La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Bioéthique : ce que le Sénat a modifié dans le projet de loi
Par Public Sénat
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Des débats riches, profonds, scientifiques, éthiques, parfois quasi philosophiques. Le Sénat a terminé mercredi 29 janvier, en début de soirée, l’examen du projet de loi de bioéthique. Dix jours de débat d’une rare qualité, avec des avis parfois tranchés, souvent opposés, parfois évolutifs, les sénateurs confiant par moment leur humilité face à la complexité des sujets. Les sénateurs ont adopté mardi 4 février l'ensemble du texte, lors d'un vote solennel pour le moins serré (voir notre article).
Si les projecteurs se sont surtout concentrés sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes, le texte comporte aussi d’autres sujets non moins importants dans son volet recherche : cellules-souches, tests génétiques pour la détection de certaines maladies.
Sur toutes ces questions, les clivages politiques habituels ont par moment sauté. Les questions qui animent les sénateurs ont pu traverser les groupes politiques de gauche, de droite, du centre ou de la majorité présidentielle. On l’a vu sur la PMA. Autre particularité : le texte qui ressort de la séance est assez éloigné de celui adopté par la commission spéciale. Si Bruno Retailleau, fermement opposé à la PMA pour toutes n’a pas eu gain de cause sur le sujet, son groupe a réussi à plusieurs reprises à revenir sur les modifications adoptées en commission, notamment sur la partie recherche. Forme de revanche politique après avoir été mis en minorité en séance ? Ou plus simplement équilibres politiques qui, dans l’hémicycle, ont été très différents de ceux qui ont prévalu au sein de la commission ? Toujours est-il que le texte qui ressort ne satisfera totalement personne, comme il ne pourra être globalement rejeté. Ce qui compliquera le vote solennel, prévu mardi 4 février, à partir de 14h30. Les sénateurs socialistes sont ainsi réservés.
« Nous sommes nombreux à nous interroger sur l’équilibre du texte »
Une forme de verre à moitié plein, ou à moitié vide, c’est selon, à l’image du sentiment exprimé par Alain Milon, président LR de la commission spéciale. A lui seul, ce médecin de profession incarne les chimères politiques que peut engendrer un tel texte. Il est personnellement en faveur de la PMA pour toutes, et même de la GPA, mais il appartient à un groupe LR, dont la majorité (60%) des sénateurs s’est opposée, lors du vote, à la PMA pour toutes les femmes.
« Je sais que nous sommes nombreux à nous interroger sur l’équilibre du texte, tel que modifié par le Sénat. Chacun avait probablement son texte idéal. Aucun ne le retrouvera sans doute dans le texte adopté, et c’est peut-être normal » a résumé Alain Milon au terme des débats. Si « à titre personnel », le texte adopté par la commission « correspondait bien à (sa) vision de la bioéthique », le volet recherche a été « à (s)on grand regret, fortement revu » (voir la première vidéo, où Alain Milon résume le texte du Sénat).
Le sénateur du Vaucluse incite malgré tout ses collègues à adopter l’ensemble du texte, pour que la Haute assemblée ne rende pas une copie blanche et que les modifications apportées par le Sénat soient transmises à l’Assemblée. D’autant que le gouvernement n’a pas décrété l’urgence sur ce texte. Il y aura donc une seconde lecture dans les deux chambres, sachant que les députés auront le dernier mot. Le temps d’approfondir encore les débats et d’apporter d’éventuels ajustements aux nombreuses modifications des sénateurs. Voici les principales :
Le Sénat donne son feu vert à la PMA pour toutes mais refuse son remboursement
Il y a quelques années, les choses ne se seraient certainement pas passées de la même manière. Mais en 2020, la question de l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes seules fait beaucoup moins débat. L’ambiance est plus apaisée que lors du mariage pour tous, en 2013. Cela n’a pas empêché la Manif pour tous de manifester plusieurs soirs de suite devant le Sénat, et de maintenir la pression sur les sénateurs.
Mais en séance, une majorité plurielle s’est dessinée pour adopter la PMA, après avoir rejeté les amendements de suppression. Avec un « mais ». Les sénateurs acceptent le remboursement par la Sécu pour les seuls couples infertiles, excluant de fait les couples de lesbiennes. Bruno Retailleau (voir ci-dessous) et Philippe Bas ont mis tout leur talent oratoire pour mettre en garde contre le principe « d’enfant sans père » ou la crainte d’une légalisation, à terme, de la GPA. Les défenseures et défenseuses de la PMA ont répondu « égalité » de droit et l’importance de l’amour apporté à l’enfant désiré.
Politiquement, à droite, on s’est divisé. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, s’était dit « assez ouvert ». Et le vote a permis de voir que la part des opposants au sein du groupe LR, si elle reste majoritaire (60%), a diminué. Au passage, on se souvient qu’en 2011, le Sénat avait déjà voté en faveur de la PMA pour toutes… Ironie de l’histoire parlementaire.
Faut-il voir dans ce vote une victoire politique pour Emmanuel Macron, en des temps difficiles pour l’exécutif ? Pas automatiquement. « Il y a moins d’opposition. Donc la réforme existe moins médiatiquement. C’est dommage » confie ainsi un proche d’Emmanuel Macron, qui résume son analyse : « Ce n’est pas un élément différenciant qui fera dire aux gens "Macron, c’est très bien". Mais il fallait le faire. C’est une promesse de campagne ».
Le Sénat dit « non » à la PMA post-mortem mais de peu
Peut-on permettre à une femme de continuer un projet de PMA déjà engagé, après le décès de son conjoint ? Sur cette question qui touche des sujets sensibles – la mort, le deuil, la parentalité, l’intérêt de l’enfant, la liberté de choix de la femme, la famille – les sénateurs ont dit « non ». A cinq voix près.
Les sénateurs rejettent l’autoconservation des gamètes... à une voix près
Un vote peut parfois être très serré. Après avoir d’abord refusé de supprimer l’article sur l’autoconservation des gamètes, les sénateurs ont pourtant rejeté l’ensemble de cet article du projet de loi de bioéthique. Il y a eu égalité, ce qui équivaut à un rejet. Le gouvernement a appelé les sénateurs LREM à s’abstenir en raison des modifications apportées.
Enfants nés d’une PMA avec don de gamètes : le Sénat refuse la levée systématique de l’anonymat des donneurs
Le Sénat a adopté une version modifiée de l’article 3 du projet de loi de bioéthique, relatif à l’accès aux origines d’un enfant issu d’un don de gamètes. Selon le texte adopté, cet enfant pourrait avoir accès, dès sa majorité, à l’identité du donneur, à condition que ce dernier donne son accord au moment de la demande.
Opposition au double don de gamètes sur la PMA
Le Sénat a voté contre le « double don » de gamètes, une mesure défendue par le gouvernement dans le texte et qui autoriserait le recours à la fois à un don d'ovocyte et à un don de sperme dans le cadre d'une PMA. Une manière de répondre aux situations de double infertilité dans les couples.
Filiation après une PMA : le Sénat choisit de ne « pas bousculer le droit »
Pour établir la filiation au sein d’un couple de deux femmes, les sénateurs ont choisi de faire intervenir l’adoption pour sécuriser juridiquement l’acte. Les députés avaient voté, eux, une reconnaissance conjointe devant un notaire.
GPA à l’étranger : le Sénat interdit la transcription dans l’état civil français
C’est un sujet auquel tient Bruno Retailleau. Pour que l’interdiction de la GPA soit pleinement appliquée, la droite a introduit un nouvel article. Il interdit la transcription complète dans l’état civil français d’un acte de naissance étranger d’un enfant français né d’une GPA, qui mentionnerait un parent d’intention. Une réponse aux décisions de justice récentes, notamment de la Cour de cassation, qui ont entériné une forme de reconnaissance automatique d’enfants nés par GPA à l’étranger.
Des décisions que n’a pas appréciées non plus la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Elle est favorable à un retour à la jurisprudence antérieure : une transcription possible pour le père biologique, et un renvoi vers une procédure d’adoption pour le parent d’intention.
Le Sénat s'oppose aux tests ADN généalogiques « récréatifs »
La commission l’a adopté, mais pas le Sénat lors de la séance publique. La commission spéciale souhaitait en effet autoriser, en l’encadrant, la pratique des tests génétiques à visée généalogique, interdits en France mais accessibles sur Internet via des entreprises étrangères. Dans l’hémicycle, le Sénat a finalement rejeté cet encadrement et maintenu l’interdiction sauf pour motifs médicaux ou judiciaires.
Les sénateurs opposés à la création d’embryons chimériques
Au premier abord, le terme fait peur. Embryon chimérique. Soit un mélange de cellules humaines et de cellules animales pour la recherche. Les sénateurs LR n’en ont pas voulu. Pour ce faire, ils ont voté, une fois n’est pas coutume, pour un amendement du groupe communiste supprimant l’article qui offre la possibilité d’effectuer des recherches nécessitant l’introduction de cellules-souches embryonnaires humaines (CSEH) dans un embryon animal.
En commission, les sénateurs avaient posé des garde-fous et n’avaient autorisé que l’implantation de cellules-souches, dites pluripotentes induites, dans des embryons animaux. Des cellules qui peuvent former n’importe quelle partie d’un organe. « Il s’agit d’expérimenter la régénération d’organes ciblés » a expliqué le centriste Olivier Henno, l’un des co-rapporteur. « Nous ne sommes pas Dieu » a répondu le sénateur LR Roger Karoutchi…
Encadrement des recherches sur les cellules-souches
Les sénateurs ont débattu du régime qui encadre les recherches sur les cellules-souches, dites pluripotentes induites (IPS). Il s’agit de cellules qui ne proviennent pas d'un embryon et qui sont capables de se multiplier indéfiniment et de se différencier. Mais certains craignent que ces recherches n’entraînent la création de gamètes artificiels et contournent l’interdit de la création d’un embryon pour la recherche.
Recherche sur un embryon in vitro : allongement de 14 à 21 jours du délai limite
En séance, les sénateurs ont confirmé une modification apportée en commission. Il s’agit de l’extension, à titre dérogatoire, du délai limite de développement in vitro des embryons surnuméraires à 21 jours pour la mise en œuvre de recherche.
PMA : le Sénat s'oppose à la recherche d’anomalies chromosomiques, comme la trisomie 21, dans le diagnostic préimplantatoire
Ici, groupe LR et exécutif ont été sur la même ligne pour s’opposer… au texte de la commission spéciale du Sénat. En séance, la Haute assemblée, avec l’appui du gouvernement, a supprimé l’article 19 ter du projet de loi bioéthique qui autorisait, à titre expérimental, la recherche d’anomalies chromosomiques, comme la trisomie 21, dans le cadre d’une PMA. Bruno Retailleau y a vu « une démarche d’eugénisme ».
Réintroduction du principe des « bébés médicament »
Le Sénat a en revanche réintroduit la technique du double diagnostic préimplantatoire, connue aussi sous le nom de « bébé médicament » ou « bébé du double espoir ». Ce procédé, aujourd'hui autorisé mais très rarement mis en oeuvre, avait été supprimé par l'Assemblée nationale.
Suppression de l’introduction d’une clause de conscience spécifique pour l’interruption médicale de grossesse
Rare moment de tension sur ce texte, les débats ont été rudes sur ce point. Les sénateurs ont confirmé la suppression de l’introduction d’une clause de conscience spécifique pour les professionnels de santé, notamment infirmiers ou auxiliaires médicaux, en matière d’interruption médicale de grossesse (IMG). Le rapporteur PS Bernard Jomier a fait valoir que la clause de conscience générale pour les médecins suffit. Mais plusieurs sénateurs LR, ainsi qu’au nom du gouvernement, la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, ont défendu la création d’une clause de conscience spécifique.
La sénatrice PS Laurence Rossignol y a vu « une position conservatrice, rétrograde et même obscurantiste, à l’égard de ces sujets », « comme si les gens qui pratiquent des IVG et des IMG n’avaient pas réfléchi à ces questions ». Elle craint que cela mène à « culpabiliser les femmes ». Attaque peu appréciée à droite ou chez certains centristes. « Je ne supporterai pas les leçons de morale de qui que ce soit » a rétorqué le sénateur LR Roger Karoutchi. La sénatrice UDI (groupe UC) Françoise Gatel s’est dit elle « profondément indignée et émue par le ton des débats ». Mais plusieurs sénateurs, notamment médecins, très présents durant l’ensemble des débats, ont rappelé que cette double clause de conscience n’avait pas d’utilité.
Quelques minutes avant, les débats avaient été presque aussi intenses sur le maintien d’un délai de réflexion de sept jours, pour la femme et le couple, en cas d’IMG. Mais la suppression de ce délai a été maintenue.