Politique
Dans une lettre adressée aux maires de France, le premier ministre répète qu’« un grand acte de décentralisation sera bientôt présenté devant le Parlement pour définir précisément la compétence de chacun ».
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Par Simon Barbarit
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Après plusieurs années de « drôle de guerre », les hostilités ont clairement démarré entre l’audiovisuel public et les médias du milliardaire, Vincent Bolloré. Son point de départ remonte à quelques jours avec la sortie d’une vidéo par le magazine conservateur « L’Incorrect » montrant les journalistes de l’audiovisuel public, Thomas Legrand et Patrick Cohen en discussion avec des cadres socialistes au sujet de la candidate LR à la mairie de Paris et ministre de la Culture, Rachida Dati. CNews avait alors consacré des heures et des heures de son antenne pour dénoncer ce que la chaîne considère être comme une preuve de la connivence des journalistes du service public avec le personnel politique de gauche.
Sorte de réponse du berger à la bergère après avoir été mis en cause l’année dernière dans une décision du Conseil d’Etat. Le juge administratif faisait suite à une saisine de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) qui estimait que la chaîne ne respectait pas ses obligations en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information (lire notre article).
Suite à cette décision l’Arcom avait indiqué qu’elle ne se contenterait plus de comptabiliser les temps de parole des invités politiques mais apprécierait « l’existence éventuelle d’un déséquilibre manifeste et durable dans l’expression des courants de pensée et d’opinion en s’appuyant sur un faisceau d’indices : la diversité des intervenants, des thématiques et des points de vue exprimés ». Il n’en fallait pas plus pour entendre les animateurs des médias Bolloré crier pendant des jours à la « « censure », « au maccarthysme », voire au « fichage politique »
Après l’affaire Legrand-Cohen, la droite et l’extrême droite ont rapidement demandé à l’Arcom de ne pas faire deux poids deux mesures entre les médias privés et publics. Le choix de l’Arcom de ne pas renouveler la fréquence TNT de la chaîne C8 a laissé des traces. Dans une tribune du JDD (propriété de Vincent Bolloré), les sénateurs LR ont appelé le gendarme de l’audiovisuel à des « sanctions claires » à l’encontre du service public « en cas de manquement avéré à la neutralité et à la déontologie ».
Le premier signataire de cette tribune, Max Brisson, rappelle que « Le groupe Canal plus a été sanctionné à de nombreuses reprises par l’Arcom. On peut quand même avoir une exigence particulière vis-à-vis de l’audiovisuel public qui est le bien de tous les Français. Le sujet des médias d’opinion n’est pas ici en cause. Et ce n’est pas parce que le service public considère que des chaînes privées sont de droite qu’il doit se positionner à gauche. Quelle est la légitimité de Delphine Ernotte pour classer idéologiquement des organes de presse ? », interroge-t-il.
Delphine Ernotte Cunci, la patronne de France Télévisions, interviewée dans le journal Le Monde, a pour la première fois répondu frontalement aux attaques du groupe privé en qualifiant CNews de « média d’opinion » et de « chaîne d’extrême droite ». La veille, dans un courrier commun avec Sibyle Veil, la patronne de Radio France, Delphine Ernotte Cunci avait dénoncé à l’Arcom « une campagne de dénigrement » de la part des médias du groupe Bolloré.
La réplique n’a pas tardé et s’est faite par l’entremise de l’égérie de CNews, l’animateur Pascal Praud, estimant dans son émission « l’heure des pros », que la présidente de France Télé mettait une « cible dans le dos » des journalistes de la chaîne.
A moins de deux ans de l’élection présidentielle, le paysage audiovisuel français se fracture en deux blocs inconciliables de manière inédite. Pour Alexis Lévrier, historien, spécialiste des médias, « il ne s’agit pas d’un affrontement entre des médias de gauche et des médias de droite. Il s’agit d’une bataille culturelle contre un modèle démocratique et un modèle illibéral. On le voit aux Etats-Unis, nous sommes dans un contexte international ou à chaque fois que l’illibéralisme progresse, les médias indépendants sont attaqués, suspectés d’être trop marqués à gauche. Les médias privés, ont, eux, changé de modèle et ne sont plus dans une stratégie d’accompagnement du pouvoir au sein desquels les rédactions pouvaient travailler. Les médias privés sont désormais dominés par l’extrême droite et fixe le tempo. Les politiques l’ont bien intériorisé. En arrivant au ministère de la culture, Rachida Dati a attaqué les méthodes d’investigation de l’audiovisuel public. Elle a menacé le journaliste Patrick Cohen tout en soutenant les médias de Vincent Bolloré. Autant de violence de la part d’une ministre de la Culture à l’encontre de l’audiovisuel public, c’est du jamais vu. Faire la politique de l’Autruche, comme l’a fait jusqu’à présent l’audiovisuel public, ça ne peut pas fonctionner, ça aboutit à des capitulations », observe-t-il.
Quant au rôle de l’Arcom ? L’historien, qui avait subi une vague de cyber harcèlement après avoir estimé que CNews devait subir le même sort que C8 au regard du non-respect de ses obligations de pluralisme, note « une baisse de son contre-pouvoir depuis la fin du mandat de Roch-Olivier Maistre ».
Le régulateur de l’audiovisuel a annoncé vouloir « approfondir ses travaux sur l’impartialité du service public », après avoir entendu mercredi les deux présidentes de l’audiovisuel public au sujet de l’affaire Legrand-Cohen. Le nouveau président de l’autorité administrative Martin Ajdari sera auditionné le 1er octobre par la commission de la culture du Sénat. « L’audiovisuel public fait simplement son travail en toute indépendance, mais est perçu comme étant de gauche. Mais c’est uniquement parce que les médias privés se sont, eux, déplacés vers l’extrême droite. C’est terrible », note la sénatrice socialiste, Sylvie Robert. L’élue, auteure d’une proposition de loi visant à renforcer l’indépendance des médias, se souvient des débats « très durs » lors de l’examen de son texte l’année dernière. « J’ai des collègues LR qui se font tout simplement le relai de la stratégie du groupe Bolloré et ça crée beaucoup de confusion. Mais comptez sur moi pour continuer à me battre ».
Des accusations balayées par Max Brisson. « L’opinion publique est en train de changer. La gauche est en train de perdre son magistère moral et la droite relève la tête d’un point de vue idéologique ». De quoi alimenter les échanges lors de la rencontre prévue le 30 septembre entre une délégation de sénateurs LR et Sibyle Veil.
L'intégrale du 18 septembre 2025