Il y a des sujets qui reviennent souvent au Sénat. Parmi les questions favorites des sénateurs, il y a les normes, ou plutôt l’inflation normative et ses conséquences sur les collectivités et les élus.
Le sujet était au menu, ce jeudi matin, des assises de la simplification, qui se tenaient dans les murs de la Haute assemblée, salle Médicis, avec un invité de premier ordre : le premier ministre, François Bayrou, a ouvert l’événement. « Qui s’est beaucoup intéressé à Henry IV dans sa vie ne peut qu’être heureux d’être dans l’hémicycle Médicis », a souri le locataire de Matignon.
« Situations de complexité, voire de blocage »
Les sénateurs, en tant qu’élus locaux eux-mêmes, connaissent bien la question des normes. « Nous avons été tous confrontés à des situations de complexité, voire de blocage », en raison des normes, pointe en ouverture Bernard Delcros, président centriste de la délégation aux collectivités territoriales. Au passage, il rend hommage au travail de sa prédécesseure, Françoise Gatel, devenue ministre de la Ruralité, présente dans la salle. « Elle a mis sur les rails la charte de la simplification », un premier jalon, salue le sénateur du Cantal.
Si les normes existent pour une raison particulière et ont une utilité, c’est leur empilement qui complexifie tout. Pour les maires, elles peuvent avoir des conséquences très concrètes. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, pointe ainsi un « problème récurrent : le coût d’adaptation du parc des bâtiments publics, induit par des normes. […] En ces temps de dette financière, ce n’est pas négligeable pour le budget des collectivités ».
Pour avancer dans la simplification, Gérard Larcher met en avant la proposition de loi (PPL) « visant à renforcer et sécuriser le pouvoir préfectoral de dérogation afin d’adapter les normes aux territoires », un texte des sénateurs Rémy Pointereau (LR), Guylène Pantel (RDSE) et Bernard Delcros (UC), traduction d’une mission d’information du Sénat sur le sujet. Elle a été déposée sur le bureau de la Haute assemblée « le 27 mars, c’est tout frais » lance Gérard Larcher, incitant le premier ministre à « reprendre concrètement ces propositions ».
François Bayrou refuse le « discours facile » de « la tronçonneuse »
Limiter les normes, c’est justement un « objectif » que partage pleinement François Bayrou, qui entend « abaisser le flux de production de ces normes et réduire leur volume ». Exemple symptomatique de ce glissement : « Le Code général des collectivités territoriales a triplé en 20 ans » et « celui de l’urbanisme a progressé de 44 % », pointe celui qui est toujours à la tête du conseil municipal de la ville de Pau. Une situation qui parfois « décourage des maires, devant ces obligations », mais aussi des « usagers qui trinquent. Ils sont désorientés ».
Sans tomber dans « un discours facile et considérer que la tronçonneuse est adaptée à tous ces sujets », « ces normes posent la question de l’efficacité de l’Etat et des collectivités locales. Cette simplification, par un retour à l’essentiel, est au cœur de la refondation de l’action publique que j’ai initiée », soutient le premier ministre.
« La charge induite pour nos concitoyens, ce ne sont pas seulement les normes. C’est aussi la bureaucratie que ces normes induisent ». « Je disais cela hier à nos collègues en Conseil des ministres. On se trouve dans le mélange des deux sujets. Et c’est parce qu’il y a des sujets imbriqués, qu’on n’arrive pas à clarifier la question », souligne le premier ministre, qui ajoute : « On peut élaguer dans les normes, chercher la meilleure adéquation mais je suis sûr qu’on peut alléger la charge bureaucratique, la paperasserie qu’on fait peser sur tout le monde ».
Pour avancer concrètement, François Bayrou annonce que son gouvernement va « identifier 50 mesures qui peuvent être mises en place rapidement, par voie réglementaire et législative ». Et « le gouvernement est prêt à vous transmettre des propositions concrètes pour améliorer la proposition de loi déposée (par les sénateurs). C’est la première pierre de l’amélioration du partenariat entre Etat et collectivités locales », annonce François Bayrou, prêt donc à soutenir la PPL Pointeau-Pantel-Delcros.
Voulant lancer « le chantier de la simplification de la présence de l’Etat dans les territoires », car « il y a trop d’acteurs », François Bayrou reprend d’ailleurs la mesure principale du texte : « Que le préfet, sous l’autorité du préfet de région, puisse être le coordinateur, le fédérateur, le régulateur de la totalité de l’ensemble de l’action de l’Etat sur le territoire ».
François Bayrou défend « un changement radical de culture »
Proposant « un changement radical de culture », il prend exemple sur le cas des « parents d’enfants handicapés qui sont tous les ans obligés de remplir les papiers, comme si le handicap de leur enfant avait changé d’une année sur l’autre. Pour eux, c’est une épreuve ». C’est pourquoi il propose « que ce soit l’administration qui remplisse les papiers, les usagers qui contrôlent ». Il ajoute : « Ce sont les usagers qui auront le pouvoir de demander des explications aux administrations ». Le premier ministre demande aussi aux « parlementaires de faire remonter tout ce qu’ils trouvent d’absurde… Il va y avoir du boulot ! » lance-t-il, alors qu’un bruissement monte de la salle. François Bayrou prend « l’engagement que l’administration répondra sur chacune des remarques » que les parlementaires feront.
Le ministre de l’Aménagement du territoire, François Rebsamen, ancien sénateur PS, a annoncé de son côté le lancement le 28 avril d’un processus de « simplification au bénéfice des collectivités », qui permettra de tester 72 propositions de simplification. La ministre du Logement Valérie Létard, autre ex-sénatrice, a elle jugé nécessaire de produire une norme plus « lisible » afin de faciliter la production de logements. Elle mise sur le projet de loi sur la simplification, examiné à l’Assemblée, et un texte des députés Liot.
« Nous sommes tous responsables : Etat, gouvernement et Parlement. Nous cédons trop souvent à l’illusion de la norme magique », selon le sénateur Rémy Pointereau
Rémy Pointereau est revenu, quelques minutes après, sur son texte, qui va profiter de l’appui du gouvernement. Une « PPL transpartisane qui vise à renforcer, sécuriser le pouvoir de dérogation aux normes du préfet », explique le sénateur LR du Cher, qui résume l’objectif : « Que le préfet devienne le patron des services et opérateurs de l’Etat ».
Pour « passer de l’addiction aux normes à l’obsession de l’efficacité », Rémy Pointereau appelle à « un véritable changement de logiciel » et à « une prise de conscience collective, car nous sommes tous responsables : Etat, gouvernement et Parlement. Nous cédons trop souvent à l’illusion de la norme magique, qui réglerait les problèmes ».
« Nous nous battons contre cette machine infernale »
François Gatel souligne pour sa part les économies possibles, via la suppression de normes. « En cette période de difficultés budgétaires », elle invite à « s’interroger sur l’indécence du flux de normes que nous ajoutons. On a parlé, en 2022, d’un surcoût de normes de 2,5 milliards d’euros », pointe du doigt la ministre chargée de la Ruralité.
Gilles Noël, maire de la petite commune rurale de Varzy, dans la Nièvre, et vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), pointe lui « l’impact des normes sur la santé des maires ». « A l’AMRF, on a fait une étude sur la santé des maires et dans le stressomètre, ces questions liées aux normes décrochent le pompon », alerte l’élu divers gauche, qui met en garde : « Il y a beaucoup d’intentions. Ça dure depuis un moment. Mais il y a quand même un poids de l’administration de vouloir tout rejeter, avec un esprit parisien. Mais heureusement qu’on a des représentants locaux et nous, qui nous battons contre cette machine infernale ».