Une dizaine de conseillers partagés entre l’Élysée et Matignon : avec cette innovation, Emmanuel Macron et Édouard Philippe veulent abattre les cloisons entre les deux maisons du pouvoir, dont les relations parfois compliquées ont rythmé la Ve République.
"Il est facile de faire des armadas de gens intelligents, mais il faut les faire travailler bien ensemble", a résumé le Premier ministre, qui avait déjà signé une circulaire remarquée pour cadrer le travail gouvernemental.
L'exécutif, qui s'inspire des méthodes du privé, s'emploie à éviter "le travail en silo", plaie bureaucratique où plusieurs services font leur travail - ou parfois la même chose - sans suffisamment se parler.
"L’Élysée et Matignon travaillent de la manière la plus fluide et la transparente. Il faut éviter tous les murs qui nuiraient à la bonne communication opérationnelle. Les deux maisons ne doivent pas être séparées", défend un conseiller gouvernemental.
Sur la cinquantaine de membres du cabinet quasi-définitif d’Édouard Philippe, complété par une importante série de nominations mardi au Journal officiel, onze seront communs avec l’Élysée, selon une liste obtenue par l'AFP. Le cabinet de M. Macron doit, lui, encore être très largement confirmé au JO.
Les conseillers concernés par la double casquette, qui assisteront aux réunions de cabinet à l’Élysée comme à Matignon, sont principalement dans les domaines économique et social, ainsi que dans celui de l'environnement au sens large.
Y figurent notamment les conseillers fiscalité, industrie, fonction publique, sécurité sociale, énergie, environnement, transport, basés physiquement à Matignon. Et un conseiller chargé de la macroéconomie ou encore un autre des participations de l'État, qui ont leurs bureaux à l’Élysée.
- "Les yeux de Moscou"? -
Ce dernier poste est occupé par un des très proches du président, Cédric O, ancien conseiller de M. Macron à Bercy et trésorier de la campagne d'En Marche !
Le chef de l’État, dont même ses amis reconnaissent qu'il aime contrôler, serait-il en train de placer ses "yeux de Moscou" ?
"N'y voyez pas malice", assure un ministre proche du président, quand certains s'inquiètent d'une forme de "prise de contrôle" de Matignon et des ministères par l'Élysée.
Le chef de l’État a déjà placé plusieurs autres de ses très proches dans de nombreux ministères : l'économiste Marc Ferracci, un des inspirateurs du programme de M. Macron, a été nommé conseiller spécial auprès de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, où il est chargé de surveiller la future et sensible réforme du droit du travail.
Sa femme, Sophie Ferracci est chef de cabinet de la ministre de la Santé Agnès Buzyn. Autre ancienne de Bercy, Anne Rubinstein a intégré le cabinet de Nicolas Hulot. Le responsable du programme culture Marc Schwartz a rejoint le ministère de la Culture. L'ancienne communicante du ministre Macron, Anne Descamps, revient elle comme directrice de la communication du parti présidentiel, la République en Marche.
Proche du ministre Gérard Collomb, mais également pilier de la campagne Macron, Jean-Marie Girier est à l'Intérieur.
Le chef de l’État a aussi tenté de faire nommer Nicolas Revel, ancien condisciple à l'Élysée, directeur de cabinet à Matignon. Mais Édouard Philippe a exigé de désigner un proche, Benoît Ribadeau-Dumas, confirme une source gouvernementale.
Seul Bercy, tenu par les ministres LR Bruno Le Maire et Gérald Darmanin, apparaît relativement épargné. Mais le président de la République connaît également bien Emmanuel Moulin, le directeur de cabinet de M. Le Maire.
Les cabinets de l’Élysée et de Matignon, historiquement très nombreux du fait de leur vocation à traiter tous les sujets, apparaissent encore plus tout-puissants en comparaison avec ceux des ministères.
A la suite de la formation du gouvernement, l'exécutif avait en effet pris des mesures drastiques pour limiter la taille des cabinets ministériels. Le nombre de conseillers ne peut ainsi pas excéder 10 pour un ministre, 8 pour un ministre délégué et 5 pour un secrétaire d’État.
Une restriction stricte qui fait d'autant plus "grincer", selon plusieurs témoignages, que le cabinet de M. Macron à Bercy comptait 25 membres.