Comme une impression de déjà-vu. Il y a cinq ans, la commission de la Culture du Sénat avait déjà auditionné Vincent Bolloré à propos de sa stratégie à la tête du groupe Canal. Le moins que l’on puisse dire en comparant les deux auditions, c’est que Vincent Bolloré n’a pas vraiment changé son fusil d’épaule. David Assouline, rapporteur socialiste de la commission d’enquête, s’est peut-être même demandé mercredi s’il était dans une commission d’enquête parlementaire ou dans le nouvel opus de Retour vers le futur. Petit florilège d’éléments de langage distillés avec le même aplomb à cinq ans d’intervalle.
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« La diète » vs « les économies »
En 2016 comme en 2022, la question de l’intervention de Vincent Bolloré dans les contenus journalistiques des médias qu’il dirige s’est naturellement posée dans l’audition. Peut-être même de manière plus prégnante mercredi dernier puisque le rôle de CNews dans le cadrage de l’agenda médiatique et de l’émergence de la candidature d’Éric Zemmour était dans toutes les têtes. Mais pour Vincent Bolloré, « ce sont les mêmes deux ou trois histoires que l’on répète depuis 5 ans. » Et justement, il y a 5 ans, le même Vincent Bolloré avait déjà tout expliqué : le problème c’est que les « gens » n’aiment pas se serrer la ceinture, et trouvent ensuite des prétextes pour attaquer une gestion économique raisonnable. CQFD.
Ainsi Vincent Bolloré, 2016 : « La diète était nécessaire, les gens étaient effrayés parce qu’ils ne le savaient pas. Franchement, je crois sincèrement que les critiques sont venues surtout parce que le travail qu’on fait chez Canal n’est pas populaire. Il est déplaisant car il faut faire de la diète. Les gens ont crié au loup sur des histoires qui n’en sont pas. Ce qui les embête c’est de faire la diète. » Rejoint par Vincent Bolloré, 2022 : « Il n’y a pas de gestion brutale, mais le courage de dire les choses et de prendre les mesures, ce qui n’est jamais bon pour le moral. Canal était en grande difficulté, il fallait malheureusement aller faire des économies. Quand vous voulez faire faire des économies aux gens, ils ne disent pas ‘c’est affreux il veut faire des économies’, ils disent ‘c’est affreux il intervient dans les contenus’. Tout ceci est venu parce qu’on a été obligé de faire des économies. » L’industriel breton a d’ailleurs repris deux fois le même exemple : il fallait réduire la voilure sur le festival de Cannes où 500 employés de Canal étaient présents avant « la diète. »
Et Vincent Bolloré de reprendre explicitement, lors de ses deux auditions, ses propres propos à son arrivée à Canal : « J’avais dit en arrivant à Canal : ‘Je ne suis pas la cause de vos problèmes, je suis la conséquence de vos problèmes et peut être la solution’. » On ne change pas une équipe qui fait match nul.
Vincent Bolloré, « un paratonnerre » sans pouvoir ?
Plus généralement, la communication de Vincent Bolloré sur les deux auditions a eu un but constant : le construire comme un « paratonnerre », métaphore employée à plusieurs reprises dans chacune des auditions. Explicitement, Vincent Bolloré s’affiche en industrieux breton prêt à affronter la tempête médiatique, sorte de figure sacrificielle pour son groupe, toujours prêt à prendre les mauvais coups. En creux, cela légitime une autre facette constante de sa communication : son rôle est symbolique, presque cosmétique, il n’a aucun véritable « pouvoir. »
Ainsi expliquait-il en 2016 : « Je ne suis là que pour prendre les coups. Je tire la foudre sur moi. Je sers à faire le paratonnerre. » Avant d’ajouter un peu plus loin dans l’audition, pour répondre aux questions sur le retrait de l’antenne de Canal d’un documentaire sur le Crédit Mutuel : « Je n’ai pas le pouvoir de faire retirer quoi que ce soit. » Et oui, un paratonnerre ça prend la foudre du haut, mais ça ne s’intéresse pas à ce qu’il se passe dans les étages du dessous. Dans la maison Canal, Vincent Bolloré n’aurait donc pas le pouvoir d’agir sur les programmes ou – variante 2022 – de nommer quelqu’un : « Je n’ai pas le pouvoir de nommer qui que ce soit à l’intérieur des chaînes » déclarait-il mercredi.
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