Banlieues : « Les gens réclament la vérité et la justice »

Banlieues : « Les gens réclament la vérité et la justice »

Depuis plusieurs jours, des affrontements ont lieu entre forces de l’ordre et habitants de plusieurs quartiers des Hauts-de-Seine et de Seine-Saint-Denis. Des tirs de mortiers aux feux de poubelles, une dizaine de villes au moins ont connu des épisodes de violence depuis le 18 avril.
Public Sénat

Par Samia Dechir

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Ce jour-là, aux alentours de 22h, un jeune homme à moto percute la portière d’une voiture de police banalisée à Villeneuve-la-Garenne. Sa jambe est en piteux état, et la vidéo de l’homme à terre entouré de l’équipe policière fait le tour des réseaux sociaux. Des témoins dénoncent une bavure. L’IGPN (inspection générale de la police nationale) a été saisie pour déterminer s’il s’agit d’un accident, ou si la portière a été volontairement ouverte.

Le soir-même, des affrontements ont éclaté dans la ville, suivis de plusieurs autres les jours suivants dans différents quartiers de la banlieue parisienne. Des tirs de mortiers aux feux de poubelles, ces violences ont touché les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis. Une dizaine de personnes a été interpellée.

L’étincelle

« Dans ma ville, à Suresnes, on a eu des évènements dans la nuit de dimanche à lundi. Mais c’est circonscrit à une cité, ça ne s’est pas étalé » raconte Xavier Iacovelli. Pour le sénateur (LREM) des Hauts-de-Seine, l’incident de Villeneuve-la-Garenne a été « l’étincelle qui a mis le feu aux poudres, mais pas la cause principale. Quand on vit dans un HLM sans balcon et en surpopulation, après un mois de confinement, les gens n’en peuvent plus ».

Une analyse partagée par Catherine Arenou, la maire de Chanteloup-les-Vignes. Dans plusieurs quartiers de sa ville, « la situation est tendue certains soirs. Mais je ne pense pas que ce soit lié aux évènements de Villeneuve-la-Garenne » juge celle qui est aussi vice-présidente de l’association Ville et banlieue. Depuis le début du confinement, elle redoutait que la situation devienne explosive.

« Ce n’est pas très grave si à Versailles la place du château est vide, mais dans nos territoires c’est beaucoup plus grave que la présence humaine n’existe plus à hauteur de ce qu’elle était avant. Certains jeunes ont du mal à vivre le confinement. Il faut imaginer, quand vous êtes à 5 dans 30m2, ce n’est pas pareil » s’inquiète Catherine Arenou.

L’enfermement dans des logements suroccupés, et parfois la faim, expliquent pour de nombreux élus les affrontements des derniers jours. « C’est une poudrière » décrit Clémentine Autain, députée (LFI) de Seine-Saint-Denis, qui appelle l’Etat à débloquer d’urgence des fonds pour les associations. « Aujourd’hui, qui fait l’épicerie sociale, qui apporte des repas aux plus pauvres ? Les associations. Et elles le font avec des moyens de bric et de broc, avec des dons. C’est un minimum que l’Etat intervienne là-dessus » réclame la députée.

Les associations en première ligne

Chaque jour, à Clichy-sous-Bois, la cinquantaine de bénévoles de l’association AC Le Feu assure une distribution alimentaire. « Il y a ceux qui ne peuvent plus travailler, ceux dont les enfants ne mangent plus à la cantine, la demande explose » raconte Mohamed Mechmache, porte-parole d’AC Le Feu. Il en appelle à l’aide de la grande distribution et de la banque alimentaire, car pour l’instant, l’association se débrouille uniquement avec des dons.

L’aide alimentaire n’est pas la vocation première de ce collectif né au lendemain des émeutes de 2005 pour porter la parole des quartiers. Sur les affrontements des derniers jours, Mohamed Mechmache n’a pas la même lecture que les élus. « Le confinement vient rajouter à cette tension, mais c’est parti de ce qui s’est passé à Villeneuve-la-Garenne. Les gens réclament la justice et la vérité » estime le porte-parole du collectif.

« C’est lié à Villeneuve, c’est évident. Toutes ces images qui tournent, ce n’est pas bon » juge également Lakdar Kherfi de l’association Médiation nomade. Inquiet, l’éducateur veut aussi éviter toute stigmatisation des jeunes des quartiers, dont il se dit surpris par la discipline. Une grande majorité « joue le jeu des gestes barrières. Ils mettent des masques. Ils ne se serrent plus la main » assure-t-il.

Un calme qui l’étonne d’autant plus que ces habitants n’ont plus accès à aucune activité sportive ou associative. « Tout s’est arrêté. Il y a une absence généralisée des missions locales, des éducateurs, tous ces métiers qui font du lien social comme nous. On est confinés. C’est compliqué pour les jeunes » témoigne Lakdar Kherfi.

Le jour d’après

A Chanteloup-les-Vignes, la maire Catherine Arenou a rappelé lundi tous les volontaires de son équipe municipale qui le peuvent, à reprendre le travail. L’élue souhaite rétablir au plus vite des actions éducatives, de loisirs, de prévention dans les quartiers. Et s’inquiète déjà pour l’après confinement : « Il y aura une grande précarité économique qu’on ne voit pas encore et qui va être spectaculaire ».

Lakdar Kherfi craint lui aussi une situation encore plus compliquée dans les quartiers après le 11 mai. « Il y aura le jour d’après pour la médecine, il faut faire la même chose pour les quartiers, il faut que ça change » explique l’éducateur.

Du changement, Mohamed Mechmache en réclame aussi « pour tous les éboueurs, les aides-soignantes, tous ces héros du quotidien qu’on n’applaudit pas assez. Il faut qu’on prenne conscience que ce sont des citoyens à part entière, et pas des citoyens à part » prévient le porte-parole d’AC Le Feu.

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