« Ni optimiste ni pessimiste ». L’opinion, loin d’être tranchée, de la secrétaire d’État aux affaires européennes, Amelie de Montchalin semble être à des années-lumière des travaux du groupe de suivi du Sénat sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne qui parle de « désastre d'un Brexit sans accord », dans une moindre mesure « d’un processus perdant-perdant ». Après 3 ans de travail et de 6 rapports d’information, Christian Cambon, président LR de la commission des affaires étrangères et Jean Bizet, président LR de la commission des affaires européennes du Sénat, remettaient, ce mardi, leurs dernières conclusions, à quelques jours de la date officielle du Brexit prévu le 31 octobre. Alors qu’un Conseil européen crucial se réunira les 17 et 18 octobre, l’incertitude autour de la sortie du Royaume-Uni n’est pas prête de se dissiper. « On hésite encore entre un Brexit sans accord, un accord de dernière minute ou un nouveau report (…) Une chose est sure, notre groupe a fait le constat que le Brexit allait détruire des richesses » souligne Christian Cambon. « 700 accords de libre-échange sont à détricoter » ajoute Jean Bizet.
Les élus de la Haute assemblée observent que les arguments techniques, juridiques ou économiques, et même les considérations historiques, ont désormais peu de résonance et laissent place à des considérations identitaires de l’autre côté de la Manche. Pourtant, depuis 2016, la croissance britannique a été systématiquement inférieure à celle de l’UE. Et les prévisions de l’OCDE tablent sur une poursuite de cette tendance en 2019 (1,2 % au Royaume-Uni contre 1,4 % dans l’UE) puis en 2020 (1 % contre1,4 %).
Perte de richesse économique évaluée à 7,7 milliards pour la France
Côté français, le Brexit entraînerait une perte de richesse économique évaluée à 7,7 milliards d’euros par an (40 milliards pour l’Union européenne). Certains secteurs subiraient des « effets dévastateurs » comme la pêche. « Dans certaines régions (Hauts-de-France, Normandie, Bretagne), ce sont 40 à 50 % des prises de pêche qui dépendent de l’accès aux eaux britanniques ». Second fournisseur du Royaume-Uni, l’agriculture française pourrait subir « la double peine » d’une perte rapide de débouchés Outre-Manche, conjuguée à une réorientation des flux commerciaux.
4,5 millions de citoyens « pris en otage »
Le Royaume-Uni est le deuxième pays d’implantation des entreprises françaises. 400 000 emplois sont concernés. Trois ans après le référendum sur le Brexit, ce sont 4,5 millions de citoyens « pris en otage » (3,8 millions qui travaillent aux Royaume-Uni et 1,2 million de Britanniques qui travaillent dans un autre État membre). « Ils s'interrogent sur leur avenir dans leur pays de résidence. Quand on sait que le statut de résident permanent au Royaume-Uni pourrait coûter 1 600 livres par personne, on imagine le coût pour une famille, nous demandons au gouvernement que la situation des foyers les plus précaires fasse l’objet d’une attention particulière » précise Christian Cambon.
La grande inquiétude des sénateurs concerne l’Irlande. Dès 2017, les négociateurs européens avaient planché sur un mécanisme de « Backstop » afin d’éviter le rétablissement d’une frontière physique sur les 500 kilomètres qui séparent l’Irlande du Sud et la province britannique d’Irlande du Nord. « Un nœud gordien dans la négociation » qui pourrait remettre en cause « les fondements chèrement acquis de la paix, après plusieurs décennies de conflit en Irlande du Nord » se désolent les sénateurs.
Irlande : « le Backstop, la seule solution viable »
À l’origine des négociations, le « Backstop » souhaité par l’Union européenne, prévoyait que l’Irlande du Nord reste dans l’Union douanière de l’UE. De son côté, Boris Johnson exige la suppression de ce filet de sécurité estimant qu'il porte atteinte à son indépendance commerciale. Le plan du Premier ministre britannique prévoit de sortir l'Irlande du Nord de l'union douanière européenne. De quoi faire apparaître un « dumping » fiscal, social et réglementaire aux portes de l’Europe. « Cette solution repose donc sur l’idée de deux frontières : d’une part, une frontière réglementaire, qui ferait l’objet de contrôles en mer d’Irlande ; d’autre part, une frontière douanière, assortie de contrôles « électroniques » ou « décentralisés », avec une tolérance particulière pour les petites entreprises » rappellent les sénateurs qui restent persuadés que « la seule solution viable » est le mécanisme de « Backstop » prévu dans l’accord de retrait de novembre 2018. « Ce filet de sécurité consisterait en une zone réglementaire et douanière commune entre l’Union européenne et l’Irlande du Nord ».
« La question d’un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise se posera »
Outre-Manche, la perspective d’un éclatement du Royaume-Uni n’est pas non plus à négliger. En cas de « no deal », « la question d’un nouveau référendum sur l’indépendance écossaise se posera » et avec elle la question d’une frontière physique entre l’Écosse et la Grande-Bretagne, assurent les élus de la chambre haute.
« Le Brexit sera un électrochoc ou le début de sortie de l’Histoire de l’Union européenne » a appuyé Jean Bizet avant de souhaiter rendre hommage « au travail extraordinaire » de Michel Barnier, négociateur avec le Royaume-Uni pour l’Union européenne, qui « jusqu’à présent, préserve l’unité » au sein de l’Union. « Sans doute la question du Brexit doit-elle, au préalable, être réglée pour pouvoir espérer avancer à Vingt-sept, alors que nous pensions initialement l’inverse » conclut le rapport.