LR appliquera pour le second tour des législatives la même stratégie de refus des extrêmes qu’à la présidentielle. « Aucune voix ne doit se porter sur les extrêmes », a déclaré lundi Christian Jacob, le patron des LR, lors d’un point presse au sortir d’un conseil stratégique. À noter : l’absence d’une consigne de vote claire, notamment un soutien explicite aux candidats de la majorité présidentielle, même confrontés à des candidats NUPES ou du Rassemblement national.
L’horizon s’éclaircit quelque peu pour Les Républicains, qui ont mieux résisté que prévu dimanche au premier tour des législatives. Avec 11,31 % des voix, la droite (alliée à l’UDI) a tordu le cou à son score calamiteux de la présidentielle (4,78 %), mais elle perd plus de quatre points par rapport à 2017. Avec au moins 73 candidats qualifiés pour le second tour (81 en comptants les alliés UDI et divers droite), le parti peut raisonnablement espérer conserver entre 50 et 60 sièges à l’Assemblée nationale. Certes, bien moins que la centaine d’élus dont il dispose actuellement, mais sensiblement plus que ce que lui prédisaient les projections les plus pessimistes. Et pourtant, c’est moins le maintien d’un groupe de taille honorable au Palais Bourbon, que le score relativement décevant des soutiens du président de la République qui pousse Christian Jacob, le patron des LR, à se frotter les mains.
Au coude à coude avec l’alliance de gauche NUPES (25,66 %), l’attelage présidentiel Ensemble ! (25,75 %) voit s’éloigner ses chances de récolter une majorité absolue comme en 2017. Si elle passe sous la barre des 289 députés, la majorité présidentielle pourrait bien se voir contrainte, pour faire passer certaines de ses réformes, d’entamer un dialogue avec la droite. LR, malgré son petit nombre d’élus, jouerait ainsi les forces pivots, susceptible d’obtenir certaines concessions sur plusieurs textes phares, notamment la très attendue réforme des retraites. « Une opposition déterminée mais utile, pas dans le blocage des institutions et pas dans les outrances », a précisé Christian Jacob, répétant ce qui est devenu l’un des mantras de la droite face à la macronie : « Voter et amender les réformes qui vont dans le bon sens » mais « s’opposer durement à celles qui vont à contresens de ce que l’on souhaite et à l’intérêt du pays ».
Un rôle clef dans l’hémicycle
« Nous ne sommes pas dans une opposition pavlovienne, mais nous ne sommes pas non plus une force d’appoint. L’objectif est de travailler intelligemment sur les textes qui vont dans l’intérêt national : sur la réforme des retraites, les questions de pouvoir d’achat et de sécurité. Travailler sur tous les angles morts du quinquennat pour obliger le président à entendre son opposition », détaillait ce lundi matin, au micro de Public Sénat, l’eurodéputée Agnès Evren, également porte-parole des Républicains. « On a bien vu que sur des sujets importants, comme la taxe carbone ou les 80 km/h, les députés de la majorité n’étaient pas suffisamment connectés au terrain pour entendre les remontées, les préoccupations des Français. Nous avons la chance d’avoir de vrais relais locaux. », explique-t-elle.
Les LR pourraient même apporter de la stabilité à une assemblée qui, divisée en deux blocs distincts, risque de basculer dans la cacophonie. « Ma crainte, c’est qu’avec un hémicycle ingérable, le gouvernement multiplie les ordonnances et les 49.3 pour pouvoir avancer », avertit la sénatrice LR Laure Darcos. « Emmanuel Macron aura une vraie difficulté au Parlement. Il a été réélu, mais jusqu’ici il n’est pas en capacité de porter une adhésion suffisante. En face, on voit comment LFI, avec seulement 17 élus, a su occuper l’hémicycle au cours des cinq ans écoulés. On peut imaginer ce que cela va donner avec plus d’une centaine de députés. C’est une donne avec laquelle LR pourrait composer, mais il faudra faire preuve de modestie si l’on veut montrer que nous pouvons encore jouer un rôle dans la recomposition politique », soutient Dominique Estrosi Sassone, la sénatrice LR des Alpes-Maritimes.
Le Sénat, place forte de la droite
La droite sénatoriale, déjà majoritaire au sein de la chambre haute, pourrait elle aussi sortir renforcée de ce cas de figure. En n’étant plus le principal groupe d’opposition à l’Assemblée nationale, LR perdrait aussi plusieurs postes clefs au Palais Bourbon, dont la très convoitée présidence de la commission des finances. Ce faisant, le plus gros du travail législatif fournit par la droite serait celui de ses 146 élus du Palais du Luxembourg. « Quel que soit le nombre de députés LR élus, c’est le Sénat et sa majorité de droite qui seront le plus à même de modifier les textes. Nous aurons, plus que jamais, un rôle important à jouer. Je sais que Gérard Larcher et Bruno Retailleau, le président du groupe LR, veulent continuer à agir en responsabilité, en faisant valoir nos convictions sur chaque texte », salue Dominique Estrosi Sassone.
La droite sénatoriale pourrait du même coup reprendre une forme d’ascendant idéologique sur la rue de Vaugirard où, nous glisse un LR, le président du Sénat et Bruno Retailleau se plaignent régulièrement de ne pas voir les sénateurs suffisamment représentés au sein des instances dirigeantes.
Se positionner par rapport à la majorité
Reste à savoir si la droite, largement phagocytée par la macronie, parviendra à conserver ce qui lui reste d’unité au sein d’une opposition constructive, alors que le parti est déjà divisé depuis la fin de la présidentielle entre ceux ouverts au compromis avec Emmanuel Macron et les partisans d’un rejet ferme. « Je ne veux pas d’une extrême gauche qui puisse barrer la route à tout projet susceptible de redresser la France ! », alerte la sénatrice de Paris Céline Boulay-Espéronnier. Elle admet souhaiter qu’Emmanuel Macron obtienne « une majorité stable et franche, en face d’une extrême gauche du désordre, extrêmement agressive, anti-européennes, et catastrophique sur les plans régaliens et économiques ».
La ligne adoptée à l’issue du conseil stratégique pour le second tour des législatives devrait offrir un nuancier très territorialisé des postures, en fonction des circonscriptions et des forces en présence. « Je ne peux pas tordre le bras de mes candidats. À eux de voir ce qu’ils veulent faire selon les cas de figure, mais il y aura des deals possibles avec la majorité », explique encore la sénatrice Laure Darcos, qui préside également la fédération départementale de l’Essonne. La droite locale voit notamment d’un très mauvais œil le retour gagnant du socialiste Jérôme Guedj, arrivé largement en tête dans la 6e circonscription de l’Essonne (38,31 %), devant la ministre Amélie de Montchalin (31,46 %). « Je me sens dans une situation très inconfortable, car je peux comprendre l’amertume de certains à soutenir une majorité qui a essayé de nous tuer », ajoute Laure Darcos.
« Aucune voix ne doit aller aux extrêmes. La NUPES et le Rassemblement national représentent le même danger pour notre pays », estime Gérard Larcher dans un communiqué de presse. « Dans ma circonscription de Rambouillet où le 2e tour opposera une candidate Ensemble à un candidat de la NUPES, conformément aux principes qui sont les miens, je voterai pour la candidate de la majorité présidentielle. Mon choix aurait été le même si elle avait été opposée à un candidat du Rassemblement national », indique le deuxième personnage de l’Etat.
« Nous ne sommes pas encore au bout de notre éclatement »
Le risque de fracture pourrait être particulièrement prononcé à la rentrée, où, en parallèle de la reprise des travaux parlementaires, le parti devra trouver un successeur à Christian Jacob, qui a prévu de quitter son poste à l’issue de ces législatives. « Honnêtement, nous devons tout refaire du sol au plafond, nous avons un problème de ligne et un problème d’incarnation », admet Agnès Evren. « Ce qui compte aujourd’hui, c’est clarifier notre ligne idéologique. Jusqu’à maintenant nous n’avons pas réussi à réunir les trois courants de la droite : la droite bonapartiste, la droite orléaniste et la droite légitimiste. Ensuite, nous devons avoir un vrai leader, un leader naturel. Nous ne l’avons pas. »
Certains, dans les couloirs de LR, redoutent déjà l’une de ces luttes fratricides entre deux lignes dont la droite a été coutumière au cours des dix dernières années. « À l’automne, certains élus LR vont nous dire que si le PS n’est pas totalement mort, c’est grâce à son alliance avec l’extrême gauche, et vont proposer un rapprochement avec l’extrême droite. Nous ne sommes pas encore au bout de notre éclatement », prédit Laure Darcos.