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Audition de Bayrou sur Bétharram : quand la politique prend le pas sur la défense des victimes

Les 5h30 d’audition de François Bayrou devant la commission d’enquête mise en place à l’Assemblée nationale après les révélations sur des violences physiques et sexuelles perpétrées dans l’établissement catholique Notre-Dame de Bétharram, ont tourné en duel politique entre le Premier ministre et le co-rapporteur LFI, Paul Vannier. Au Sénat, la gauche dénonce l’attitude « agressive » du Premier ministre quand la droite axe sur « l’instrumentalisation » de la souffrance des victimes par LFI.
Simon Barbarit

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Annoncée depuis des semaines, l’audition de François Bayrou devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale « sur les modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires » aura tenu ses promesses, du moins du point de vue de son intensité.

Pendant près de 5h30, le Premier ministre visiblement bien préparé, a refusé d’endosser la moindre responsabilité politique dans l’affaire des violences physiques et sexuelles au sein de l’établissement Notre-Dame de Bétharram. Un établissement dans lequel ses enfants étaient scolarisés. Devant la commission d’enquête et dans la presse, plusieurs témoins ont affirmé qu’il avait connaissance dès la fin des années 1990 d’accusations d’agressions sexuelles à Betharram à l’époque où il était député et président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques et peu de temps après son passage au ministère de l’Education nationale.

Inlassablement, François Bayrou aura dénoncé la supposée « méthode » du co-rapporteur LFI, Paul Vannier. « Vous ne cherchez pas la vérité, vous la déformez tout le temps », a-t-il tancé soulignant « la malhonnête et la perversité impuissante » du député.

« Pour expliquer l’inexplicable, il a fait porter l’essentiel de la confrontation dans le domaine politique. Il a considéré que c’était un procès politique », note le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias.

La sénatrice écologiste de Gironde, Monique de Marco se dit « gênée » par l’attitude du chef du gouvernement qu’elle a trouvé « agressif et sur la défensive ». « Je n’ai pas apprécié non plus qu’il mette en cause la lanceuse d’alerte, Françoise Gullung ». L’ancienne enseignante en mathématique à Betharram dit l’avoir alerté à plusieurs reprises François Bayrou sur les violences systémique dans l’établissement, ce que l’intéressé a qualifié « d’affabulation ». « Il n’a pas été convaincant et finalement, nous n’avons pas appris grand-chose », souligne Monique de Marco.

« François Bayrou est dans une situation compliquée dans cette affaire qui touche à sa responsabilité politique de l’époque, sa situation personnelle et la situation politique actuelle, résume la sénatrice socialiste Paris, Marie-Pierre de la Gontrie. « Comme avocate, je constate qu’il a adopté une stratégie de défense classique qui consiste à se défendre pied à pied sur chaque pièce du dossier et ne rien lâcher. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ça a dû mobiliser une énergie folle. Et quand on fait ça, on ne fait pas autre chose », constate-t-elle.

Rapporteure en 2019 de la loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires, dite loi anti fessée, Marie-Pierre de la Gontrie a été « troublée » par la justification de François Bayrou lorsqu’il a été interrogé sur la fameuse gifle qu’il avait donnée à un enfant qui lui dérobait son portefeuille lors de la campagne présidentielle de 2002. « Il parle d’une tape de père de famille. 20 ans après, il trouve toujours ce geste légitime, et éducatif. Cela signifie que pour lui encore aujourd’hui frapper un enfant peut être justifié. C’est grave. »

« LFI cherche à instrumentaliser la souffrance des victimes de Bétharram pour se faire la peau de François Bayrou »

A droite, le sénateur LR Max Brisson, observe, lui aussi, que le Premier ministre « avait pris cette audition avec beaucoup de sérieux. « Mais le sujet de cette commission d’enquête, ce n’est pas François Bayrou, mais la protection des enfants, et une évolution législative, si nécessaire en ce sens. Mais on a bien vu que LFI cherche à instrumentaliser la souffrance des victimes de Bétharram pour se faire la peau de François Bayrou ».

La sénatrice Modem, Isabelle Florennes constate que le Premier ministre a « bien fait d’apporter le livre ‘’La Meute’’ « parce qu’on a vu l’illustration des méthodes de La France Insoumise de ce qu’elles seraient si elle arrivait au pouvoir. C’est-à-dire un tribunal à charge contre ceux qui ne sont pas sur leur ligne ». L’ouvrage écrit par les journalistes Olivier Pérou, Charlotte Belaïch (Editions Flammarion) décrit des pratiques violentes de La France insoumise.

Ce jeudi, lors d’une conférence de presse, Paul Vannier a estimé que François Bayrou avait reconnu hier avoir « menti » lorsqu’il avait déclaré le 11 février devant l’Assemblée « n’avoir jamais été informé de quoi que ce soit de violences, ou de violences a fortiori sexuelles ».

Une interprétation qui diffère de celle de l’autre rapporteure, la députée Renaissance, Violette Spillebout. « Le Premier ministre, hier soir, a répondu sous serment qu’il n’avait jamais menti, qu’il y avait des imprécisions dans ses souvenirs, qu’il s’agissait de rencontres et d’échanges, de lectures, d’articles de presse d’il y a plus de 30 ans. Et je le crois », a-t-elle indiqué lors de la même conférence de presse.

Max Brisson insiste. « L’objet de la commission d’enquête, c’est la protection des enfants. On peut débattre du contrôle des institutions qui accueillent les enfants, mais l’extrême gauche utilise Bétharram pour remettre en cause le caractère propre, la liberté pédagogique ou l’organisation de la vie scolaire des établissements privés ».

Etablissements privés : « Ce sont quasiment des zones de non-droit »

« Je n’aurais pas voté la loi Debré. Mais aujourd’hui je souhaite qu’elle soit appliquée car elle ne laisse pas toute liberté aux établissements privés », répond Pierre Ouzoulias. « Les notables locaux utilisent tous leurs pouvoirs pour éviter à ces établissements des contrôles de l’Etat qui disposent de fait, d’une impunité totale. Ce sont quasiment des zones de non-droit ou la liberté de conscience des élèves et des enseignants n’est pas respectée et on laisse perdurer ce séparatisme », ajoute-t-il.

Se plaçant du côté de la défense de victime, le Premier ministre a prôné la création d’une « autorité indépendante » sur les violences contre les enfants, qui comporterait « un conseil scientifique » et un « conseil des victimes ». Elle concernerait « tous les établissements » scolaires mais aussi « les associations sportives », « les associations culturelles », a-t-il détaillé. La Cmmission indépendante sur les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) s’est dite prête jeudi à endosser le rôle.

Une proposition proche de celle d’Alain Esquerre porte-parole des victimes de Bétharram qui milite pour la création « d’un office national de contrôle des établissements scolaires ».

L’idée du Premier ministre a laissé de marbre la sénatrice centriste, Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits de femmes. Une délégation qui traite également des problématiques liées à l’enfance. « Ce qu’il faut, c’est appliquer la loi et donner les moyens à ceux qui s’occupent de la protection des enfants de le faire. Donnons des moyens à la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse), à la ASE (Aide sociale à l’enfance), aux départements, à la gendarmerie. Mettons les moyens pour que les victimes de maintenant ne soient pas les auteurs de demain », appelle-t-elle.

 

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