Le climat est beaucoup plus apaisé que par le passé. Mais les convictions, d’un côté ou de l’autre, n’en sont pas moins fortes. Le Sénat a entamé ce mardi 21 janvier l’examen du projet de loi bioéthique pour deux semaines. Un texte qui porte une mesure phare : l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, y voit l’occasion d’une « une réflexion » sur « la société dans laquelle nous voulons vivre et la société que nous voulons proposer aux générations futures ».
Majorité sénatoriale divisée
En commission, les sénateurs ont modifié le texte en de nombreux points (voir notre article). Mais le Sénat, à majorité LR-UDI, a adopté le principe de la PMA pour toutes, tout en limitant la prise en charge de la Sécu aux cas d’infertilité. Le sujet divise la majorité, entre un Bruno Retailleau, président du groupe LR intimement opposé à la PMA pour toutes, et Gérard Larcher, président du Sénat, qui y est ouvert. Le sénateur de Vendée espère que le vote ne sera pas confirmé en séance. Chaque voix comptera au moment du vote. « Les clivages traditionnels ne tiennent plus. Tous les groupes politiques ont renoncé à donner une consigne de vote » souligne Véronique Guillotin (RDSE), pour sa part pro PMA.
Si une majorité de sénateurs LR est contre, la PMA pourrait cependant bien passer, selon plusieurs sources. Certains ont évolué. D’autres ne voient, politiquement, pas l’intérêt de s’y opposer. « Après l’épisode Bellamy, chez LR, ceux qui portent ces convictions ont décidé de ne pas en faire un cheval de bataille politique. Ils ont bien vu que la politisation sur ces sujets de société les cornérisait » analysait auprès de publicsenat.fr un sénateur centriste, bon connaisseur de la majorité.
Retailleau : « Quelque chose de fondamental se joue »
Bruno Retailleau a d’ailleurs préféré ne pas manifester dimanche dernier avec les opposants. Mais dans l’hémicycle, il n’a pas ménagé sa peine. « Quelque chose de fondamental se joue. C’est un affrontement, c’est un choc. Pas entre nous, pas entre la droite et la gauche, encore moins un affrontement entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croit pas. Mais un choc entre le modèle ultralibéral anglo-saxon qui se banalise et l’approche française » a alerté le président de groupe, très remonté et passionné (voir la vidéo). Il craint à terme la légalisation de la GPA.
La sénatrice LR Muriel Jourda, seule des quatre rapporteurs opposée à la PMA, est venue prêter main-forte à Bruno Retailleau. « Un père sert-il à quelque chose ou pouvons-nous le supprimer purement ou simplement de la vie d'un enfant ? » demande la sénatrice du Morbihan. S’appuyant sur certains pédopsychiatres, elle évoque « le risque d’avoir peut-être un enfant avec une construction psychique altérée dès la naissance », car « la construction psychique ne peut se faire qu’en s’appropriant une origine filiative crédible, qui est l’origine hétérosexuelle ».
« Un réel pas en avant en faveur de l’égalité »
Les défenseurs de la PMA, comme la sénatrice PCF Laurence Cohen, a rappelé qu’« ouvrir la PMA à toutes les femmes est pour nous un acte fort, un réel pas en avant en faveur de l’égalité », « une avancée attendue » après « une longue bataille pour mettre fin à une discrimination », dans « un contexte où l’homophobie est encore très présente en France ». La sénatrice PS, Marie-Pierre de la Gontrie, compare le texte à la loi Veil sur le droit à l’avortement : « Le débat d’aujourd’hui est de la même importance ».
La sénatrice centriste de Mayenne (groupe UC), Elisabeth Doisneau, souligne que « l’homosexualité n’est pas un choix ». Elle défendra donc un amendement revenant sur le principe, adopté en commission, d’un remboursement par la Sécu de la PMA seulement pour les cas d’infertilité, excluant donc les couples de femmes.
Agnèz Buzyn : « Le gouvernement n’est pas favorable à une libéralisation de l’accès aux tests génétiques »
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, s’est réjouie que le texte sorti de la commission « ouvre la PMA » à toutes les femmes et permette « l’autoconservation des gamètes ». « Soyons lucides, les familles monoparentales et homoparentales existent déjà » ajoute la ministre.
Agnèz Buzyn s’est en revanche clairement opposée aux modifications apportées par les sénateurs sur les tests génétiques. Ici, le Sénat va plus loin que le gouvernement sur les différents dépistages génétiques (population générale, préconceptuels, préimplantatoire). « Le généticien ne doit pas se substituer à la Pythie grecque » qui prédit l’avenir, « les généticiens ne doivent pas devenir des oracles ». « Le gouvernement n’est pas favorable à une libéralisation de l’accès aux tests génétiques » insiste la ministre.
Elle souligne le risque « d’éviter la naissance d’enfant » en raison « d’une anomalie génétique dont on ne peut prédire comme elle s’exprimera », ajoutant la difficulté de définir les maladies concernées. « Quel impact sur la diversité génétique de notre espèce ? » demande encore celle qui est médecin de profession. Elle n’est pas plus favorable aux tests « généalogiques dits récréatifs » pour déterminer une généalogie. Le gouvernement déposera ainsi des amendements sur « les lignes rouges à ne pas franchir ».
Un amendement du gouvernement sur la GPA revient sur une jurisprudence récente
Sur la GPA, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a clairement rappelé qu’« il est hors de question d’autoriser la GPA en France. Je le réaffirme avec force ». Le gouvernement a par ailleurs déposé un amendement pour que la reconnaissance directe du lien de filiation d'un enfant né à l'étranger par GPA soit appréciée « au regard de la loi française », revenant ainsi sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation, que la ministre qualifie de « revirement ». Les sénateurs ont eux, en commission, adopté un amendement empêchant cette transcription totale de l’acte de naissance dans l’état civil. Avec 324 amendements, l’examen est parti pour deux semaines.