Vous avez aimé l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale ? L’article 21 a aussi du potentiel. S’il est moins médiatique, il est loin de faire l’unanimité. Il permet aux autorités de rendre public l’enregistrement des caméras-piétons portées par les policiers et gendarmes – qui seront généralisées en 2021 – pour permettre l’« information du public sur les circonstances de l’intervention » des forces de l’ordre. Les images pourront aussi être transmises en temps réel à la salle de commandement, lors d’une manifestation, « lorsque la sécurité des agents de la police […] ou la sécurité des biens et des personnes est menacée ».
C’est la première disposition qui passe mal pour Loïc Hervé, sénateur UDI et corapporteur du texte, examiné mercredi en commission au Sénat puis à partir du 16 mars en séance. « L’article 21 permet à la police de transmettre les images à la presse. C’est la bataille médiatique. C’est super grave. On américanise le débat médiatique », dénonce le corapporteur. Loïc Hervé continue : « Aujourd’hui, les photographes de la police et de la gendarmerie ne filment que dans trois finalités : la communication du ministère, qui est institutionnelle, la procédure pénale et la procédure disciplinaire. Demain, si les images de la police peuvent être diffusées par BFM, la police va devenir une agence de presse et dans 10 ans, vous aurez des images en direct, et une incitation : dire à la presse "ne venez pas sur les lieux de la manifestation, on s’occupe de tout" ».
« Je ne peux pas laisser passer un truc pareil ! »
Pour Loïc Hervé, par ailleurs membre de la Cnil, « ce n’est pas possible. On change la nature des images et également le métier des photographes et caméramans de la police. On va leur demander de produire des contenus pour les médias. Ce n’est plus le même métier. Et ces images n’ont pas vocation à servir l’actualité des chaînes d’information. Je ne peux pas laisser passer un truc pareil ! » prévient Loïc Hervé. Il rappelle que « ce n’était pas dans le texte de départ, cela a été rajouté lors de l’examen par les députés ». Le sénateur centriste de la Haute-Savoie ajoute : « C’est trop dangereux. Le ministère dira "vous êtes trop nombreux, on vous fournit les images, on vous fait un package complet". Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la presse de laisser le ministère de l’Intérieur faire sa propre communication et ses propres choix ».
Pour éviter « une véritable guerre des images », le rapporteur a donc déposé un amendement pour modifier l’article 21. Il vise tout simplement à supprimer la disposition qui permet de diffuser des images au nom de l’« information du public »00. Selon l’amendement, cosigné par l’autre rapporteur, le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, il vaut mieux « s’en tenir à l’état actuel du droit » qui prévoit déjà des possibilités de communication sur les enquêtes en cours, « sous certaines conditions, à l’initiative et sous le contrôle du parquet ».
Amendement qui sera sans nul doute soutenu par les sénateurs PS, qui ont déposé un amendement identique. La mesure « est assez pernicieuse » pointe Jérôme Durain, sénateur PS de Saône-et-Loire. Il s’interroge :
Est-ce qu’on a besoin d’une version officielle, d’une image officielle ? Je ne vois pas bien l’intérêt. Ou je le vois et je le crains…
« L’idée d’avoir une image officielle n’est pas rassurant » insiste Jérôme Durain, qui se rappelle que « le grand débat était filmé par l’Elysée ». Il souligne que les images tournées par la police « seront tournées dans de meilleures conditions. Il peut y avoir un biais en leur faveur. En revanche, quand on est sur une image à usage procédurale, c’est autre chose »
Valérie Boyer fait « confiance » à la police
Le rapporteur ne sera en revanche pas soutenu par tous à droite. Car le sujet divise une partie des LR. « Je soutiens la police, j’ai confiance en elle. Cette mesure est utile. La police pourra apporter des preuves », soutient Valérie Boyer, sénatrice LR des Bouches-et-Rhône. « Il y a un soupçon. Quand la Défenseure des droits indique, pour sa première intervention, qu’elle veut lutter contre les violences policières, ce qui me semble absolument fou, il est nécessaire d’avoir ce type de mesure » ajoute la sénatrice. « Surprise » de la position du rapporteur, elle estime qu’« il n’y a rien qui peut entacher la liberté de la presse » dans cette mesure.
A l’inverse, Valérie Boyer questionne « la déontologie des images des photos journalistes, de la presse. Je suis pour qu’on signale quand un logiciel de retouche et de transformation d’image a été utilisé pour transformer l’image. Ça a existé dans les dictatures à des fins de propagande », souligne l’ex-députée, auteure en 2009 d’une proposition de loi pour signaler les photos de mode retouchées.
« Cela peut être utile en cas de contestation »
Catherine Procaccia, sénatrice LR, défend aussi cette mesure soutenue par le gouvernement. « Je ne vois pas en quoi ça pourrait être gênant », « cela peut être utile en cas de contestation » estime la sénatrice du Val-de-Marne, signataire comme Valérie Boyer d’un amendement qui vise à étendre à la police municipale la possibilité de transmettre les images en temps réel au centre de commandement. « Souvent, la commission des lois est très prudente et a une approche juridique. Moi, j’ai une approche pratique », affirme la sénatrice.
Elle ne voit pas non plus de risque pour l’information. « Pour l’instant, les agences de presse ou de télé utilisent des vidéos qui leur ont été envoyées par n’importe qui et les diffusent. J’ai plus confiance dans des images enregistrées par la police ou la police municipale. Je doute fort que la police trafique les images. Alors que sinon, on ne sait pas dans quelles conditions elles ont été prises et si elles ont été ou non retravaillées », avance Catherine Procaccia, avant d’ajouter :
Vous pouvez avoir n’importe quel média qui diffuse une vidéo. Et pourquoi la police ne pourrait pas diffuser une contre vidéo montrant comment ça s’est passé ? Au contraire, ça permet à la presse de pouvoir faire un peu plus son travail et le tri des informations.
« C’est la résurrection de l’ORTF ! »
Loïc Hervé, lui, n’en démord pas. « Il n’y a aucun problème pour que des images soient transmises à la justice », assure le corapporteur, « mais je ne veux pas d’images choisies et réalisées. Ensuite, on ne tournera plus les images pour alimenter la procédure pénale et disciplinaire, mais dans l’optique d’en faire des images de presse. C’est la police et le ministère qui deviennent des organes de presse. C’est la résurrection de l’ORTF ! » Il faudra penser à trouver un successeur à Alain Peyrefitte, ministre de l’Information de Charles de Gaulle.