Le projet de loi bioéthique comporte de multiples sujets. Et tous ou presque peuvent faire l’objet d’un profond débat. C’est le cas de la PMA post-mortem. Lorsqu’un couple engage une procréation médicalement assistée, il s’agit de permettre à la femme d’aller au bout, en cas de décès du conjoint. Ce sont des cas extrêmement rares, mais possibles. « Il y en aura peut-être qu’un, deux ou trois en 10 ans » a souligné la sénatrice LR Catherine Procaccia, auteure de l’un des amendements visant à créer ce nouveau droit. Comme à l’Assemblée nationale en septembre dernier, il a été rejeté mais de peu, à 5 voix près (58 contre, 53 pour). Sur cette question qui touche des sujets sensibles – la mort, le deuil, la parentalité, l’enfant, la famille – les débats ont été riches et ont duré plus de deux heures.
Si les cas sont rares, ils existent. En décembre dernier, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande d’une femme qui souhaitait transférer, dans un centre de reproduction assistée à Barcelone, des embryons conçus de son vivant avec son époux décédé, en vue d’une troisième grossesse.
Cohérence
Pour les défenseurs du sujet, qui était davantage des défenseuses, c’est une question de cohérence. « Peut-on ouvrir la PMA aux femmes seules et refuser à une femme veuve d’être dans la poursuite de son projet ? » a demandé la sénatrice PS Michelle Meunier, auteure d’un amendement similaire. À l’heure actuelle, en cas de décès, les embryons seront donnés à un couple en ayant besoin ou seront détruits. « C’est un sujet extrêmement difficile » a reconnu Marie-Pierre de la Gontrie, aussi sénatrice socialiste, « nous avons voulu proposer une approche très pragmatique mais protectrice, à la fois de la douleur de la veuve mais aussi de l’avenir de l’enfant ».
Catherine Procaccia pointe « l’aberration de la situation d’une femme veuve qui ne peut pas se faire réimplanter un embryon ». L’amendement de la sénatrice LR du Val-de-Marne fixe une limitation dans le temps de 6 mois à 18 mois après la mort. La sénatrice s’appuie sur l’avis du Conseil consultatif national d’éthique, favorable à l'implantation d'embryons après un décès, car le projet parental est déjà engagé.
« L’autonomie des femmes »
L’ancienne ministre des Familles de François Hollande, Laurence Rossignol, a insisté sur « le principe de l’autonomie des femmes ». « Les femmes peuvent prendre les décisions qui concernent leurs droits sexuels et reproductifs. Pour tous les sujets » a soutenu la sénatrice PS de l’Oise, soutenant la mesure « dès lors que le consentement du conjoint a été explicitement recueilli ».
Si elle a reconnu être sensible aux différents arguments, la sénatrice UDI Valérie Létard a semblé parler ici avec son cœur. « Ces sujets font appel à notre intime » dit l’ancienne secrétaire d’Etat. « De quel droit on s’autorise à fermer la porte à la liberté de choix qu’on doit donner à une femme, tout en l’encadrant ? » met en garde Valérie Létard, qui s’étonnerait qu’on vote la PMA pour toutes, mais « pas pour une femme veuve » (voir la première vidéo). La sénatrice du Nord ajoute :
Je m’adresse aux femmes qui sont ici. Je suis une femme. Je ne sais pas ce que je ferais dans cette réalité, mais je n’aimerais pas qu’on m’interdise de pouvoir trancher, en connaissance de cause et de manière éclairée (Valérie Létard)
Muriel Jourda, rapporteur sur les premiers articles du projet de loi, s’est à nouveau, comme sur la PMA pour toutes, retrouvée dans une situation particulière. Elle a exprimé l’avis favorable de la commission spéciale – son président LR, Alain Milon, est pour la PMA post-mortem – mais à titre personnel, la rapporteure a émis « les plus vives réserves ». « On peut entendre la cruauté qu’il y a pour cette femme » qui a perdu son mari, mais la sénatrice LR insiste sur « l’intérêt de l’enfant. C’est un enfant qui va naître orphelin de père. (…) C’est un enfant qui va naître d’un mort. (…) C’est une rupture anthropologique assez forte, car on ne fait plus la distinction entre le vivant et le mort ».
« Deuil interminable et renouvelé »
Quand la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, en vient à prendre la parole, c’est d’un ton posé, réfléchi, tout en retenu, semblant presque par moments émue. D’abord, elle avoue avoir été « favorable » à la PMA post-mortem, « exactement pour tous les arguments que vous avez évoqués, par souci de cohérence ». Mais elle a « progressivement construit une autre conviction ».
Elle place le débat au niveau de la femme veuve : « Ce que nous lui souhaitons, c’est de construire un autre projet, peut-être de se remarier. Peut-être de repenser à un projet parental en tant que femme seule. Mais pas forcément de s’engager dans un projet de PMA dont on connaît le risque d’échec, qui est beaucoup plus probable. Donc c’est un deuil interminable et renouvelé ». Pour la ministre, « c’est une fausse liberté qu’on donne aux femmes », d’autant qu’il « peut y avoir une pression sociétale, amicale, familiale ». Elle ajoute :
On ouvre la voie peut-être à une rupture anthropologique qui me semble réelle. C’est-à-dire jusqu’à combien de temps peut-on donner naissance après la mort ? (Agnès Buzyn)
Elle ajoute un argument, qui n’a pas dû déplaire à la droite, sur « l’intérêt de l’enfant ». « Je ne sais pas qui peut garantir l’intérêt de l’enfant dans cette situation. (…) Qui peut garantir qu’un enfant conçu dans cette situation n’a pas une place particulière (…) avec la projection du père absent ? » demande Agnès Buzyn, prenant soin de préciser que « cette place n’est pas la même que dans le cas d’une femme seule » qui ferait une PMA. Regardez :
Agnès Buzyn craint un « deuil interminable et renouvelé » en cas de PMA post-mortem
Le vote à main levée, dans un hémicycle bien rempli, est serré. Les amendements sont rejetés. Une fois n’est pas coutume, Bruno Retailleau, qui n’a pas eu gain de cause la veille sur la suppression de la PMA pour toutes, remercie Agnès Buzyn : « Je tiens à saluer le talent de la ministre qui a emporté, sans doute, la conviction de beaucoup de nos collègues ».