Les semaines se suivent et se ressemblent. Depuis la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon le 9 septembre dernier, l’agenda du Premier ministre paraît se répéter d’une semaine sur l’autre : déjeuner avec les chefs de parti du socle commun, entretien avec le Président du Sénat et la Présidente de l’Assemblée nationale, rendez-vous avec les socialistes, entrecoupés d’une mobilisation sociale. Cette semaine n’échappe pas à la règle, à cela près que la nomination d’un gouvernement n’a jamais été aussi proche. Elle devait intervenir avant le 1er octobre, selon le Premier ministre. D’autres sources affirment qu’elle aura lieu dans le week-end, après la désignation des membres du bureau de l’Assemblée et l’élection de ses présidents de commission.
Interview de Sébastien Lecornu au Parisien : « Tout cela n’est pas de bon augure »
Ce vendredi, les représentants du Parti socialiste sont à nouveau reçus par le Premier ministre, pour échanger sur les équilibres du budget pour 2025. La dernière fois, le 17 septembre, les roses en étaient sortis « sur leur faim ». Depuis, Sébastien Lecornu a présenté certaines de ses orientations dans une interview au Parisien parue le week-end dernier, une base de travail, selon son équipe. Il y ferme la porte à plusieurs propositions du Parti socialiste : pas de taxe Zucman, pas de retour de l’ISF, pas de suspension de la réforme des retraites. Alors que les socialistes essayaient de peser de tout leur poids dans la balance, cette interview a douché leurs espoirs. Elle est qualifiée de « lunaire » par Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat. « Ce qu’il a mis sur la table aujourd’hui, non seulement ça ne répond pas à ce que nous avons proposé, mais en plus ce ne sont que de mains tendues à la droite », déplore Corinne Narassiguin, sénatrice PS de la Seine-Saint-Denis, « il parle d’une potentielle nouvelle réforme de l’assurance chômage, de toucher à l’AME pour faire plaisir à monsieur Retailleau, comme si c’était là qu’on allait faire des économies pour les Français. Tout cela n’est pas de bon augure ».
« Un Premier ministre souhaite nous voir, nous y allons »
Quel intérêt, alors, pour le Parti socialiste, de se rendre à une telle rencontre, alors que les portes semblent déjà fermées à leurs propositions ? « Nous sommes des gens qui respectons les institutions de la République. Un Premier ministre souhaite nous voir, nous y allons, pour entendre ce qu’il a à nous dire », assure Corinne Narassiguin. « On a toujours réclamé d’être une gauche qui veut être utile pour les Français, une gauche crédible, une gauche capable un jour de revenir aux affaires au niveau national et de reprendre ses responsabilités. Nous ne sommes pas du côté de la gauche protestataire, qui ne sert pas à grand-chose pour les intérêts des Français », appuie Patrick Kanner. Ce qui ne les empêche pas d’envisager la rencontre avec de la « perplexité », voire de l’« incrédulité ».
Le PS ira à Matignon avec quatre conditions
Le Parti à la rose se présentera donc à Matignon vendredi, avec ses quatre conditions, détaillées par un parlementaire socialiste très au courant des négociations : rien qui ne touche aux classes populaires, un meilleur rééquilibrage de l’effort fiscal, une mesure sur les salaires et le pouvoir d’achat et une suspension de la réforme des retraites. Une liste ambitieuse qui semble difficile à faire accepter au bloc central et à ses alliés LR. « Le PS a envie d’un deal, mais pas à vil prix. L’interview du Parisien, c’est la censure en chantant. Personne au PS ne pense que cela peut se faire sur ces bases », maintient ce parlementaire.
Pour autant, le parti à la rose, connu pour sa capacité de synthèse, a envisagé des inflexions et des portes de sortie : à défaut d’adopter la taxe Zucman, les socialistes seraient prêts à se contenter d’une reconduction de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, d’une taxation des holdings et d’une surtaxe sur l’impôt sur les sociétés. Sur la réforme des retraites, notre source affirme qu’un deal est possible, si les demandes de la CFDT de reprendre ce qui est sorti du conclave sont entendues.
« On verra aussi ce qu’il propose en termes de méthode, parce que c’est bien de dire qu’on ne veut pas utiliser le 49-3, mais ça serait mieux de s’engager à ne pas le faire », ajoute Corinne Narassiguin, « je ne vois pas dans quelles conditions on pourrait penser que c’est utile de discuter avec les autres groupes du Parlement, si de toute façon, tout passe par le 49-3 ».
« Nous n’avons pas d’interlocuteurs à Matignon »
Comment envisager que les macronistes et les LR acceptent cette liste ? Les LR, eux, ont plutôt apprécié l’interview au Parisien du Premier ministre. Au vu de ce tableau, la réunion de ce vendredi semble bien mal emmanchée, pour Corinne Narassiguin. « Avec ce qu’il y a sur la table aujourd’hui, avec cette façon de faire, on ne voit pas très bien comment on pourrait éviter la censure », prédit-elle. « Nous n’avons rien, donc c’est difficile de dire ce qu’on va faire quand on n’a pas d’éléments en main », regrette Patrick Kanner, « Olivier Faure a demandé hier à recevoir un minimum de propositions de la part de monsieur Lecornu ».
Pour le parlementaire cité plus haut, cela ne fait aucun doute, la réunion de vendredi ne fonctionnera pas. « Elle n’a pas été préparée », affirme-t-il. « Nous n’avons pas d’interlocuteurs à Matignon, Sébastien Lecornu passe ses coups de fil dans son coin », déplore-t-il, « son cabinet n’est pas très politique, nous n’avons aucune discussion sérieuse ». C’est donc sur une hypothèse de censure puis de dissolution de l’Assemblée nationale que le PS a planché en interne depuis plusieurs semaines. La mort dans l’âme, pour certains, qui craignent de ne pas être réélus, le cas échéant.