La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Avenir professionnel : les sénateurs adoptent le projet de loi
Par Alice Bardo / sujet vidéo : Flora Sauvage
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« Ce texte est un rendez-vous manqué en termes de formation professionnelle » regrette Yves Daudigny, sénateur socialiste de l’Aisne. Bien qu’adopté ce lundi au Palais du Luxembourg, à 205 voix pour et 113 contre, le projet de loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel ne fait pas l’unanimité chez les sénateurs.
Ceux-ci s’étaient particulièrement offusqués de la volonté du gouvernement de donner plus de responsabilité aux branches professionnelles dans la gestion des centres de formation d’apprentis (CFA), au détriment des régions. En dignes représentants des territoires, les sénateurs ont « rectifié le tir » jeudi dernier, en redonnant certaines compétences aux régions, qui devront composer avec les branches professionnelles.
« Perte flagrante des droits à la formation »
« Le compte personnel de formation (CPA) en euros a été maintenu malgré la démonstration de la perte flagrante des droits à la formation pour les salariés », regrette toutefois Eliane Assassi, qui préfère que le CPA reste décompté en heures plutôt que monétisé en euros.
La chef de file des sénateurs communistes est la plus critique à l’égard du gouvernement, mais également vis-à-vis de la commission des affaires sociales du Sénat, chargée d’examiner le texte de l’exécutif avant l’ouverture des débats. Elle considère que celle-ci « a dépassé les ambitions du gouvernement » en prenant de « nouvelles mesures régressives », en plus d’avoir validé celles de l’exécutif.
En outre, le passage d'un financement par cotisation de l’assurance-chômage à un financement par l’impôt scandalise Éliane Assassi. Elle y voit là une manière pour le gouvernement de « contrôler l’assurance-chômage ». Quant à l’ouverture de l‘allocation chômage aux démissionnaires et travailleurs indépendants, elle est « encadrée dans des conditions tellement strictes qu’on estime qu’elle ne bénéficiera qu’à 50 000 personnes maximum, ce qui est bien loin des promesses d’universalité du gouvernement ».
La sénatrice semble toutefois satisfaite que le Sénat ait rétabli en commission les incitations faites aux employeurs privés d’embaucher des travailleurs dont le handicap est particulièrement lourd, en situation de chômage de longue durée ou qui viennent d’un Esat.
Autre modification au texte apporté par le Sénat : la possibilité, pour un chômeur, pendant ses deux premières années de chômage, de refuser une offre raisonnable d’emploi, si le salaire est manifestement inférieur au salaire pratiqué dans sa région. Mais, en cas de fraude, la sanction sera plus sévère que jusqu’alors : 10 000 euros, contre 3000 actuellement.
Ce matin, les débats s’orientaient, entre autres, autour de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Pour les communistes, les dispositions du projet de loi à ce propos sont « louables », mais ce ne sont que des « mesures de rattrapage qui ne permettent pas d’assurer l’égalité entre femmes et les hommes au quotidien ».
« Il est ici le pognon de dingue ! »
La sénatrice de Seine-Saint-Denis a notamment déposé un amendement visant à réduire les écarts de salaires entre les deux sexes, qui atteint 23,7% selon l’Insee. « Il n’est pas acceptable que certains PDG du CAC 40 touchent, en moyenne, en une journée, le salaire annuel d’un salarié payé au SMIC ! Leur rémunération moyenne représente environ 308 années de SMIC » s’insurge-t-elle avant d’ajouter, reprenant la désormais fameuse expression du Président : « Il est ici le pognon de dingue ! »
Eliane Assassi propose donc d’ « encadrer les écarts de rémunération au sein d’une même entreprise » en ne permettant pas que le plus haut salaire soit plus de vingt fois supérieur au plus bas. Une mesure qui se substituerait à l’actuel plafond de rémunération (450 000 euros), mis en place dans les entreprises publiques. Ses arguments ne suffiront pas à convaincre sur les bancs.
Fabien Gay et Laurence Rossignol prendront dès lors le relai des amendements, sans s’éloigner de la thématique de l’égalité professionnelle. Le sénateur communiste de Seine-Saint-Denis réclame une sanction « systématique » et « sévère » pour les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations en la matière. Elles seraient 60% selon lui, dont seulement 0,2% réellement sanctionnées. Il propose qu’elles soient privées d’exonérations des cotisations sociales. Trop « excessif » pour Frédérique Puissat.
« L’ampleur du phénomène de harcèlement sexuel »
La lutte contre le harcèlement sexuel fut plus fédérateur : « On a tous été surpris et pris acte de l’ampleur du phénomène de harcèlement sexuel et sexiste. Les femmes qui ont déjà une discrimination de salaire, si en plus elles ont la boule au ventre en allant au boulot, comment voulez-vous qu’elles envisagent leur avenir professionnel ? » s’interroge la ministre du Travail pour légitimer la création de « référents » au sein de chaque entreprise de plus de 250 salariés.
Autre « levier essentiel » de l’égalité professionnelle : le congé paternel. Xavier Iacovelli veut le rendre obligatoire. « Prématuré » de l’avis de Muriel Pénicaud, qui rappelle que le gouvernement à engager une réflexion à cet égard.
« Vivre une expérience dans le privé »
Enfin, la « perméabilité » entre fonction publique et secteur privé a fait l’objet de vifs débats. Le gouvernement souhaite « favoriser » le retour des fonctionnaires partis « vivre une expérience » dans le privé. Ainsi, ils retrouveront leur carrière telle qu’ils auraient pu l’avoir s’ils étaient restés dans la fonction publique et « l’expérience le privé sera prise en considération pour l’accès au grade », c’est-à-dire pour l’évolution de carrière du fonctionnaire.
Olivier Dusspot, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Action et des comptes publics, propose également de « diversifier les modes de recrutement des cadres de la fonction publique » en permettant que des contractuels puissent être recrutés pour occuper les « emplois fonctionnels ». La sénatrice socialiste Michèle Meunier craint un « démantèlement insidieux » du statut. Nadine Grelet-Certenais, sénatrice de la Sarthe, craint, elle, la « disparition progressive de la fonction publique territoriale ». Finalement, le ministre n’aura pas gain de cause, contrairement aux sénateurs de la majorité, dont l‘amendement pour pérenniser les CDI intérimaires a été adopté.
« Pari sur l’avenir » pour certains, « projet de rupture, qui marque une régression en matière de droits des salariés » pour d’autres, le projet de loi divise sur les bancs de l’hémicycle. Mais l’opposition de la gauche n’a pas suffit à empêcher l’adoption du texte. La commission mixte paritaire va désormais tenter de trouver une version commune aux deux chambres, avant une deuxième lecture à l’Assemblée, puis au Sénat.