Politique
Alors que le gouvernement a présenté en Conseil des ministres le projet de loi constitutionnel relatif à la Corse, de nombreuses critiques pointent les risques juridiques d’une telle réforme.
Le
Par Henri Clavier
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C’est un « texte de compromis » assure le ministre du partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, François Rebsamen. Le ministre évoque « une étape décisive » après la présentation en conseil des ministres du projet de loi constitutionnelle sur l’évolution institutionnelle de la collectivité de Corse. François Rebsamen n’a pas tenu compte des remarques du Conseil d’Etat, saisi pour avis, qui s’inquiétait du recours au terme de « communauté ». Un choix que le ministre explique avoir fait pour préserver l’accord entre le président de la République et les élus corses avant de laisser le Parlement, et notamment le Sénat qui pourrait examiner le texte dès le mois d’octobre, et amender le projet.
Un exercice d’équilibriste pour le gouvernement qui souhaite éviter de raviver les tensions avec les élus insulaires. En effet, en 2022, pour mettre fin à la flambée de violence en Corse liée à la mort d’Yvan Colonna en prison, Emmanuel Macron charge le ministre de l’intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, d’entamer un processus de réflexion pour faire évoluer le statut juridique de la Corse. Le 28 septembre 2023 un accord est finalement trouvé autour d’un texte reconnaissant « l’autonomie de la Corse au sein de la République » et l’existence d’une « communauté » corse ayant développé « un lien singulier à sa terre ». Par ailleurs, l’octroi du pouvoir législatif à la collectivité de Corse est également prévu.
En tant que chambre représentante des collectivités territoriales, le texte revêt une importance particulière pour le Sénat. Le président de la chambre haute, Gérard Larcher, avait notamment appelé le gouvernement à suivre l’avis du Conseil d’Etat dans une lettre adressée au Premier ministre le 24 juillet.
Pour aboutir à une modification de la Constitution, le texte doit désormais être adopté, dans les mêmes termes au Sénat et à l’Assemblée nationale avant d’être validé par le Parlement réuni en Congrès à la majorité des 3/5e. Au Sénat, où le texte devrait être inscrit en première lecture à la rentrée, le fait que le gouvernement n’ait pas tenu compte de l’avis du Conseil d’Etat suscite des réactions contrastées. « Aujourd’hui, ce que l’on peut dire, c’est que le gouvernement a suivi les écritures proposées par le processus de Beauvau, je m’en réjouis », note le sénateur de Haute-Corse, Paul Toussaint Parigi (rattaché au groupe Union Centriste).
« C’est une drôle de responsabilité que le gouvernement prend. Je pense qu’il aurait dû garder l’avis du Conseil d’Etat, cela aurait facilité le travail notamment au niveau du Parlement », estime Jean-Jacques Panunzi (LR), sénateur de la Corse du Sud. Ce dernier s’inquiète notamment de l’octroi d’une compétence législative à la Corse et des risques juridiques que cela impliquerait. « Le texte fait courir de graves risques à la République. Au nom de quoi la République refuserait à d’autres ce qu’elle accorderait à la Corse ? Cette reconnaissance viendrait contester la notion d’égalité devant la loi », juge Jean-Jacques Panunzi.
A l’inverse, Paul Toussaint Parigi y voit une manière d’apaiser les relations entre la Corse et l’Hexagone et de permettre une meilleure prise en compte des difficultés spécifiques à la Corse. « C’est un moment historique, l’autonomie n’est pas une fin en soi, mais un moyen de développer la Corse et de développer ses spécificités que sont sa langue ou son environnement », pointe le sénateur de Haute-Corse.
Au Palais du Luxembourg, la question du statut institutionnel de la Corse divise fortement les différents groupes politiques. En effet, fait inédit au Sénat, le rapport de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse présenté en mars 2025 a été rejeté par les membres de la Commission des lois. « On a retrouvé, dans l’avis du Conseil d’Etat, beaucoup d’éléments que soulevait le rapport », pointe la rapporteure de la mission d’information, Lauriane Josende (LR). « Je crois qu’il faut faire attention, la Corse doit connaître une adaptabilité et une différenciation, mais ce n’est pas une collectivité en dehors des lois de la République », relève la présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman qui était également membre de la mission d’information.
Comme lors de l’examen du rapport de la mission d’information, la présentation du projet de loi constitutionnelle au Sénat devrait profondément diviser les sénateurs. En effet, si LR, comme l’a rappelé son président Bruno Retailleau, reste opposé au texte en l’état, les autres membres du socle commun et de la majorité sénatoriale se montrent plutôt favorables à la version présentée en Conseil des ministres. « Il y a un risque important de division de la majorité sénatoriale et du socle commun sur ce texte », confirme Lauriane Josende.
« On va sûrement se heurter à une opposition du groupe LR », anticipe Paul Toussaint Parigi qui rappelle néanmoins que le groupe centriste soutient le texte actuel. Au-delà de la majorité sénatoriale, plusieurs groupes ont subi des turbulences et des divisions sur le sujet corse. Ainsi, le sénateur socialiste de la mission d’information sur l’avenir de la Corse, Éric Kerrouche, avait soutenu le rejet du rapport. Depuis le parti d’Olivier Faure a fait adopter, lors du dernier congrès, une motion écartant la solution actuellement proposée par le gouvernement. D’autres groupes comme Les Indépendants ou le groupe communiste s’étaient également divisés sur la question au moment de l’adoption du rapport de la mission d’information. Le poison de la division pourrait même se propager dans les rangs de la droite. « Je ne sais pas si le groupe LR fera bloc contre le texte, il y a un certain nombre de sénateurs LR qui ne sont pas hostiles au projet de révision constitutionnelle », anticipe Paul Toussaint Parigi.
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