A l’Assemblée nationale, le Premier ministre a répondu aux questions des députés sur les violences physiques et sexuelles présumées commises dans l’enceinte de l’établissement Notre-Dame-de-Bétharram, il y a une trentaine d’années. Très attendu, le chef du gouvernement avait élaboré une stratégie plutôt offensive pour défendre sa ligne qu’il tient depuis le début : il jure n’avoir pris connaissance des faits que par la presse.
Pour rappel, l’Assemblée nationale a lancé une commission d’enquête « sur les modalités du contrôle par l’Etat et de la prévention des violences dans les établissements scolaires » au lendemain du scandale Bétharram. L’actuel Premier ministre, alors ministre de l’Education nationale quand la première plainte fut déposée contre l’établissement, est soupçonné d’avoir dissimulé les accusations contre Bétharram. Pire encore, l’opposition l’accuse d’avoir menti devant la représentation nationale en février dernier. François Bayrou avait alors affirmé n’avoir « jamais » eu aucune information sur les violences présumées commises au sein de l’institution catholique.
« Il a cherché à transformer une affaire de violences faites aux enfants, en une affaire politique », analyse le communicant Philippe Moreau Chevrolet
Pour défendre sa ligne, le Premier ministre a misé sur la « diversion » : il ne s’est pas seulement expliqué sur les faits, mais il a également riposté aux questions des députés par « l’attaque politique, voire politicienne », décrit le communicant. En effet, dès le début de l’audition, François Bayrou a accusé le co-rapporteur de la commission d’enquête, le député insoumis Paul Vannier, d’avoir menti lors d’une session à l’Assemblée nationale, en insinuant l’implication du Premier ministre dans le scandale. Le chef du gouvernement a même amené un exemplaire du livre « La Meute », une enquête sur la France Insoumise et son fondateur Jean-Luc Mélenchon, écrit par les journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou, pour l’audition. Un message envoyé aux Insoumis : François Bayrou a « joué assez habilement sur l’impopularité de LFI pour essayer de se remettre sur pied politiquement », analyse Philippe Moreau Chevrolet. En clair, en déplaçant la « cible » vers les Insoumis, le Premier ministre a tenté d’évincer le fond de l’affaire, et avec, sa potentielle culpabilité.
Cette stratégie de diversion a permis au Premier ministre « de faire face », estime le politologue Olivier Rouquan. Mais de son côté, le chercheur a vu en François Bayrou un Premier ministre « pugnace » et « soucieux de répondre ». Le tout était d’apparaître comme « un honnête homme » face à des députés d’opposition parfois « hargneux », analyse-t-il. D’après Olivier Rouquan, l’enjeu pour François Bayrou était de composer avec cette hostilité, et ne pas se laisser submerger.
Mais en audition, « il est difficile d’apparaître à son avantage » estime le politologue Olivier Rouquan
Cette stratégie a-t-elle été payante ? Au-delà de l’opposition, l’audition en commission d’enquête parlementaire reste un exercice « très politique », et il est « difficile d’apparaître à son avantage », avance le politologue Olivier Rouquan. Non seulement l’affaire a plus de 30 ans, posant la question « de la capacité à retracer les faits », mais « les valeurs dominantes » ont aujourd’hui changé. Pour le politologue, « on ne peut pas interpréter ce qu’il s’est passé à l’époque, avec le regard d’aujourd’hui ». Si le politologue estime que le Premier ministre « a tenu le choc » face à ce double problème, le communicant Philippe Moreau Chevrolet, lui, y a seulement vu une façon de « gagner du temps » : François Bayrou « a montré qu’il était capable de tenir sa ligne de déni ».
Néanmoins, cette stratégie ne fonctionne qu’à court terme, prévient-il : sur le long terme, « son image sera profondément impactée », et pourrait entraîner des conséquences néfastes sur son avenir politique, alors qu’il n’occupe Matignon que depuis le mois de décembre dernier. L’affaire Bétharram apparaît alors comme une épine dans le pied du Premier ministre, dont il aura du mal à se défaire.
« Si Emmanuel Macron décide de changer de Premier ministre, il pourra utiliser l’affaire Bétharram », affirme Philippe Moreau Chevrolet
Au lendemain de l’audition, le communicant imagine déjà les conséquences concrètes sur le mandat de François Bayrou : « Si Emmanuel Macron décide de changer de Premier ministre, il pourra utiliser l’affaire Bétharram » pour le justifier, anticipe-t-il. D’autant plus que le chef du gouvernement est déjà « affaibli » renchérit Olivier Rouquan : il a déjà « du mal à faire passer ses priorités auprès du Président de la République et auprès des députés ».
Mais pour le politologue « on n’en est pas » à parler de démission : « Il faudrait vraiment de nouveaux éléments pour aboutir à un scandale politique », estime-t-il. Pour l’instant, le Premier ministre n’est pas concerné par l’enquête judiciaire menée par le parquet de Pau, et « c’est ce qui le sauve ». Au Parlement non plus, son avenir ne risque pas d’être menacé. Sur le plateau de Public Sénat ce matin, le député (RN) Jean-Philippe Tanguy a balayé d’un revers de la main l’idée d’une censure contre le gouvernement Bayrou : il « ne voit rien qui empêche » le Premier ministre de le rester, « pour l’instant ».
Mais comme le rappelle le politologue Olivier Rouquan, il faut se méfier de la chambre basse, qui peut toujours « dévier », et de « façon improbable ».