Auschwitz : la ruée vers le souvenir

Auschwitz : la ruée vers le souvenir

Une fièvre mémorielle a gagné l’Europe avec l’inauguration de nombreux mémoriaux et la création d’associations à la fin des années 1970. Monuments, plaques et musées ont été érigés sur la place publique en souvenir de nos morts de la Seconde Guerre mondiale. Très vite, ces lieux de commémoration ont été visités, restaurés, puis revisités. Si la mémoire du génocide des Juifs est omniprésente, l’exigence de commémoration se heurte à la problématique de l’exploitation touristique et à l’injonction de se souvenir. Dès lors, comment allier devoir officiel et personnel ? Comment transmette l’Histoire sans banaliser l’horreur ni tomber dans l’émotionnel pur ?
Public Sénat

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Alors que des millions de « touristes » visitent chaque année les lieux consacrés à la mémoire du judéocide, il reste légitime de questionner ces visites aux allures, trop souvent, de curiosité plus que de pèlerinage pédagogique ou mémoriel. Le musée d’Auschwitz-Birkenau, sur le lieu de l'ancien camp d'extermination en Pologne, est fréquenté par plus d'un million de visiteurs chaque année. D’aucuns diront que cette offre muséale massive, nourrie d’un drame, s’apparente à un excès du culte. L’artiste Shahak Shapira s’inspire d’ailleurs de certaines dérives comme des photos humoristiques que prennent les touristes dans un lieu qui, rappelons-le, était autrefois, un camp d’extermination. Cet artiste israélien, entre autres, ouvre le débat et interroge la limite entre morale et hommage, sensibilisation et sacralisation.

La mémoire « ad aeternam »

Pour Annette Wieviorka, l’inscription de la mémoire dans la pierre reste primordiale. Selon l’historienne spécialiste de la mémoire de la Shoah, « il y a effectivement beaucoup de visiteurs que nous appelons des touristes. Mais quid des groupes scolaires qui viennent accompagnés de survivants. Est-ce que ce sont des touristes ? Je trouve qu’il y a une facilité à dénoncer le tourisme de masse sans se poser la question de l’histoire d’un lieu. […]  Auschwitz est un lieu inouï ».

Éduquer pour former des témoins

Ainsi, les lieux comme gardiens de l’Histoire, ont quelque chose d’utile. Comment rendre compte de l’horreur du génocide sans tomber dans la spectacularisation ? Certains auteurs soulèvent un risque de « saturation » si l’Histoire n’est appréhendée qu’à travers le prisme de la moralisation et sous le poids de la culpabilisation. Loin d’une approche manichéenne simpliste, il est nécessaire de faire dialoguer mémoire et Histoire.

Annette Wieviorka rappelle qu’il ne faut pas schématiser en séparant les méchants des gentils mais comprendre les ressorts du génocide dans son entièreté. Autrement dit, il faut analyser l’Histoire pour mieux la saisir et pour agir demain.
C’est alors qu’intervient l’impératif d’intelligibilité. Comment sensibiliser les jeunes générations à l’indicible au travers d’un volet réflexif ? Saisir le passé c’est aussi l’introduire dans le monde vivant. L’insérer dans la société moderne pour concerner les individus. C’est faciliter l’identification des jeunes à leurs aînés. C’est autoriser que la question ne soit plus exclusive mais universelle. C’est plus largement entendre tous ceux qui subissent des discriminations et ainsi réunir toutes les formes de haine.

Extrait Un monde en docs - Alain Chouraqui
01:34

C’est à ce travail que s’attelle notamment Alain Chouraqui, le président fondateur de la Fondation du Camp des Milles. Ainsi, il cherche un écho commun dans la nouvelle génération en  « décortiquant les mécanismes psychosociaux comme celui de l’effet de groupe. Lorsque nous parlons à des jeunes, qui viennent parfois de quartiers difficiles et que nous leur parlons d’effet de groupe, de bande, [...] nous nous apercevons que ce sont des mécanismes humains qu’ils connaissent et reconnaissent ». Le passé, assimilé à l’unisson, facilite donc l’élaboration d’un destin commun.

Mais une fois les enfants devenus grands, l’État doit-il se faire le relais de l’école dans l’élaboration d’une mémoire collective ? L’injonction d’une réflexion commune et officielle peut-elle agir efficacement en faveur d’un « plus jamais ça » ? Si les commémorations et les minutes de silence sont aujourd’hui ritualisées et cultivées par l’État, l’appropriation individuelle demeure fondamentale pour ne jamais oublier que « chacun peut et doit s’engager » pour écrire demain, selon la formule d’Alain Chouraqui.

L’optimiste historien, Dominique Vidal, a choisi les paroles de Jean Ferrat pour résumer ce qu’il croit nécessaire à la transmission de la mémoire :

« Je twisterais les mots s’il fallait les twister pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez ».

Autrement dit, seule l’Histoire compte. L’enjeu est moins la forme sous laquelle elle est exposée que la compréhension du fond.

 

Retrouvez le débat sur la mémoire de la Shoah dans l'émission Un monde en docs  le samedi 17 juin à 22h, le dimanche 18 juin à 9h et le dimanche 25 juin à 18h sur Public Sénat.

 

Pour aller plus loin :

Auschwitz expliqué à ma fille d’Annette Wieviorka, éd. Seuil, 1999
1945. La Découverte d’Annette Wieviorka, éd. Seuil, 2015
Shoah, génocides et concurrence des mémoires, de Dominique Vidal, éd. du Cygne, 2012
Pour résister. À l’engrenage des extrémistes, des racismes et de l’antisémitisme, d’Alain CHOURAQUI (Auteur), Simone VEIL (Préface), Jean-Paul de GAUDEMAR (Préface), éd. Cherche Midi, 2015
Ginette Kolinka : Une famille française dans l'Histoire, de Philippe Dana, éd. Kero, 2016
« Transmettre la mémoire de la Shoah », Revue Le Débat, n°96, septembre-octobre 1997. éd. Gallimard
Sans toi, je serais en route pour un grand voyage : Histoire d’un sauvetage, Compiègne, Drancy, 1941-1942 de Louis et Mariette Engelmann, éd. Le Manuscrit, 2016
Quand les mémoires déstabilisent l’école. Mémoire de la Shoah et enseignement, sous la direction de Sophie Ernst, n° 168 de la Revue Française de pédagogie, juillet-septembre 2009
Documentaire « Shoah » de Claude LANZMANN sorti en 1985

Dans la même thématique

Auschwitz : la ruée vers le souvenir
3min

Politique

Européennes 2024 : Marie Toussaint plaide pour « un pacte de non-agression à gauche »

Alors que la Nupes s’est décomposée durant les dernières semaines, Jean-Luc Mélenchon a acté, samedi 2 décembre, la fin de la Nupes. Cet été, l’idée d’une liste commune entre les partis de la Nupes pour les élections européennes de juin 2024 avait déjà commencé à fracturer l’alliance, en particulier chez les écologistes. En juillet 2023, le parti de Marine Tondelier, habitué aux bons résultats lors des scrutins européens, désigne Marie Toussaint tête de liste pour les élections européennes.  « La réparation est l’un des objectifs de l’écologie politique, le meeting a duré trois heures, c’était très dense » Si les écologistes rejettent l’idée d’une liste commune à gauche, la députée européenne Marie Toussaint plaide pour « un pacte de non-agression à gauche ». Pour rappel, une liste ne peut élire des députés au Parlement européen uniquement si elle dépasse un seuil de 5 %. « Je pense que l’on a des combats essentiels à mener, c’est ce qui doit concentrer toute notre attention », juge Marie Toussaint qui estime que le combat doit être mené contre les partis nationalistes qui continuent de progresser au sein de l’Union européenne. En proposant ce pacte de non-agression, Marie Toussaint rappelle qu’elle souhaite orienter sa campagne autour de « la douceur ». Une approche qui suscite l’étonnement, ou l’incompréhension, notamment après le meeting de lancement de la campagne. Ce 2 décembre, la tête de liste écologiste avait convié un groupe de danseuses pratiquant la « booty-therapy », une danse permettant de « s’assumer ». « La réparation est l’un des objectifs de l’écologie politique, le meeting a duré trois heures, c’était très dense », justifie Marie Toussaint qui assume vouloir mener une campagne « sensible ». « La douceur, dans un monde meurtri par la violence politique et sociale, est un horizon de sauvegarde, c’est un objet de combativité », développe Marie Toussaint pour laquelle cette approche peut être payante.  « Il faut sortir les lobbys des institutions, il faut une législation de séparation des lobbys des institutions européennes » Alors que les négociations de la COP 28 se déroulent actuellement à Dubaï avec un nombre record de lobbyistes présents. Selon Marie Toussaint, que cela soit durant les négociations internationales ou au sein des institutions européennes, les lobbys, notamment pétroliers, doivent être écartés des espaces de discussions. « Il faut sortir les lobbys des institutions, il faut une législation de séparation des lobbys des institutions européennes », développe Marie Toussaint alors que les groupes d’intérêts occupent une place importante dans le processus législatif européen. Outre le lobby des énergies fossiles, la tête de liste écologiste prend également pour cible la fédération des chasseurs et son président Willy Schraen qui mènera une liste aux élections européennes. Accusée par ce dernier de prôner une écologie déconnectée, Marie Toussaint a, de nouveau, proposé d’organiser un débat avec Willy Schraen afin de « vérifier qui est du côté de l’agro-industrie et qui est du côté des paysans ». Marie Toussaint fustige notamment l’hypocrisie du patron des chasseurs considérant que ce dernier défend « une vision de l’agriculture sans paysans ».

Le

L’hémicycle du Sénat
7min

Politique

Aide médicale d’Etat : la majorité sénatoriale divisée sur les conclusions du rapport Stefanini Evin

Un rapport remis lundi au gouvernement balaye l’hypothèse d’une suppression de l’Aide médicale d’Etat (AME), tout en préconisant une réforme du dispositif. Cette étude prend toutefois ses distances avec le chemin tracé par la majorité sénatoriale, qui a fait disparaître l’AME lors de l’examen du projet de loi immigration en novembre, pour lui substituer une aide d’urgence.

Le