« Je veux quand même être sûr que la présidence française de l’Union européenne ne dure que six mois, puisqu’avec tous les engagements que vous venez de prendre, il va falloir travailler nuit et jour pour aboutir aux objectifs que vous envisagez. » Le rapporteur général de la commission des finances, Jean-François Husson (LR) reconnaît que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, est « déterminé » dans cette présidence française du Conseil de l’Union européenne. Peut-être un peu trop, au point de se demander si tous les dossiers défendus par Paris jusqu’à la fin juin pourront aboutir.
Auditionné ce 22 février devant les commissions des finances et des affaires européennes du Sénat, le ministre de l’Économie a fait part de la volonté du gouvernement d’aboutir à un certain nombre d’accords. Le « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières » en est un, il sera « cœur » des objectifs la présidence française. Comme son nom l’indique, le dispositif de « pollueur-payeur » consisterait à taxer au moment de leur importation des marchandises produites dans des pays moins regardants sur les émissions de gaz à effet de serre. Pour Bruno Le Maire, ce chantier doit être bouclé avant la fin juin. « Nous visons des décisions juridiques sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières dès la présidence française de l’Union européenne. Nous y mettrons tout le poids politique nécessaire et toute la détermination politique nécessaire », a-t-il promis.
Bruno Le Maire souhaite que la directive sur l’impôt minimal des grandes sociétés s’applique en janvier 2023
L’objectif est le même pour le projet d’un impôt minimum sur les grandes multinationales : le gouvernement veut arracher un compromis sur un projet de directive européenne dans les prochains mois. « Nous allons continuer à nous battre pour que la taxation devienne une réalité, d’ici au plus tard à la fin de la présidence française de l’Union européenne », a ajouté Bruno Le Maire. L’idée étant de mettre en application ce nouveau mécanisme dès janvier 2023.
Comme il s’agit de fiscalité, un accord à l’unanimité des Etats membres est requis. Certains sont encore réticents. « Nous allons tout faire pour surmonter les oppositions de ces Etats membres », s’est engagé le ministre. La fin de semaine sera un test pour les Français. Vendredi et samedi se tient à Paris un nouveau Conseil des ministres de l’économie et des finances (Ecofin). Le projet de directive visant à instaurer un taux minimum d’imposition sur les sociétés de 15 % se heurte notamment à l’opposition de la Pologne et de la Hongrie, et dans une moindre mesure l’Estonie. Bruno Le Maire a évoqué des « discussions intenses » avec leurs trois gouvernements.
Parallèlement, le gouvernement veut « poursuivre les discussions » sur la taxation des géants du numérique, mais aussi aboutir à un accord sur les règlements DSA et DMA, deux textes qui visent à limiter la domination des grandes plateformes et à lutter contre la propagation de contenus ou produits illicites.
Ce n’est pas tout. Paris veut aussi approfondir l’union bancaire, née après la crise financière de 2008, mais aussi avancer sur un marché financier unique. « Si nous voulons une Europe qui joue dans la cour des grands, il faut une finance qui joue aussi dans la cour des grands. La finance n’est pas l’ennemi, la finance c’est l’allié des grands projets industriels, des grands projets d’innovation », a soutenu le ministre.
Dernier sujet, mais pas des moindres : la révision du pacte de stabilité et de croissance, qui fixe des limites aux Etats membre en matière de déficit public (3 % du PIB) ou d’endettement (60 % du PIB). Le traité a été mis en sommeil le temps de la crise du covid-19 pour permettre aux différents pays de répondre à la pandémie. Mais alors que le virus semble ne plus faire peser de danger sur l’Europe, la question d’une renégociation des règles se pose. Ou du moins, à quel rythme faut-il y revenir, et comment interpréter le cadre et apporter de la souplesse pour exclure, par exemple, les investissements écologiques du calcul. Bruno Le Maire estime que l’Union européenne s’est en tout cas déjà accordée sur une nouvelle philosophie. « Je ne vois plus d’Etat qui vous dise aujourd’hui que la seule priorité, c’est le rétablissement immédiat des finances publiques, ou qui vous disent que le rétablissement des finances publiques n’a plus d’importance. C’est un équilibre entre les deux qui compte. »
« Comment convaincre notre partenaire allemand ? »
Ne quittant jamais ses habits d’écrivain, le ministre a même tenu à faire une suggestion sémantique. Ne l’appelez plus pacte de stabilité et de croissance, mais pacte de croissance et de stabilité. « L’ordre des mots, c’est l’ordre des choses. La croissance passe en premier, elle est pour moi la condition de la stabilité », a insisté Bruno Le Maire. Ce détail sur le nom n’a pas été du goût de Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération. s, qui a comparé le ministre au « Bourgeois gentilhomme » de Molière. « Vous ne nous proposez que d’inverser les mots ! »
En matière d’investissements européens, certains sénateurs ont tenté de freiner l’optimisme du ministre. S’agissant des émissions de dette en commun par les Etats – l’une des innovations intervenues pendant la crise sanitaire – le président de la commission des affaires européennes Jean-François Rapin (LR) a rappelé que celle-ci était conditionnée à la création de ressources fiscales propres à l’Union européenne. « La France semble vouloir prendre des engagements, freinée plus ou moins par notre partenaire allemand », a-t-il souligné.
Le rapporteur général du budget, Jean-François Husson, s’est demandé lui, comment aboutir à de nouvelles règles encadrant l’endettement, vu la dégradation marquée des finances publiques françaises. « Comment convaincre notre partenaire allemand pour qu’il accepte de réformer ? » En signe de bonne volonté, Bruno Le Maire a répété que la France respecterait le calendrier donné aux Européens : un retour du déficit sous les 3 % à l’horizon 2027.
L’audition a également été l’occasion pour le ministre d’annoncer que les sanctions financières frappant la Russie, après sa décision de reconnaître l’indépendance des régions séparatistes de l’Est ukrainien, seraient « lourdes ». Bruno Le Maire s’est aussi voulu rassurant sur les conséquences pour les entreprises françaises de ce contexte géopolitique chamboulé avec Moscou (lire notre article).