Biodiversité : le Parlement européen adopte de peu le texte sur la « restauration de la nature » au prix d’un compromis

Les eurodéputés ont adopté ce règlement européen dont l’ambition est de restaurer les espaces naturels dégradés afin de préserver les écosystèmes. « Le Parlement européen a écrit l’histoire », s’est réjoui l’eurodéputé Renaissance Stéphane Séjourné, dont le groupe a œuvré au compromis. « Le prix à payer, c’est un niveau d’ambition qui est extrêmement peu élevé », pointe du doigt l’écologiste David Cormand. La droite et l’extrême droite ont voté ensemble contre le texte.
François Vignal

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C’est par une standing ovation que le Parlement européen, à Strasbourg, a réagi à l’adoption du règlement européen sur la « restauration de la nature ». Toute la gauche de l’hémicycle, et un peu plus, s’est levée à l’annonce du résultat de ce vote serré, certains se prenant dans les bras.

Les eurodéputés ont adopté ce texte dont le but est de préserver la biodiversité par 336 voix contre 300 et 13 abstentions. Les écologistes, la gauche et une bonne partie du groupe des libéraux, Renew, où siègent les macronistes, ont voté pour. Ils ont fait face à l’opposition de la droite, rassemblée au sein du PPE (Parti populaire européen), où siègent les eurodéputés LR de François Xavier Bellamy. Même opposition aussi du côté de l’extrême droite. Ils dénonçaient les conséquences du texte pour l’agriculture, avec des objectifs de 10 % de jachères, en matière de souveraineté alimentaire ou pour la production d’énergie. Un peu plus tôt dans la matinée, c’est une motion de rejet du texte, déposée par le PPE, qui a été rejetée de peu, par 324 voix contre 312 et 12 abstentions.

« Textos et appels envoyés jusqu’à une heure avant le vote »

Cette loi européenne fait partie du paquet du « green deal », cet ensemble de textes écologiques, qui portent sur la fin des voitures thermiques pour 2035, les renouvelables ou les infrastructures. Il s’agit ici d’enrayer le déclin de la biodiversité et de réparer les écosystèmes abîmés. Conformément à l’accord de la Cop 15 de Montréal, le texte vise la restauration de 20 % des terres dégradées et des mers de l’Union européenne d’ici à 2030, et de tous les écosystèmes dégradés d’ici à 2050. Concrètement, cela passe par la remise en eau des tourbières, la replantation des haies dans les champs, lieu de vie pour les insectes, ou en assurant 25.000 km de cours d’eau libre d’ici à 2030.

Ce n’était pas gagné, tant hier l’incertitude était de mise. Personne ne s’est risqué à pronostiquer un résultat. Comme nous l’expliquions hier, c’est le groupe Renew, présidé par le français Stéphane Séjourné, un proche d’Emmanuel Macron, qui a œuvré en coulisse pour trouver un compromis susceptible de faire pencher le vote d’une partie de son groupe – environ un tiers souhaitait s’opposer. Ils étaient encore 19 à voter contre au moment du vote – et même de quelques membres de la droite du PPE. « Des textos et appels ont été envoyés jusqu’à une heure avant le vote », raconte-t-on en interne.

« C’est une extraordinaire victoire, sur la base de notre texte » se réjouit le groupe Renew

A l’issue du vote, les eurodéputés Renaissance n’ont pas caché leur joie. « Le Parlement européen a écrit l’histoire », a lancé Stéphane Sejourné, « fier que Renew ait permis de sortir de l’impasse ». « Nous sommes au rendez-vous de notre avenir ! L’opération de l’extrême droite et de Manfred Weber (président du PPE) a échoué. Un vraiment moment de bonheur » s’est enjoué l’eurodéputé Renaissance Pascal Canfin, président de la commission environnement du Parlement.

« C’est une extraordinaire victoire, sur la base de notre texte. C’est vraiment un moment important », nous affirme Antoine Guéry, porte-parole de Stéphane Séjourné. L’adoption du texte a été en effet arrachée au prix d’un compromis. Pour trouver la martingale, Renew s’est rapproché, inspiré même du texte qui avait été discuté au sein du Conseil européen, qui rassemble les chefs d’Etat. Plusieurs pays dirigés par la droite, dont les eurodéputés sont membres du PPE, avaient alors accepté ce règlement sur la rénovation de la nature. « On a proposé une forme de texte du Conseil, pour permettre ce deal », résume Antoine Guéry. Ce compromis prévoit notamment « une approche qui permet aux Etats membres plus de flexibilité pour l’application. Les contraintes existent quand même, mais on est passé d’une obligation de résultats à une obligation de moyens », explique le porte-parole du président du groupe Renew. Autrement dit, il faut agir, « mais ça permet une plus grande flexibilité sur le timing ».

« Cette espèce de backlash écologique marque un coup d’arrêt, mais le prix à payer, c’est un niveau d’ambition qui est extrêmement peu élevé », regrette l’eurodéputé EELV David Cormand

Alors sauvée la biodiversité ? Du côté des écologistes, tout le monde ne saute pas de joie. Pour certains, c’est une victoire au goût amer. « On a évité le pire, de très peu. C’est une victoire, car on n’a pas été battu. Mais c’est un texte qui est très affaibli par rapport à ce qu’il faudrait faire. Et il l’a encore été en séance, par l’adoption d’amendements de la droite et de l’extrême droite », souligne l’eurodéputée EELV David Cormand. Il a donc « du mal à crier victoire, car on a réussi à ce qu’une coalition brune, une alliance entre la droite et l’extrême droite, ne gagne pas ». Pour l’avenir, celui qui est en seconde place sur la liste EELV pour les européennes, pense qu’il y a « beaucoup à craindre » du « choix du PPE d’être aux côtés de l’extrême droite sur des positions anti-nature, anti-écologique ». Il ajoute : « Je suis satisfait dans la mesure où cette espèce de backlash écologique marque un coup d’arrêt, mais le prix à payer, c’est un niveau d’ambition qui est extrêmement peu élevé ».

Exemple, avec « tout le passage sur les aspects biodiversité dans les champs, qui a été banané, battu. Il n’y a que l’aspect sur les abeilles qui a été préservé », souligne David Cormand. « Il fallait déjà sauver la vie du texte. Mais on est sur une base qui n’est pas en adéquation avec les objectifs affichés. Ce qu’il en reste ne permettra pas de sauver la biodiversité », insiste David Cormand, selon qui le sujet ne prête pas aux négociations habituelles :

 Le problème, c’est que la nature ne négocie pas. Soit on a un système qui lui permet de survivre, soit non. L’écologie, c’est très basique. On ne peut pas négocier avec la nature. Soit elle vie, soit elle meurt. Est-ce que cette loi permet qu’elle vive ? Non. Mais est-ce mieux que si elle avait été complètement défoncée ? Oui. 

David Cormand, eurodéputé EELV.

« C’est aussi ça l’esprit du compromis européen. Si personne n’est content, c’est que c’est un bon compromis »

Du côté de Renaissance, on préfère voir avant tout le résultat : le texte est sauvé. « Le risque aujourd’hui, c’était qu’il n’y ait aucune obligation. On a quand même une victoire très importante », soutient Antoine Guéry. Le porte-parole de Stéphane Séjourné rappelle que « c’est aussi ça l’esprit du compromis européen. Si personne n’est content, c’est que c’est un bon compromis. Il se trouve que beaucoup de gens sont contents. C’est vraiment un très bon compromis ».

Après cette adoption, le texte n’est pas pour autant arrivé au terme de son parcours législatif, qui est pour le moins tortueux au sein des institutions européennes. La suite, c’est le trilogue, où le Conseil, le Parlement et la Commission européenne vont se retrouver à négocier à trois. Il pourrait arriver à l’automne. Mais pour compliquer les choses, six élections nationales approchent, en Espagne, aux Pays-Bas, en Pologne ou en Slovaquie. Donc l’équilibre au sein du Conseil, qui rassemble les chefs d’Etat, pourrait changer… Reste que « l’hystérisation politique n’est pas au niveau des Etats membres, mais du Parlement. Et si le Parlement montre qu’il peut dépasser les clivages partisans, les Etats peuvent être tentés de finaliser le trilogue », pense Antoine Guéry. La suite au prochain épisode.

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