C’est une note de blog comme il en publie régulièrement. Jean-Luc Mélenchon a publié jeudi 14 août un texte exclusivement consacré au sommet organisé en Alaska par Donald Trump qui recevait le président russe Vladimir Poutine. « En Alaska, le début cruel d’un nouvel ordre du monde », s’intitule ce billet où le fondateur de la France Insoumise y déroule sa vision du conflit russo-ukrainien et des négociations de paix.
Charge contre l’OTAN et l’UE
Sans surprise, fidèle à ses positions, l’ancien député des Bouches-du-Rhône s’en prend à l’OTAN et à l’Union européenne accusés d’avoir éloigné les Européens de la Russie. Il considère le sommet bilatéral entre Trump et Poutine comme « une humiliation de plus pour les vassaux européens et les commensaux de l’OTAN qui tiendront la bougie chez eux pendant que les dominants se passent d’eux pour décider de l’avenir de leur continent. Le contresens de la politique suivie par les européens à propos de la Russie depuis trente ans s’étale sous leurs yeux. »
« Jean-Luc Mélenchon voit la guerre en Ukraine sous un prisme guerre froide et anti-impérialisme », explique Ulrich Bounat, analyste géopolitique et chercheur associé chez Eurocreative. Cédric Perrin (Les Républicains), président de la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat s’agace : « Encore une nouvelle charge de Jean-Luc Mélenchon contre l’OTAN, qui recycle son lot de raccourcis acrimonieux et contestables. »
« Contre-vérité historique »
Dans son billet, l’Insoumis écrit également que : « Les dirigeants de l’Union européenne ont accepté le scénario conclu en 2008 à Budapest en faveur de l’annexion par l’OTAN de l’Ukraine et de la Géorgie, véritable déclaration de guerre à la Russie. » Il fait ici référence au sommet de l’OTAN organisé en 2008 et estime que c’est une des raisons qui a conduit à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. « Je rappelle quand même que ce sont les pays qui font candidature pour être membre de l’OTAN. A ce moment-là, il avait été question d’une entrée potentielle de ces pays dans l’OTAN s’ils en faisaient la demande. « Rappelons qu’à l’époque, la France et l’Allemagne s’y étaient opposées », avance Ulrich Bounat qui estime que cette analyse est une « contre-vérité historique ».
L’analyste en géopolitique explique que la menace que constituerait une extension de l’OTAN est une « reconstruction a posteriori de la propagande russe ». Il rappelle que les débats après 2008 en Russie ne portaient pas sur la menace que constitue l’OTAN. « Il se fait une fois de plus le porte-voix du Kremlin », fustige Cédric Perrin.
Mais la prise de position de Jean-Luc Mélenchon fait écho aux réflexions d’un autre élu de droite : « Le secrétaire d’Etat américain James Baker avait promis que l’OTAN ne viendrait jamais aux frontières de la Russie : la Roumanie, la Pologne, etc. Est-ce que nous même accepterions que de l’autre côté de la frontière un ennemi s’installe ? » Le défendant de reprendre le récit de la Russie, Manuel Bompard, coordinateur de La France Insoumise assurait ce lundi 18 août sur franceinfo que tenir ces propos ne justifie « en aucun cas la guerre impérialiste de Vladimir Poutine contre l’Ukraine. »
Démission de Volodymyr Zelensky ?
Au-delà des critiques formulées contre l’OTAN et l’UE, Jean-Luc Mélenchon écrit également que « tout concourt à l’effondrement : avoir interdit les syndicats et les partis d’opposition, avoir maintenu Zelenski (sic) en place alors que son mandat présidentiel est fini, avoir tenté de sauver les corrompus qui pillent l’effort de guerre, les désertions massives, tout cela a brisé le lien unissant le système Zelenski (sic) à son peuple en guerre. » L’ancien sénateur ajoute : « Le départ de Zelenski (sic) est la condition de l’accord. Tout simplement parce que son mandat est fini. »
« C’est radio Poutine », dénonce Rachid Temal, sénateur socialiste du Val-d’Oise et vice-président de la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat. Sa collègue centriste Nadia Sollogoub, présidente du groupe d’amitié France-Ukraine au Sénat n’en revient pas : « Comment quelqu’un d’aussi important que M. Mélenchon peut dire des stupidités pareilles au sujet de M. Zelensky ? Comment organiser des élections dans un pays en guerre quand le territoire est occupé et que des hommes sont engagés au front ? Et comment on fait voter les 6 millions d’Ukrainiens réfugiés à l’étranger ? C’est matériellement impossible. » D’autant que Volodymyr Zelensky « a été élu avec une large majorité et encore le soutien d’une large majorité dans les sondages », insiste le spécialiste de l’Europe centrale et de l’est Ulrich Bounat.
Manuel Bompard, coordinateur de La France Insoumise a également explicité les propos du fondateur du mouvement, arguant qu’il avait uniquement posé des « éléments d’analyse » : « Vu la situation de vulnérabilité dans laquelle est l’Ukraine, comme on sait que l’une des conditions à la paix de la part de Vladimir Poutine c’est le départ du président ukrainien, c’est peut-être malheureusement ce qui va se produire ». Le député des Bouches-du-Rhône ajoute que « ce n’est pas parce que vous exposez éléments d’analyse sur ce qu’il peut se passer que c’est ce que vous souhaitez. »
Stabilité des frontières dans l’ancien bloc soviétique
La dernière partie du billet de Jean-Luc Mélenchon est consacrée à la question des frontières de l’Ukraine, discutées entre Donald Trump et Vladimir Poutine vendredi dernier. Le président russe demande à obtenir tout le Donbass bien que l’Ukraine en contrôle encore 20 %, que les lignes de fronts soient gelées à Zaporijia et Kherson et que l’Ukraine reconnaisse l’annexion de la Crimée en 2014. « Serons-nous contemporains d’un nouveau Yalta, cet accord de partage du monde entre les USA et l’URSS ? », se demande le leader insoumis. « Il y avait aussi Churchill (ancien Premier ministre britannique, ndlr). Ce n’était pas un duo mais un trio », glisse Ulrich Bounat.
Le constat du fondateur de LFI est de dire que les nouvelles frontières se discutent sans les principaux concernés. Il rappelle avoir proposé une conférence des frontières sous l’égide de l’OSCE en 2016 : « On me fit le procès stupide de m’accuser de vouloir les changer. J’argumentais qu’elles le feraient sans nous. Et que mieux valait prendre les devants en organisant la discussion que de subir les guerres que ce genre de situation déclenche », écrit Jean-Luc Mélenchon.
Sur ce sujet, le leader insoumis juge que « les frontières de l’ancien bloc soviétique n’ont jamais été stabilisées ». Une instabilité que reconnaît la sénatrice centriste Nadia Sollogoub : « Cette situation a pété à la figure de tout le monde, on a été irresponsable ». Un point de vue que ne partage pas Rachid Temal : « En 1991, il y a eu un accord pour que la Russie récupère ses ogives nucléaires en Ukraine et s’engage en échange à ne pas modifier les frontières. »
Là où Manuel Bompard défend une « position équilibrée sérieuse et raisonnable » de Jean-Luc Mélenchon, Cédric Perrin et Rachid Temal y voient une mauvaise analyse. « Il méconnaît une réalité évidente : nous n’avons pas le choix de nos adversaires. C’est la Russie qui a choisi d’attaquer son voisin et qui attaque tous les jours les pays européens dans le domaine du cyberespace et de la désinformation », martèle Cédric Perrin. Son vice-président socialiste Rachid Temal estime lui aussi que la Russie ne fait que commencer : « Il faut arrêter de croire que c’est un problème uniquement ukrainien et que quand l’Ukraine sera digérée, ça s’arrêtera là. » Pas de doute que Jean-Luc Mélenchon s’exprimera à nouveau sur le sujet vendredi à 17h30 lors des Amfis, les journées d’été de La France Insoumise.