L’avion devait décoller mardi 14 juin dans la soirée. L’objectif de Boris Johnson était d’envoyer au Rwanda jusqu’à 130 migrants iraniens, irakiens, albanais et syriens, arrivés clandestinement au Royaume-Uni. Une décision qui a suscité de nombreuses réactions, notamment celle du prince Charles qui a jugé « consternant » le projet du gouvernement britannique. En réponse au recours d’une association de défense des droits de l’Homme devant les tribunaux, la justice britannique avait tout de même autorisé l’expulsion des demandeurs d’asile le vendredi 10 juin. Plusieurs associations ont fait appel, dont Care4Calais et Detention Action, mais la Cour de justice s’est prononcée en faveur du départ des réfugiés. Malgré la stratégie gagnante des plaidantes d’attribuer un avocat à chaque réfugié, Boris Johnson est resté déterminé à expulser la dizaine de migrants restante. Londres était prête à financer ce dispositif de 120 millions de livres (140 millions d’euros) quel que soit le nombre de passagers dans l’avion.
Blocage de la Cour européenne des droits de l’Homme
Retournement de situation pour le premier ministre britannique. Le 13 juin 2022, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), saisie par un demandeur d’asile irakien, décide de prendre une mesure d’urgence provisoire. Dans sa décision rendue ce mercredi 15 juin, l’institution européenne a indiqué au gouvernement britannique que trois semaines doivent s’être écoulées après la décision de la justice nationale pour que le requérant puisse être renvoyé vers le Rwanda. Le demandeur d’asile ne peut être transporté dans le pays tant que la justice britannique ne s’est pas prononcée sur la légalité du projet de loi du gouvernement. Un vrai soulagement pour les associations et organisations de défense des migrants qui dénonçaient un projet cruel et inhumain.
Sorti de l’UE mais toujours membre du Conseil de l’Europe
Malgré sa décision de quitter l’Union européenne (UE) en 2016, le Royaume-Uni est toujours membre du Conseil de l’Europe. Organe juridique d’application concrète du Conseil, la CEDH peut être saisie d’un recours individuel par toute personne s’estimant victime de la violation commise par l’un des États membres d’un des droits garantis par la Convention. L’institution rappelle dans sa décision du mercredi 15 juin, qu’« en vertu de l’article 39 de son règlement, la Cour peut indiquer des mesures provisoires à tout État [signataire de] la Convention européenne des droits de l’homme. […] La Cour ne fait droit à ces demandes qu’à titre exceptionnel, lorsque les requérants seraient autrement confrontés à un risque réel de préjudice irréversible ». Une piqûre de rappel qui n’a pas plu à la ministre de l’Intérieur, Priti Patel. Selon elle, il est « très surprenant que la Cour européenne des droits de l’homme soit intervenue malgré des succès antérieurs répétés devant nos tribunaux nationaux ».
La CEDH a alerté sur la position du Rwanda
Le Royaume-Uni n’a pas choisi le Rwanda par hasard. Les deux pays ont signé un accord en matière d’asile le 13 avril 2022. Le partenariat prévoit que « les demandeurs d’asile dont les demandes n’ont pas été prises en compte par le Royaume-Uni pourraient être relocalisés au Rwanda ». La CEDH a pointé du doigt le fait que l’accord ne prévoit pas les conditions de retour au Royaume-Uni des réfugiés dont la demande d’asile a été acceptée par le pays européen. Une difficulté essentielle relevée par la juridiction qui rappelle que le Rwanda ne fait pas partie des 46 membres du Conseil de l’Europe. « Le Rwanda est en dehors de l’espace juridique de la Convention et n’est donc pas lié par la Convention européenne des droits de l’homme. Au vu de l’absence de tout mécanisme juridiquement exécutoire pour le retour du requérant au Royaume-Uni en cas de succès d’une contestation sur le fond devant les juridictions internes, la Cour a décidé d’accorder cette mesure provisoire visant à empêcher l’expulsion du requérant jusqu’à ce que les juridictions internes aient eu l’occasion d’examiner d’abord ces questions ». Le gouvernement rwandais est également accusé par plusieurs ONG de réprimer la liberté d’expression, les critiques et l’opposition politique. La Cour européenne veut s’assurer que le Rwanda soit bien un pays sûr avant l’arrivée des réfugiés.
Boris Johnson est prêt à remettre en cause l’adhésion du Royaume-Uni
Le Royaume-Uni a ratifié la convention européenne des droits de l’Homme en 1951. Premier pays à l’avoir signée, Boris Johnson a affirmé être prêt à sortir de la Convention. Seule façon de se soustraire aux décisions de la CEDH et de mettre en place son projet, le premier ministre envisage actuellement cette dangereuse échappatoire. Après le départ de la Russie du Conseil de l’Europe en mars dernier, lié à la guerre en Ukraine, ce serait un second État qui choisirait d’emprunter la porte de sortie en seulement quelques mois. Contrairement à une sortie de l’UE, quitter le Conseil de l’Europe est prévu par la convention, mais entraînerait la perte d’un moyen d’action fondamental des individus pour garantir le respect de leurs droits.