"Aucun texte ne dit que le ministre est soumis au secret professionnel": la défense de Jean-Jacques Urvoas, jugé devant la Cour de justice de la République pour avoir transmis à un député des éléments d'une enquête qui le visait, a plaidé vendredi la relaxe.
Jeudi, l'accusation a requis un an de prison avec sursis contre l'ex-garde des Sceaux, affirmant qu'il "était soumis à un secret professionnel du fait de ses fonctions", en tant que "dépositaire" d'informations qu'il ne recevait que du fait de sa position de supérieur hiérarchique du parquet, au "sommet de la chaîne" du secret.
L'ancien ministre socialiste sera fixé sur son sort lundi à 17H00.
Il est jugé pour avoir transmis les 4 et 5 mai 2017 au député LR (depuis LREM) Thierry Solère des éléments de l'enquête qui le visait pour fraude fiscale et trafic d'influence, via la messagerie cryptée Telegram.
"Une pratique sans précédent" a rappelé l'accusation, qui fait de M. Urvoas le huitième ministre à comparaître depuis 1999 devant la CJR, une juridiction controversée, seule habilitée à juger des actes commis par des membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions.
"Intuitivement", avance l'avocat de l'ancien ministre, on pourrait penser qu'une information couverte par le secret "reste secrète". "Mais, ajoute-t-il, l'intuition ce n'est pas le droit".
"Avez-vous un seul texte qui dit que le ministre est tenu au secret prévu par la loi dans le cadre des remontées d'informations individuelles (des parquets vers le garde des Sceaux)? La réponse est non", assène Me Emmanuel Marsigny.
Jean-Jacques Urvoas ne nie pas la matérialité des faits, mais conteste que les documents transmis soient couverts par un quelconque secret. "Si on me donne un document, c'est pour que je m'en serve!", a-t-il répété à l'audience.
- "Peur de l'électeur" -
Son avocat résume sa position: "Le secret n'existe pas" car les fiches transmises au ministre sont des documents administratifs expurgés d'éléments sensibles, et "le ministre n'est pas soumis au secret" car il ne concourt pas à l'enquête et qu'aucun texte ne conditionne sa liberté de parole.
Puis il s'adresse à cette cour si particulière, composée de douze parlementaires et trois magistrats - dont les voix se valent toutes.
"La défense de Jean-Jacques Urvoas a peur. Peur que vous ne puissiez pas vous départir de cette crainte que si vous le relaxiez, comme la défense vous le demande", vous soyez, en rentrant dans vos circonscriptions, "nécessairement pris à partie(...) sur les petits arrangements entre politiques".
Il appelle ces juges-parlementaires, qui ont longtemps côtoyé M. Urvoas, ancien président apprécié de la commission des lois à l'Assemblée nationale, à ne pas se laisser "prendre en otage" par les magistrats, à ne céder ni à "la peur de l'électeur" ni à "la peur du chaos" promise par l'accusation.
La veille, le procureur général François Molins avait mis en garde contre une relaxe qui "signerait la fin du ministère public à la française" car "s'il n'y a plus de secret partagé, il n'y plus de confiance", condition indispensable à toute "remontée d'informations".
L'avocat s'interroge aussi sur le secret de l'instruction, battu en brèche, et raille les "fuites" incessantes dans la presse qui ne seraient que des "indélicatesses" quand les magistrats reprochent à l'ancien garde des Sceaux une "trahison".
Soucieux de ne rien laisser dans l'ombre, Me Marsigny s'attaque enfin au "mobile" de Jean-Jacques Urvoas: pourquoi donner des informations à Thierry Solère, un adversaire politique, entre les deux tours d'une présidentielle qui allait bouleverser le paysage politique français?
Pour François Molins, M. Urvoas "a jugé plus important", à l'heure où il "se trouvait en difficulté pour sa réélection dans sa circonscription, de ménager un autre homme politique plutôt que, en tant que garde des Sceaux, protéger une enquête judiciaire en cours".
"Ce geste ne lui a rien rapporté", affirme l'avocat. Jean-Jacques Urvoas avait lui-même expliqué qu'au moment où il avait transmis ces documents, il y avait déjà des candidats investis contre lui dans le Finistère. Une explication qui n'a jamais semblé satisfaire pleinement la Cour.