A peine nommé pour remplacer Michelle Donelan, au poste de chancelier de l’Echiquier au sein du gouvernement, l’ex-secrétaire d’Etat à l’Education, Nadhim Zahawi avait publiquement regretté dans une lettre rendue publique, l’entêtement de Boris Johnson de s’accrocher à Downing Street. « J’ai clairement fait comprendre au Premier ministre, ainsi qu’à mes collègues du N°10 qu’il n’y avait qu’une seule direction à prendre, et qu’il devait partir avec dignité », a indiqué le membre du parti conservateur. Nadhim Zahawi espérait que Boris Johnson écouterait un « vieil ami de 30 ans. » Le Premier ministre avait ignoré à plusieurs reprises les appels à la démission, comme si de rien n’était, envers et contre tous.
L’homme de 58 ans a rétorqué aux accusations « jusqu’au-boutistes » qui ont émergé dans les rangs des Tories et dans la presse britannique : « c’était mon devoir, mon obligation envers vous [citoyens Britanniques ; ndlr] de continuer à faire ce que nous avons promis en 2019. » Toutefois, l’ancien journaliste a reconnu qu’il est « désormais clair que le Parti conservateur souhaite avoir un nouveau chef et donc un nouveau Premier ministre. » Ce dernier a également précisé qu’il restera en poste jusqu’à ce que son successeur soit désigné. « J’ai nommé aujourd’hui un cabinet qui servira, comme je le ferai, jusqu’à ce qu’un nouveau leader soit en place », précise-t-il. Boris Johnson a annoncé avoir discuté avec Graham Brady, député conservateur et président du Comité 1922 du Parti conservateur, afin d’initier le processus de sélection. Dans tous les cas, « Boris Johnson reste à la tête d’un gouvernement par intérim très affaibli par les départs. Il sera très difficile pour lui de prendre des décisions importantes », d’ici la désignation de son successeur, explique Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique et irlandaise à l’Université de Caen.
« BoJo » défend son bilan
Au terme de près de trois ans de pouvoir, l’ex maire de Londres laisse un bilan contrasté. Dans son allocution, Boris Johnson a mentionné « les réussites accomplies par son gouvernement. » Architecte de la campagne « Vote Leave » en 2016, l’ancien journaliste a évoqué le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne le 31 janvier 2020 comme l’une de ses réussites. Le Brexit aurait permis le « règlement des relations avec le continent » et la récupération « du pouvoir de faire nos propres lois au Parlement. »
Epinglé pour sa gestion de l’épidémie de Covid en mars 2020, Boris Johnson assume et défend la politique menée par son gouvernement : « Nous avons réussi à traverser la pandémie, à mettre en place le plus grand nombre de vaccins en Europe et à sortir le plus rapidement possible du confinement. » Premier dirigeant étranger à se rendre à Kiev le 9 avril, Boris Johnson a souligné le rôle décisif joué par le Royaume-Uni dans le soutien militaire et diplomatique apporté à l’Ukraine depuis le début, le 24 février, « en dirigeant l’Ouest dans l'opposition à l’agression de Poutine. »
Un passage à Downing Street miné par les scandales
L’image du Premier ministre a été durablement ternie au fil des scandales et les dérapages exposés dans la presse au cours de son passage à Downing Street. L’un des plus proches conseillers de Boris Johnson, Dominic Cummings, souvent qualifié d’éminence grise du Premier ministre, est épinglé par la presse pour avoir brisé les règles du confinement, en quittant son domicile londonien fin mars 2020, avec son fils et son épouse, alors infectée du Covid, pour se rendre chez ses parents. Défendu un temps par Boris Johnson, le conseiller spécial a, depuis quitté le N°10 en décembre 2021.
Sans aucun doute, le « Partygate » est le scandale politique qui a le plus durement éprouvé la popularité du Premier ministre au sein du camp conservateur et auprès de l’opinion publique britannique. En juin 2022, la cote de popularité de Boris Johnson dépasse à peine les 20 % d’opinions favorables, selon un sondage réalisé en juin 2022 par YouGov.
De nombreuses soirées et pots de départ ont été organisés à la résidence du Premier ministre entre le 15 mai 2020 et avril 2021. Des fêtes clandestines, organisées en pleine pandémie alors que les interdictions de rassemblement sur la voie publique et en intérieur étaient encore de vigueur. En juin 2022, une enquête administrative est menée par Sue Gray. La haute fonctionnaire conclut que les fêtes organisées « n’auraient pas dû être autorisées à se produire. » Ces révélations ont poussé les élus conservateurs au Parlement à soumettre le Premier Ministre à une motion de censure. Organisée le 6 juin, 211 des 349 parlementaires conservateurs renouvellent leur confiance au Premier ministre.
Dernier scandale en date, Chris Pincher, « whip » en chef adjoint démissionne à la suite d’accusations d’attouchements dans un club privé londonien. Chargé de la discipline parlementaire des Tories, le « MP » de Tamworth, démissionne finalement de son poste le 1er juillet, après avoir reconnu les faits. « En trois ans, il aura épuisé son crédit. La coupe était pleine », prévient Christophe Gillissen, professeur de civilisation britannique et irlandaise à l’Université de Caen.
Au-delà des scandales, Boris Johnson a également été désavoué sur sa ligne politique par ses pairs. Le parti conservateur est traditionnellement attaché à « une certaine orthodoxie fiscale et à une baisse des impôts. Boris Johnson aime briller et pour cela il lance des projets qui souvent ont souvent un coût élevé. C’est sans doute cet élément qui lui a été reproché », précise Christophe Gillissen. Enfin, le Premier ministre a également subi des revers électoraux fin juin. Le parti a essuyé deux défaites pour des sièges parlementaires, « notamment dans le Sud-Ouest de l’Angleterre, dans un bastion des conservateurs remporté par les libéraux démocrates. » « Ces deux résultats ont été une sorte de baromètre. » La personnalité du Premier ministre a pu contribuer à ce désaveu, « le parti conservateur a longtemps hésité en 2019 pour le nommer comme chef de parti. Il est un personnage transgressif, fantasque mais capable de créer un lien avec les électeurs. »
Qui pour succéder à Boris Johnson au 10 Downing Street ?
La course est désormais ouverte pour les futurs candidats à la chefferie du Parti conservateur. Qui pour remplacer Boris Johnson ? « C’est une question compliquée », assure Christophe Gillissen. « Boris Johnson a pu se maintenir aussi longtemps, car il n’avait pas un successeur évident ou un rival de taille, au sein du parti conservateur. Pour le moment, personne ne s’impose réellement. » Rishi Sunak, ancien Chancelier de l’Echiquier figure parmi les favoris. « Il a fait une très bonne impression pendant la pandémie, mais il est impliqué dans le ‘Partygate’. Son épouse Akshata Murthy est également accusée de bénéficier d’un statut fiscal de ‘non domicilié’. »
La ministre des Affaires étrangères Liz Truss, est perçue comme une possible candidate pour le poste. « Elle est très marquée à droite. Elle jouit d’une certaine popularité, mais pas sûr qu’elle aille jusqu’au bout », souligne Christophe Gillissen. L’ex secrétaire d’Etat à la Santé du gouvernement Johnson, Sajid Javid est également un possible prétendant. « Il a un bon profil mais c’est un mauvais orateur. Ce critère pourrait être retenu contre lui. Dans un système politique où tout se passe à la chambre des communes, il faut être un débatteur performant. Ce n’est pas forcément son cas. » Enfin, Jeremy Hunt absent du gouvernement Johnson, peut briguer le poste. « Cet ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères et du Commonwealth a déjà été candidat à la direction du Parti en 2019. »
Dans tous les cas, les principes de la procédure de sélection du prochain Premier ministre sont connus. « C’est le Parti qui va choisir », prévient l’universitaire. « Pour être candidat, il faut être député. On ne peut déroger à cette règle. » L’ensemble des candidatures sont soumises aux votes des parlementaires du groupe conservateur. Les candidats qui n’auront pas obtenu 5 % des suffrages au premier tour sont éliminés. La barre pour se maintenir est fixée à 10 % à l’issue du deuxième tour. Le Parti conservateur finit par désigner deux finalistes. Ce sera au tour des adhérents du parti « de trancher entre les deux derniers prétendants. »