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Bruno Retailleau défend « une cohabitation » avec Macron, solution jugée « très difficile » par les sénateurs LR

Face à la main tendue de la dernière chance par Sébastien Lecornu, Bruno Retailleau répond qu’il est prêt à accepter une forme de cohabitation. Mais en considérant le « déni dans lequel s’est installé le Président », les sénateurs LR jugent la voie « très étroite », voire « inimaginable ». Quant à l’idée d’une démission d’Emmanuel Macron, certains y voient une solution.
François Vignal

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Chaque jour son lot de nouveautés. La classe politique subit encore la déflagration de la démission de Sébastien Lecornu lundi, quasi aussitôt chargé par Emmanuel Macron de mener d’« ultimes négociations afin de définir une plateforme d’action et de stabilité pour le pays ». Il a 48 heures. Mission impossible ? Cette main tendue de la dernière chance n’est pas loin de faire un flop.

Ce matin, il a réuni ce qui reste du socle commun, avec Gabriel Attal (Renaissance), qui dégomme Emmanuel Macron, Marc Fesneau pour le Modem, qui pense sur Public Sénat qu’« un ancien premier ministre ne devrait pas dire ça », Edouard Philippe (Horizons), qui appelle à une présidentielle anticipée, ainsi que les présidents de l’Assemblée et du Sénat, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher. Le premier ministre démissionnaire a proposé de concentrer les discussions sur « l’adoption du budget pour l’Etat et pour la Sécurité sociale » et « l’avenir de la Nouvelle-Calédonie ».

Il manquait dans la salle un certain Bruno Retailleau. Le président des LR, qui a allumé la mèche dimanche soir découvrant un gouvernement marqué par la main d’Emmanuel Macron, a séché la réunion, demandant à être reçu en tête à tête. Le rendez-vous a été pris ce mardi, à 17 heures. Une heure plus tôt, c’est Laurent Wauquiez, à la tête des députés LR, qui était reçu de son côté par le premier ministre… Celui qui a plaidé dimanche, quasi seul, pour ne pas rester au gouvernement, doit savourer sa revanche. Il ne s’est pas privé de remettre un tacle au président des LR. Lors de la réunion de groupe, il a regretté que la chute du gouvernement ait « abîmé l’image » de « stabilité et de responsabilité » qu’incarnaient les LR, a indiqué un participant à l’AFP.

« Rupture de confiance »

Dans ce contexte très incertain, Bruno Retailleau a réagi dans la matinée à la main tendue de la dernière chance. Il pourrait la saisir du bout des doigts. Les Républicains sont prêts « à gouverner à une condition : c’est que ce soit un gouvernement que j’appellerai de cohabitation » avec la macronie, a-t-il affirmé sur Europe1-CNews. Dans son esprit, la nomination il y a un an de Michel Barnier, membre des LR, était déjà « une forme de cohabitation ».

La mission de la dernière chance confiée à Sébastien Lecornu n’a clairement pas la cote chez les sénateurs LR. « Je ne sais pas si c’est une main tendue pour proposer quelque chose de nouveau. Je n’ai pas le sentiment. Nous, on veut clarifier les choses », soutient Mathieu Darnaud, à la tête des sénateurs LR, avant la réunion de groupe. Stéphane Piednoir, sénateur LR du Maine-et-Loire, se dit « un peu circonspect sur la capacité de Sébastien Lecornu à mener en 48 heures ce qu’il n’a pas réussi à faire en presque un mois ». Estimant que « le choc de dimanche soir a été une rupture de confiance », il ajoute : « La situation me semble totalement insoluble. L’équation est la même ». « Il faut que tout cela cesse. Ce sont des palinodies », tranche Max Brisson, porte-parole du groupe LR, avant d’écouter son ancien président de groupe.

« Il y avait de l’émotion et de la colère »

Le ministre de l’Intérieur démissionnaire s’est en effet rendu dans la matinée au groupe LR de la Haute assemblée. Un retour parmi les siens, en terrain conquis, pour l’ex-président du groupe LR du Sénat. Pendant plus d’une heure, où il a refait « le film » des dernières 48 heures, il a été applaudi à plusieurs reprises. « Il y avait de l’émotion et de la colère, avec un président des LR qui nous a décrit quasiment heure par heure ce qu’il s’est passé », explique à la sortie Max Brisson. « Le message qui ressort de cette discussion, c’est que le responsable, c’est Macron. C’est à lui de sortir de cette crise. Et la solution possible, c’est d’accepter un gouvernement de cohabitation au sens de l’article 20 de la Constitution (« le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », ndlr). C’est-à-dire un gouvernement démacronisé, soit le contraire de Lecornu », ajoute le sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques.

Reste à voir qui pour occuper Matignon, Bruno Retailleau n’étant « pas candidat », selon un sénateur LR. Gérard Larcher ? « On connaît sa capacité à rassembler. C’est une figure d’homme d’Etat, à qui on ne peut pas prêter d’intention présidentielle pour la suite. Ça peut faire partie des solutions, si ce n’est des potentialités », avance Stéphane Piednoir.

« Comme un couple qui veut divorcer »

Mais dans le huis clos du groupe, plusieurs sénateurs ont pris la parole pour dire qu’ils doutaient de la possibilité que le chef de l’Etat accepte, alors qu’il ne montre que des signaux contraires. « J’ai dit, comme beaucoup, que ça paraît inimaginable, dans l’état actuel du déni dans lequel s’est installé le Président », réagit Max Brisson, pour qui « il paraît très difficile que le président de la République fasse le contraire de ce qu’il fait depuis un an ». Une analyse partagée par Olivier Paccaud, sénateur LR de l’Oise :

 Un premier ministre de cohabitation, ça ne me semble pas possible, car la gauche et le RN le feront chuter. 

Olivier Paccaud, sénateur LR de l'Oise.

L’un des participants, tendance Wauquiez, a même « cogné sur l’idée de gouvernement de cohabitation », selon un sénateur. « On voit bien que c’est une voie, je ne dis pas impossible, mais très étroite », ajoute pour sa part Marc-Philippe Daubresse, sénateur LR du Nord, qui y va de son image, si cette cohabitation arrive : « C’est comme un couple qui veut divorcer, qui accepte de ne pas divorcer finalement, mais de se séparer tout en continuant à avoir de bonnes relations ». Une situation baroque en somme. « Bruno Retailleau dit lui-même que c’est une position compliquée », selon l’un des membres du groupe.

« On se parle toujours librement dans ces échanges. Chacun exprime ses doutes », tempère la sénatrice LR de Vendée, Laurence Garnier, « mais si la solution était simple, le Président l’aurait trouvée ». « Il y a un certain nombre d’interrogations qui ont été exprimées », mais « on a un groupe politique très soudé, très unis », ajoute l’ancienne secrétaire d’Etat du gouvernement Barnier.

« Ça se terminera par la dissolution »

Quant à la petite bombe lâchée par Edouard Philippe dans la matinée, de présidentielle anticipée, soit la démission d’Emmanuel Macron, elle n’a pas reçu un accueil favorable de Bruno Retailleau. « J’ai toujours été très prudent sur la question de la démission », a-t-il réagi sur CNews, « car la clé de voûte de nos institutions, de la Ve République, c’est le président de la République ». « Pour les institutions, ce serait catastrophique », confirme Jean-François Rapin, sénateur LR du Pas-de-Calais. Marc-Philippe Daubresse trouve au passage « hallucinant que ceux qui sont censés incarner les principaux soutiens du Président en soient là ». Mais il n’y croit pas et « pense que ça se terminera par la dissolution ».

« On ne fera pas l’économie d’un retour aux urnes. Mais vraisemblablement une dissolution, le Président ayant exclu la démission », réagit Laurence Garnier, qui ajoute qu’« une démission, ça abîmerait les institutions. Mais c’est vrai qu’on s’interroge. Une législative avant la présidentielle, c’est malgré tout compliqué ».

« La démission du Président, suivi d’une dissolution, c’est le seul moyen de repartir de zéro »

D’autres sont cependant ouverts à l’idée. « Il y a une solution qu’il rejette d’emblée, et j’ai été le seul pour dire que je partageais son avis totalement, sauf là-dessus, c’est sur la démission du Président, suivi d’une dissolution. Je pense que c’est le seul moyen de repartir de zéro et d’avoir enfin une majorité à l’Assemblée. Je suis le seul à l’avoir dit. Je sais que je ne suis pas le seul à le penser », lâche Olivier Paccaud. Avant la réunion, Stéphane Piednoir nous a en effet expliqué défendre l’idée : « J’ai appelé aussi à ce que le président de la République prenne ses responsabilités. Il est l’artisan de ce chaos depuis la dissolution de 2024 », soutient le sénateur.

En cas d’une plus probable dissolution, Bruno Retailleau a fait part de ses doutes. Car rien ne dit qu’elle apporterait une majorité au pays. « Pour lui, une dissolution donnerait 210 sièges au RN et ses alliés », confie Olivier Paccaud. « C’est une approximation. Ce serait peut-être 190 ou 210 députés. Ça ne repose pas sur une estimation sondagière, c’est une projection un peu au doigt mouillé », précise Stéphane Piednoir, « c’était pour illustrer qu’en cas de dissolution, il y aurait une progression importante du RN, mais sans majorité absolue de 289 sièges ».

« Notre objectif n’est pas de servir de courte échelle au RN »

Justement, ce matin, le président du RN, Jordan Bardella, a envoyé un appel du pied… aux LR. Le responsable du parti d’extrême droite s’est dit « prêt à leur tendre la main sur un accord de gouvernement ». De quoi peut-être permettre d’avoir une majorité. Mais l’union des droites a encore beaucoup d’opposants en interne.

« Vous savez bien que c’est hors de question. Les LR qui ont voulu faire ça ont rejoint Eric Ciotti. Ils sont hyper minoritaires. Ça n’a pas produit grand-chose pour Ciotti », balaie Marc-Philippe Daubresse. « Notre objectif n’est pas de servir de courte échelle au RN, d’être le marche pied du RN. C’est d’avoir le plus de députés possible. Certainement pas d’être les supplétifs du RN », ajoute Max Brisson.

Olivier Paccaud se dit aussi « défavorable ». Mais il avance « un cas d’école. Si le RN se retrouve avec une majorité relative et présente des textes. Les LR ne pourront faire qu’une seule chose : voter en fonction du texte. Mais surtout, pas de participation au gouvernement. Sinon on va se fondre dans la purée. On n’existe plus ». Mais un sénateur LR ajoute ce commentaire : « La tectonique des plaques arrive peut-être trop tôt. Les LR ont un peu peur de la dissolution. Car on s’est redressés, mais on est fragiles encore. Il ne faut pas se raconter d’histoire. Il ne faut pas se voir plus beau qu’on est ». Dans ce moment d’incertitude et de bascule, les LR ne sont pas épargnés par les questionnements.

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