« Ici, ce n’est pas la campagne présidentielle française »
Yannick Jadot est rappelé à l’ordre par la présidente du Parlement européen pour non-respect du temps de parole. De leur côté, les sociaux-démocrates et surtout les macronistes montent au créneau. « Quelle honte de transformer cet hémicycle en Assemblée nationale ! » s’agace alors Stéphane Séjourné, chef de file des eurodéputés Renew Europe et intime du chef de l’Etat. « Ce n’est pas respectueux ni de ce que sont les parlementaires ici, ni de notre travail, ni du débat. »
« Je vous rappelle qu’ici ce n’est pas la campagne présidentielle française », a fini par tonner la nouvelle présidente du Parlement européen, Roberta Metsola.
« Diviseur de la France »
Sans surprise, d’autres ont pourtant emboîté le pas à Yannick Jadot, comme l’eurodéputé d’extrême droite Jordan Bardella. Sur un ton offensif, le président du RN par intérim a interpellé Emmanuel Macron : « Comment pouvez-vous vous prétendre aujourd’hui rassembleur de l’Europe, alors que vous aurez été jusqu’au bout le diviseur de la France ? »
« Votre projet politique a pour but d’effacer les nations d’Europe, le nôtre de les sauver » a ensuite critiqué le jeune eurodéputé, proche de Marine Le Pen. « Il faut déconstruire l’histoire de France aviez-vous déclaré, on comprend votre enthousiasme d’être aujourd’hui à la tête d’une institution qui s’est donnée pour objectif la dissolution de l’Europe millénaire » a renchéri l’ancien candidat francilien aux élections régionales.
Même tonalité très offensive du côté du côté de la France insoumise. Manon Aubry, proche de Jean-Luc Mélenchon a fait observer au chef de l’Etat que « la présidence française ne devrait pas être un marchepied électoral. »
« Vous avez souvent menti »
De son côté, François-Xavier Bellamy, eurodéputé de droite, a dénoncé « l’obsession de communication » d’Emmanuel Macron et ses « grandes promesses européennes » auxquelles « personne ne croit vraiment. » Pour ce soutien de Valérie Pécresse à l’élection présidentielle, le calendrier de la présidence française de l’UE « cautionné » par le chef de l’Etat « servira plus la campagne présidentielle que l’action européenne. »
« Vous avez, pardon de le dire, souvent menti », a même osé François-Xavier Bellamy en référence aux engagements pris par le chef de l’Etat en matière de flux migratoires, d’énergie ou d’identité européenne.
Emmanuel Macron dans l’arène à son tour
Sous les coups de boutoir répétés de l’opposition, Emmanuel Macron s’est résolu à entrer à son tour dans l’arène politique. Réponse à Jordan Bardella : « Vous avez très méthodiquement dit n’importe quoi », a ironisé le chef de l’Etat à son sujet. « Cela mérite une forme de respect » a-t-il ajouté, persifleur, provoquant l’hilarité du groupe centriste.
Au plus offensif, Yannick Jadot, Emmanuel Macron lui a réservé une réponse particulière, sous forme de leçon de choses au style direct : « Il faut être très précis sur les sujets, la mobilisation générale on est tous d’accord, mais comment ? » Sur l’agenda climatique en Europe, « la France a été aux avant-postes de cette stratégie, vous ne pouvez pas le nier, ou vous mentiriez » a tranché le chef de l’Etat se payant, au passage, le luxe de renvoyer Yannick Jadot aux travaux du Giec sur les limites techniques des énergies renouvelables en matière de stockage.
« Jeu de dupes »
Dans un pas de deux presque chorégraphié entre les oppositions et le Président de la République, la campagne présidentielle s’est bel et bien invitée au Parlement européen ce mercredi. « En fait, c’était un jeu de dupes » résume Aurore Lalucq. « Emmanuel Macron en a profité, mais les oppositions aussi » ajoute-t-elle, déplorant que cette piètre tenue des débats ne se fasse sur le dos des sujets européens de fond. Du reste, Emmanuel Macron n’est toujours pas officiellement candidat à sa réélection.
Les hausses d’impôt ciblées sur les grandes entreprises et les plus fortunés, annoncées par Michel Barnier, continuent de diviser la majorité relative. Frondeur en chef, Gérard Darmanin continue de profiter de sa liberté retrouvée en jouant sa propre partition, au risque d’affaiblir le premier ministre. Tous ne ferment pourtant pas la porte à la hausse de la fiscalité.
Le Premier ministre a indiqué que la réforme constitutionnelle sur le corps électoral de Nouvelle-Calédonie, élément déclencheur des violences dans l’archipel, « ne sera pas soumise » au Congrès. Si cette annonce a soulevé la colère de certains membres du camp présidentiel, de nombreux élus, indépendantistes ou loyalistes, saluent la volonté d’apaisement affichée par le nouveau gouvernement.
Les sénateurs Les Républicains vont publier une tribune en soutien à Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, après la polémique sur l’Etat de droit qui ne serait « pas intangible, ni sacré ». Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine, l’a co-signée. Pour lui, l’Etat de droit « n’est pas immuable » et « l’expression populaire peut le faire évoluer ».
Depuis un forum à Berlin, Emmanuel Macron a estimé mercredi qu’une « taxation exceptionnelle sur les sociétés », telle qu’annoncée par le gouvernement de Michel Barnier, était « bien comprise par les grandes entreprises » mais qu’elle devait être « limitée ». La veille, Michel Barnier avait annoncé aux députés, lors de son discours de politique générale, qu’une participation serait demandée aux « grandes entreprises qui réalisent des profits importants » et aux « Français les plus fortunés », au nom de la « justice fiscale ». Cette taxation exceptionnelle a été confirmée par le Premier ministre au Sénat, ce mercredi. A la sortie du discours de politique générale, le président du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard reste prudent. « On verra le montant et l’orientation de cette mesure. Mais une taxation sur les superprofits, c’est quelque chose qu’on a portée et qu’on continue à porter. Que de temps perdu pour se rendre compte qu’on avait besoin d’un peu de justice fiscale », a-t-il regretté sur le plateau de Public Sénat. A ses côtés, la présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman s’interroge sur le rôle joué par Emmanuel Macron en cette période inédite. « Ce qui est étonnant, c’est que le Président donne son avis sur un débat qui doit se dérouler entre le gouvernement et le Parlement. Ce serait bien qu’il ne commente pas chaque mesures qui n’ont pas été encore votées d’ailleurs et qui laisse le Parlement faire son travail ».